« Vous êtes pô fines! » ou Comment dépolitiser le féminisme
by pwll on Avr.12, 2014, under féminisme
Depuis quelques jours nous voyons défiler devant nous, des fois avec malaise,une multiplicité de textes ayant des tons plus ou moins acérés au sein du pays de féministoblogfacebookqc. Eh ben j’en rajoute ^^
Tout d’abord j’aimerais dégager les 3 côtés de ce qui me semble être loin de la chicane de sacoche, de la gang de hyènes ou des filles mean et jalouses (oui oui, j’ai tout lu ça ces derniers jours), pour plutôt attirer votre attention sur le fait que toute cette histoire est en somme 3 manières différentes de s’adresser à la même problématique (très féministe merci!), particularisée dans une personne mais, et ceci est un lieu commun de toutes dans tous les textes, profondément et systématiquement ancré dans notre société. Théoriquement, émotivement, et par une lunette de lutte politique.
Cet espace est permis par le féminisme. Par ses tensions et ses contradiction, toutes ces femmes, donnant toutes ces réponses, posant toutes ces questions, et hurlant toute cette colère font partie du processus enrichissant le féminisme. Toutes les femmes de ces interactions ont en commun la volonté d’émancipation des femmes comme groupe et/ou comme individue. Jusque là rien de nouveau. Là ou ça devient intéressant (où la jalousie s’emballe, où les sacoches revolent, où les hyènes…euh font ce que les hyènes font (?)) c’est quand on voit que cet espace partagé par toutes ces féministes devient l’arène d’une toute autre lutte politique (théorique et émotive!).
Pendant que les fins analystes dépeignent ce qui se passe comme de l’Ultimate Feminist Championship et que certaines se sentent attaquées au plus profond de leurs implants mammaires, s’est ouvert un champ de bataille où des femmes ont décidé d’affronter leurs valeurs, leur théorisations et leurs modes d’actions. C’est un espace où les idées néolibérales et les idées radicales se croisent et, par la force des choses, se tapent sur la gueule. Il n’est nullement ici question de déterminer qui est meilleure féministe que qui. C’est une expérience intersectionnelle très concrète : dans un espace créé par le féminisme, des femmes qui autrement n’auraient jamais croisé leurs idées, parce que n’ayant pas ou les mêmes réseaux, s’en sont donné à cœur joie. (D’ailleurs un gros bravo à jesuisfeministe.com. Ça a brassé pas mal et votre choix de tout publier ou diffuser a vraiment permis un espace étendu de discussions).
Ce choc entre les différents modes de luttes et différents moyens d’action est aussi fascinant que la vive réaction des gens, hommes et femmes confonduEs, qui se sont empressés de faire de leur empathie un bouclier contre cette méchanceté sans borne de pas fines qui se mettent en gang pour faire pleurer une pauvre petite fleur de 23 ans ( ???). Pourtant, prendre place, et profiter d’une tribune de personnalité publique c’est aussi avoir à assumer une responsabilité face à la défense ou à la diffusion de valeurs ou d’actions. D’un point de vue simplifié, on ne peut pas se faire porteuse d’idées ou symbole d’idéologie sans également être prête à recevoir les critiques sous toutes formes qu’elles soient. Avoir assez de pouvoir et de visibilité pour créer du réel doit comporter sa part de responsabilité et sa part de critiques. Et une personne/symbole qui a assez d’influence sur le réel pour participer activement à définir publiquement ce qu’est une féministe socialement acceptable (pas confrontratrice) doit être en mesure d’assumer la charge émotive et politique qu’elle participe à produire par la même occasion.
S’il semble que la principale intéressée l’a compris, il semble aussi que la majorité de son fan club et quelques alliées ne s’empêchent pas de la considérer comme un petit objet cassant.
Au-delà du voyeurisme quand même laid qu’illustre cette interprétation il y a encore la question de la révolte des oppriméEs. Les groupes opprimés peuvent s’empowerer mais pas de manière à déranger le système patriarcal. Il n’y a pas si longtemps, un blogueur de gauche connu ordonnait aux féministes : « Vous voulez qu’on vous aime? Soyez aimable. ». Et c’est ce que certaines essayent de le faire. D’être aimable avec ceux et celles qui veulent un joli féminisme. Et quand d’autres crient, expliquent et confrontent, les gentilles expliquent que c’est comme ça qu’elle ont choisi d’agir et de changer les choses dans la société. En s’adaptant à l’hostilité du système. Pas étonnant que le débat ait pété. Personne ne parle le même langage parce que personne n’a les mêmes privilèges à défendre et ce qui est nuisible pour unes est totalement légitimé par d’autres. Toutes sont féministes. Certainement. Mais dans cet espace permis par leur féminisme en commun, elles débattent aussi d’autres forces qui sont en lien direct avec la célébrité, les médias mainstream, et la diffusion de valeurs néo-libérales.
