La Tomate noire

Idées fausses sur l’action non-violente

by on Mar.28, 2015, under Débats, Général

chess

J’entends beaucoup de choses sur la violence, la non-violence, la possibilité d’amener les flics « de notre côté » ou les signes de peace dans les manifs. Je ne suis pas une experte de la question, mais je constate qu’il y a une masse de personnes qui ont envie de penser à ces enjeux. De la même manière, je pense que c’est très contre-productif de lever le nez sur des idées que les gens expriment juste parce qu’ils disent « non-violence ». J’ai donc pris la liberté de traduire et d’adapter une partie d’un livre appellé Unarmed Insurrections. People Power Movements in Nondemocracies pour élargir la discussion.

Ce texte ne s’adresse ni à des gens qui trouvent que c’est une bonne idée de faire des câlins à des flics et qui veulent les convaincre « d’être de notre côté », ni à des gens qui ne sont pas capable de voir que les tactiques utilisées par nos mouvements sont majoritairement non-violentes (grèves générales, blocages, occupations…), mais s’adresse plutôt à des gens qui constatent que la diversité des tactiques est essentielle à un mouvement social qui se veut large, inclusif et qui sait que tout mouvement social progressif et anti-oppressif est en opposition avec l’ordre établi.

Source : Kurt Schock, Unarmed Insurrections. People Power Movements in Nondemocracies, University of Minnesota Press, Minneapolis, 2005, p. 6-12.

Voici 19 des idées fausses les plus communes à propos de la non-violence :

1- L’action non-violente n’est pas l’inaction (même si ça peut inclure le refus de porter une action qui est attendue par les oppresseurs), ce n’est pas de la soumission, ce n’est pas l’évitement du conflit et ce n’est pas se résigner de manière passive. Dans les faits, l’action non-violente est un moyen direct pour poursuivre le conflit avec les opposants et est un rejet sans équivoque de l’inaction, de la soumission et de la passivité.

2- Tout ce qui est non-violent n’est pas considéré comme de l’action non-violente. L’action non-violente réfère à des actions spécifiques qui sont risquées et impliquent de la pression non-violente ou des moyens de coercition non-violents dans des interactions conflictuelles entre deux groupes opposés.

3- L’action non-violente n’est pas limitée à des activités politiques sanctionnées par l’État. L’action non-violente peut-être légale ou illégale. La désobéissance civile est une violation délibérée de la loi dans un but social ou politique et est un mode d’action non-violent fondamental.

4- L’action non-violente n’est pas composé d’actions politiques régulées ou institutionnalisées comme écrire des lettres, voter ou faire du lobbying. Contrairement au cas des gens qui s’engagent dans des actions politiques régulées et institutionnalisées, il y a toujours un élément de risque pour les gens qui choisissent l’action non-violente car elle défie les autorités.

5- L’action non-violente n’est pas une forme de négociation ou de compromis. La négociation et le compromis peuvent ou non accompagner les conflits poursuivis par l’action non-violente comme ils peuvent ou non accompagner l’action violente. En d’autres mots, l’action non-violente est un moyen de poursuivre un conflit et doit être distingué d’un moyen de résolution du conflit.

6- L’action non-violente ne dépend pas de l’autorité morale, de la honte des opposants, ou de la conversion de leur point de vue pour promouvoir un changement politique. Si la conversion du point de vue des opposants peut des fois arriver, le plus souvent l’action non-violente promeut le changement politique au travers la coercicion non-violente qui force l’opposant à faire des changements en lui sapant son pouvoir. Bien sûr, la pression morale peut être mobilisée, mais en l’absence de pressions politiques et économique il est improbable qu’un changement se produise.

7- Les gens qui utilisent l’action non-violente ne s’attendent pas à ce que l’État ne réagisse pas avec violence. La réaction violente du gouvernement n’est pas une indication de l’échec de l’action non-violente. En fait, les gouvernements répondent avec violence précisément parce que l’action non-violente est une menace pour leur pouvoir. Éliminer l’utilisation de l’action non-violente parce que des gens meurent ou sont blessés est tout aussi illogique que d’éliminer l’utilisation de résistance armée parce que des gens meurent et sont blessés. Lutte non-violente ne veut pas dire une absence de violence.