Quand Marc-André Cyr réfère à Mathieu Bock-Côté comme à un Elvis Gratton, on comprend l’image et la critique politique. On ne l’accuse pas de « personnaliser le débat ». Il n’a pas besoin de parler de grands concepts ou de garder un ton poli. Il est un homme fâché qui s’exprime dans l’arène politique. Mais des femmes qui font du politique entre elles sans être d’accord et sans se flatter dans le sens du poil c’est dérangeant. Ça dérange parce que des femmes ça devrait soit être des BBF ou se tirer les cheveux. Ainsi, le stéréotype du niaisagedefillesquisebitchent a une utilité pratique de ne pas prendre les protagonistes au sérieux. On rabaisse des discussions politiques à un simple concours de « qui est la plus féministe que qui » (come on ! Ce truc là n’est plus un vrai enjeu depuis longtemps!) quand on se retrouve en fait devant : « criss ces modes d’actions-là font vraiment chier le travail politique que j’essaie de faire de mon côté » et/ou « ce que cette personne représente sur la place publique m’est douloureux ». Ces critiques s’adressent (je le rappelle au cas où on oublierait encore) à une personne en premier, mais aussi à n’importe quelle féministe qui se sent interpellée. Celles qui ont répondu sont des femmes en pleine possession de leurs moyens et de leur plumes. Des femmes qui possèdent une tribune publique, des fans et qui sont gentilles, donc qui plaisent bien au statu quo. Différentes forces sont en jeu : celle qui rabaisse les débats de féministes en triviales chicanes de filles, mais aussi, celle qui légitime automatiquement ce que les féministes mainstream disent, parce qu’elles ne heurtent pas le statu quo et font partie de la pensée dominante.
Ainsi, quand les féministes qui plaisent au statu quo répondent à des critiques, elles « ont raison », sont « courageuses », et seront applaudies. Mais quand une femme sans tribune vomit sa colère et sa douleur on lui reproche immédiatement de « faire une bonne critique mais de ne pas avoir le bon ton ». Une féministe bien connue parlait de la colère des oppriméEs et j’ai beaucoup pensé à elle en voyant comment les féministes qui plaisent au statu quo et leurs fans ont immédiatement rejeté la critique émotive de la première lettre. Ainsi, pour celles qui ne sont pas en position de pouvoir, il leur faut obéir à des règles bien précises pour avoir le droit de critiquer ou d’être émotives. Sinon leur critique n’est pas légitimée par la pensée dominante. Sinon, leur pensée politique est complètement évacuée pour ne pointer que la forme. C’est des dynamiques bien connues de celles et ceux qui réfléchissent sur les rapports de domination et d’oppression, mais il est aussi bien connu que des fois l’émotivité est la seule manière qu’il reste pour s’exprimer pour des gens qui n’ont pas le pouvoir de créer le réel.
C’est pourquoi, personnellement, ça me heurte quand on reproche à unE non-dominantEs d’être en colère et de mal s’exprimer. On a pas toutes accès à des tribunes publiques qui permettent d’évacuer, d’influencer, et de rester gentille. Des fois quand nos expériences sont invisibilisées, la colère sort. Délégitimer la colère de quelqu’un parce que le politique qui est exprimé ne nous plaît pas, c’est laid.
Heureusement, le féminisme est un espace où des femmes sans pouvoir, et normalement sans voix, peuvent encore confronter politiquement des femmes avec du pouvoir. Et si je comprends qu’émotionnellement tous ces échanges ont pu/peuvent être épuisants et fâchants pour les participantes, je suis vraiment heureuse et fière de constater que parce que nous nous revendiquons toutes du féminisme, nous acceptons d’ouvrir des espaces de débat et de prendre nos opposantes au sérieux. Dire que le féminisme est parcouru de contradictions et que les débats sont permis est un fait connu que nous ânonnons une fois de temps en temps tel un mantra, mais vivre des moments ou des clash théoriques/politiques/émotionnels sont permis grâce au fait que toutes ces femmes sont féministes rend cela très concret.
La pensée féministe est donc encore un espace privilégié où les dominantes et les non-dominantes peuvent s’affronter et débattre. Ce n’est pas parfait et exempt de douleur mais ça existe et c’est précieux. Si nous pouvions continuer à nourrir cet espace oui par des débats, mais surtout en refusant les étiquettes de chicanes de sacoches, de méchantes jalouses et de titesaffairesquiontdelapeineparcequedautresnesontpasdaccord, nous, féministes de tous horizons, serons encore longtemps en mesure de rendre visible ce qui ne l’est pas et de confronter l’ordre établi de toutes les manières qui nous semblent bonnes. Le féminisme est politique, nos réflexions aussi. Ne les laissons pas être dévaluées.
avril 19th, 2014 on 19:09
Salut Whatev et bienvenue sur notre page!
Tout d’abord, j’aimerais vous demander si le « vous » est une forme de courtoisie ou si vous vous adressez à un groupe. Sachez que Pwll se représente elle-même. Le comité de rédac de la Tomate Noire (c’est-à-dire Steffen, Bakou, Pwll et moi) a simplement reçu le texte et donné son ok (sauf Pwll bien sûr, qui l’a écrit), comme il compte le faire au cours des prochains mois pour tous les textes. Ni plus ni moins.
Chacun de nos avis sur le texte (et le sujet!) est différent et personnalisé.
Ensuite, il y a une différence claire entre analogie et comparaison. À défaut de comparer des pommes à des poires, on peut faire des analogies sur leur rôle de fruit: une question de forme. Entre Léa et MBC, dans le texte de Pwll, il y a clairement analogie, pas « comparaison », tout dépendant cependant de la définition qu’on donne à ce terme. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Analogie) De la même manière, je pourrais bien dire que je suis pris au piège comme Hitler dans son bunker, sans m’identifier à un nazi, même si la figure de style est douteuse. En revanche, si on me dit que je fais des discours à la Mussolini, c’est une autre histoire.
Comme vous, je ne suis pas non plus toujours d’accord avec la manière d’argumenter de Marc-André Cyr et je l’ai dit à quelques occasions. Il n’y a pas d’unanimité sur le sujet.
avril 16th, 2014 on 00:05
Tout ceci est d’un ennui et d’une prévisibilité moribonde pour quiconque connait le milieu radical.
Je pense que la partie la plus hallucinée du texte, c’est quand on compare MBC à Léa Clermont-Dion. Un, elle n’a pas du tout le même standing en terme de vedettariat que ce messieur et de deux, on attend toujours la démonstration qu’elle est une ennemie politique aussi nuisible que ce chroniqueur conservateur qui monopolise toutes les tribunes.
Personnellement, j’ai toujours trouvé que les chroniques de Marc-André Cyr étaient d’une impertinence idéologico-émotive sans intérêt, comme plusieurs autres personnes le pensent d’ailleurs. Mais il attaquerait des gens de QS comme il attaque la droite présentement et beaucoup lui reprocherait le ton (comme ils vous arrivent).
Mais bon, de toute façon ce qui semble vous motiver est une critique déshumanisante des gens. En fait c’est juste ça la critique que certain vous porte je pense, c’est que vous n’êtes pas empathique, vous pensez que le public et le personnel sont séparés alors que ce n’est pas le cas et vous, vous êtes juste là à tugger les gens. Alors j’imagine que le kickback dans tout ça est que vous allez aussi connaître la douleur, ou au mieux (pour vous) l’indifférence. Et ça me rend juste profondément triste parce c’est de la violence qui en engendre d’autre.
Mais comme je disais en intro, c’est pas étonnant venant de ce genre de lieux d’où vous émergez.
avril 15th, 2014 on 15:52
Très bon texte!
avril 14th, 2014 on 18:37
D’ou vous vient l’expression: « le pouvoir de créer le réel »? C’est puissant!
Texte necessaire!
avril 14th, 2014 on 18:23
Le texte est maintenant gris sur noir. C’est un peu mieux?
avril 14th, 2014 on 17:03
Très gossant pour les yeux, des caractères blancs sur fond noir…. c’est plate, j’aurais aimé lire votre texte au complet.
avril 14th, 2014 on 01:04
Un temps bien utilisé 😉
avril 13th, 2014 on 12:22
d’avoir enlevé les « zones grises » c’est déjà bien. J’espère que vous n’y avez pas passé la nuit au complet ! 🙂