8- Ceci étant dit, la souffrance n’est pas une part essentielle de la résistance non-violente. La vision de la souffrance comme étant centrale à la résistance non-violente est basée sur la fausse assomption que l’action non-violente est de la résistance passive et qu’elle essaie de produire du changement en essayant de convaincre les oppresseurs. L’action non-violente est beaucoup plus sophistiquée que la fausse conception qui illustre l’image des activistes acceptant la violence physique des agents de leurs oppresseurs dans l’espoir que leur souffrance va convertir les opposants ou gagner la sympathie publique.

9- L’action non-violente n’est pas une méthode qui s’utilise seulement en dernier recourt, quand les moyens violents ne sont pas disponibles. Comme l’action violente peut être utilisée même quand il n’y a pas d’armes disponibles, l’action non-violente peut aussi être utilisée à la place de méthodes violentes.

10- L’action non-violente n’est pas une méthode d’action politique « bourgeoise » ou « classe moyenne ». Des actions non-violentes ont été, et peuvent être, mises en œuvre par toutes les classes, des esclaves jusqu’aux classes élevées. Pour des raisons évidentes, elles sont utilisées par les gens qui ont le moins de pouvoir, des gens qui n’ont pas accès au pouvoir, plus fréquemment que par des gens en position de pouvoir.

11- L’usage de l’action non-violente n’est pas limitée à la poursuites de but « réformistes » ou « modérés ». Il peut également être utilisé pour atteindre des buts « radicaux ». Par exemple, Anders Corr a documenté l’usage étendu de la non-violence dans les luttes pour la terre et le logement à travers le monde. Les défis au relations découlant de la propriété privée peuvent difficilement être considérées réformistes, modérés ou bourgeoises. De la même manière, le mouvement féministe a défié de manière radicale les rapports patriarcaux presque entièrement par des méthodes qui n’incluaient pas la violence. Les défis à l’ordre établi peuvent être radicaux et non-violents.

12- Si par sa nature même l’action non-violente requiert de la patience, ça ne veut pas dire que la production de changement politique sera lente en soi comparé à l’action violente. Des luttes violentes qui ont servi de modèle pour des générations de révolutionnaires ont pu prendre des décennies pour réussir.

13- Les moyens de l’action non-violente ne sont pas structurellement déterminés. Il y a des relations dans le temps et l’espace entre les contextes politiques et l’usage d’une stratégie, mais les méthodes utilisées pour défier des rapports politiques oppressifs ne sont pas déterminés par le contexte politique. Des processus d’apprentissage, de diffusion et de changements sociaux peuvent conduire à l’instauration d’actions non-violentes dans des contextes ou situations qui ont historiquement été caractérisés par des conflits violents. Certainement, le contexte des conflits et les enjeux influencent les stratégies de résistance, mais pas d’une manière déterministe.

14- L’efficacité de l’action non-violente n’est pas liée à l’idéologie des oppresseurs. Les croyances des oppresseurs peuvent influencer les dynamiques du conflit, mais elles ne sont pas uniquement ce qui détermine les aboutissants des luttes menées au travers de méthodes d’actions non-violentes.

15- De manière similaire, l’efficacité de l’action non-violente n’est pas en fonction de la répression des oppresseurs. Des campagnes d’action non-violente ont été efficaces dans des contextes répressifs brutaux et inefficaces dans des contexte de démocratie plus ouverte. La répression, bien sûr, contraint l’habilité à s’organiser, à communiquer, à mobiliser et à s’engager dans l’action collective et élargit les risques à participer à des actions collectives. Néanmoins, la répression est seulement un des facteurs qui influencent les trajectoires des luttes basées sur l’action non-violente.

16- La mobilisation de masse de gens dans des campagnes d’actions non-violentes dans des contextes dit «non-démocratiques » ne dépend pas de l’obligation qu’ont les gens à y participer. Si des campagnes d’actions non-violentes ont inclus la coercition pour mobiliser, la coercition n’est pas une caractéristique des mobilisations de masse. Des exemples démontrent que quand les communautés étaient vivement divisées ou que les campagnes n’étaient pas assez publicisées la coercition avait plus de risques d’être utilisé. Au contraire, quand des solidarités étaient construites entre les communautés et que les gens étaient bien au courant des campagnes, la coercition avait le moins de chance d’arriver.

17- Contrairement aux idées populaires et universitaires, les personnes qui décident de s’engager dans l’action non-violente sont rarement des pacifistes. Les personnes qui s’engagent dans l’action non-violente ont différentes idées, dont le pacifisme peut faire partie, mais le pacifisme n’est pas ce qui ressort chez les gens qui font le choix de l’action non-violente.

18- De manière similaire, les gens qui s’engagent dans l’action non-violente n’ont pas à savoir que c’est ce qu’ils font. Ainsi, l’implantation de méthodes non-violentes ne sont pas nécessairement reconnues comme « non-violentes » par les gens qui les pratiquent et ces personnes n’ont certainement pas à adhérer à une théorie de la non-violence ou à un code moral pour réussir et diffuser leurs stratégies.

19- Les campagnes d’actions non-violentes n’ont pas besoin d’un leader charismatique pour réussir même si certaines en ont eu. En fait, elles n’ont pas besoin du tout de leaders.

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5 Comments for this entry

  • pwll

    Anabraxas, Gederloos est effectivement une source assez redondante dans nos mieux sur ce sujet (ce que f ailleurs je déplore… j ai pas l impression qu on jase de tactiques j ai l impression qu on recite un cathechisme des fois). À l argument gederloos je vais ajouter un textr de kuhn qui répond quand même bien a gederloos je trouve.

    http://www.alpineanarchist.org/r_gelderloos_review_tfon.html

    Et Umzidiuk c est vraiment intéressant ce que t amène… et par la meme occasion tu m a fait mettre le doigt sur mon hesitation a traduire « coercicion non violente » mais le choix des mots jure justement a cause de tout ce que t as avancé. ..

    Bref… on peut dire que c est une non-discussion, mais c est toujours un sujet de non discussion auquel les gens ont envie de réfléchir… ca veut dire que rien n est si clair je pense…

  • Umzidiu Meiktok

    La violence est essentiellement une affaire de normes et une affaire idéologique. Là où je décroche, sincèrement, c’est que des « rads » sont assez talentueux/euses pour dans l’art de dénoncer la violence psychologique, à l’école, dans la famille ou au bureau. Pis c’est pas un problème, tant mieux!

    Il est possible que tu vas pas aimer mes exemples, Anabraxas.

    J’ai entendu souvent – et encore plus souvent ces temps-ci – dans des discussions que le seul fait d’utiliser un terme comme « transphobe » ou « putophobe » pour décrire une attitude discriminatoire et méprisante, c’était atteindre un niveau extrême de violence.

    On s’entend: on parle de violence psychologique ici. On ne tolère absolument pas le terme « putophobe » parce que c’est de la violence psychologique, du moins employé dans un certain contexte visant à mettre une fin abrupte à un débat par une attaque ad hominem. Est-ce que j’ai un problème avec ça? Ben en fait je sais pas, et franchement j’ai pas envie d’en discuter.

    Cela dit.

    D’un autre côté, cette violence à l’égard de l’autre est totalement tolérée. Je compte sur les doigts de ma main le nombre de personnes qui ont réagi quand Charest s’est fait traiter de facho en 2012. Pis faire des saluts nazis devant le SPVM? C’est pas du même acabit?

    Pourtant les gens qui réagissent se pressent pas aux portes, tellement l’offense nous paraît insignifiante. Quand Arielle Grenier a fait l’objet d’un acharnement psychologique terrible en 2012, personne a réagi (sauf moi et deux trois personnes), même après qu’une chanson grossophobe intitulée « la grosse rousse » ait été écrite sur elle et diffusée sur Internet.

    Et il y a la vaste question du lynchage public! De Gab Roy, de Stéfanie Trudeau, des profs ayant agressé du monde à l’UQAM, de Jean Barbe, de Ian Lafrenière, et j’en passe.

    Et je n’écris pas ça pour dénoncer le lynchage public! Juste pour dire ce que c’est: de la VIOLENCE.

    Si tu considères que la violence psychologique existe, et qu’elle peut se décrire par une tentative de destruction d’une personne, ou de la forcer à faire ce qu’on veut, eh bien c’en est. Et nombre de « pacifistes » ou de « non-violent-e-s » se sont livré à cette violence-là.

    Moi aussi tiens, ça m’arrive sans arrêt. Mes gestes sont rarement caractérisés par la répétition de l’acte, mais comme je contribue ponctuellement, eh bien ça compte dans l’exercice. D’ailleurs j’ai ri à chaque fois qu’un-e politicien-ne a annoncé sa démission en braillant en 2012, c’était bien fait, kin, fuck toute.

    Les blocages, les occupations, les manif-actions, même quand il y a pas de « grabuge » (ça aussi tiens c’est un terme fourre-tout), ça participe de la même dynamique de violence psychologique, de harcèlement d’individus jusqu’à ce qu’ils cèdent. Même dans la norme de la plupart des « rads », c’est supposé en être.

    Pour bricoler tout ça et s’autojustifier, les activistes font des acrobaties. L’autre urluberlu d’Onfray faisait une distinction nette entre « violence » et « force », alors qu’il parlait du même phénomène.

    Alors quand on me parle de « coercition non-violente », je me demande si c’est pas seulement un autre moyen de mettre un verni d’acceptabilité sociale sur des actions qui ont au mieux par accident un effet de harcèlement psychologique (mais des fois c’est vraiment l’intention). On pourrait parler plutôt d’actions « sans agression physique ou destruction matérielle ». Parce que dans nombre de cas, ça reste quand même « violent »:
    1. Ça contrevient aux normes générales;
    2. L’action peut déclencher un choc intense chez certaines personnes;
    3. L’action peut modifier les rapports sociaux d’un individu à très long terme de manière négative.

    Bon, on peut en parler encore longtemps, mais je vais arrêter là pour le moment.

  • Anabraxas

    C’est peut-être redondant pour certain-es lecteurices, mais t’as lu « How Nonviolence Protects the State » de Peter Gelderloos?

    Je demande, car plusieurs des points que t’as énoncé ici ont déjà été défaits dans ce livre.

    Personnellement je crois que le problème réside dans cette fausse division -voire dichotomie- entre « violence » et « nonviolence », alors que dans la réalité des faits, tout n’est que relativités et perspectives. Du point-de-vue des autorités la violence répressive contre des manifestant-es sera traitée comme « l’usage de la force », alors que de casser des vitrines et des chars de flics sera peint comme étant des actes d’une violence extrème. Les choses sont bien différentes quand un copain se ramasse dans le coma à cause de balles de plastique de flics, pour avoir juste été dans une manif.

    Soit, suis-je le-la seul-e à avoir cette impression que beaucoup trop d’encre coule pour un sujet qui est en fait un non-lieu? Le débat violence Vs non-violence n’est qu’un autre produit de la division impériale. Encore mieux… de l’imputation des conquérants sur les peuples dominés/conquis, pointant du doigt « leur » violence, comme ces fascistes des médias parlaient de la violence des jeunes à Montebello en 2005, alors qu’une jeune hippie s’était fait battre à coups de matraque jusqu’à ce qu’elle tombe dans le coma (ce qui était pas de la violence pour Radio-Canada, vu que Charest était leur rock star).

    Je suis pas mal certain-e que ces gens voulant vraiment renverser un régime ou un ordre social dominant vont pas se perdre avec ce genre de débat déplacé. Y a des considérations stratégiques, éthiques, personnelles, émotionelles, affinitaires, matérielles qui ont plus d’importance que ça.

  • Chose Machin

    Merci, je tombais dans le piège 🙂

  • bakou

    Beau travail!

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