La Tomate noire

Cher Charles

by on Oct.08, 2014, under Général

Publié chez Sabotart, 2014.

 

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L’oeuvre est en fait une lettre qui est écrite par Nicolas sous forme de B.D. et s’adresse à Charles, prisonnier politique. Nicolas et Charles se sont connus dans le cadre des manifestations contre le G20 tenues à Toronto en 2010. Plus précisément, leur première rencontre remonte à leur arrestation commune, alors qu’ils et elles étaient une centaine de militantEs à dormir dans le gymnase de l’université de Toronto. Si Nicolas n’écope pas de charges, Charles s’en tire moins bien avec sept mois de détention. Nicolas nous relate sa relation avec Charles avant l’entrée de ce dernier en prison, se remémorant leurs discussions à propos d’Antonin Artaud, leur visite au Salon du livre anarchiste de Montréal de 2011, les soirées à micro ouvert où Charles lisait des passages de bouquins de manière aléatoire, la récupération de nourriture qu’ils pratiquaient à deux, etc.

Nicolas écrit cette lettre devant le manque de solidarité qu’il constate d’une partie de l’entourage de Charles et du portrait réducteur que les médias ont tracé de l’activiste. La B.D. veut d’abord et avant tout nous montrer qui est véritablement ce prisonnier politique, qu’on ne peut réduire à un simple voyou, si ce n’est pas à un terroriste dans certains cas. C’est donc une réflexion sur la violence que mène Nicolas, soulignant que la violence du système est bien plus grande que les gestes de vandalisme que reconnaît avoir commis Charles à Toronto. C’est cette violence systémique que combattent Charles et l’auteur de la B.D., qui ne saisit pas que des victimes du système financier et de la police peuvent se désolidariser de Charles. Cela amène Nicolas à avoir des discussions fictives avec des personnalités et des personnages qui font leur apparition dans la B.D.

Dans le cas de Gandhi, Nicolas souligne que les imagistes utilisent le célèbre militant de la non-violence afin de jouer la carte de la victimisation pour promouvoir leur cause. L’auteur de la B.D. dénonce également au passage l’hypocrisie des paci-flics qui citent Gandhi tout en faisant la job de bras des policiers en s’en prenant physiquement aux casseurs dans les manifestations, phénomène qui s’est propagé lors de la grève étudiante de 2012. Nicolas nous rappelle également que la résistante en Inde coloniale était loin d’être uniquement pacifique, message que les apôtres de la non-violence ne semblent pas vouloir entendre.

Réfoman fait également une apparition dans la BD., un personnage qui veut «apporter de légers ajustements au système sans le détruire». Celui-ci justifie le travail des policiers qui ne font qu’obéir aux ordres, ordres qui proviennent de nos élus que l’on peut remplacer démocratiquement si l’on prend la peine de voter aux quatre ans. Ce discours rappelle à Nicolas le régime nazi où l’on suivait également les ordres d’un parti qui initialement, a pris le pouvoir par la voie démocratique. Nicolas considère que brûler une voiture de police est légitime, dans la mesure où celle-ci fait partie de l’appareil de répression étatique qui maintient les inégalités en place. Réfoman y voit plutôt une mauvaise façon de s’exprimer dans une société démocratique (il adore ce mot), d’autant plus que ce sont les citoyens et les citoyennes qui paient la facture avec leurs impôts. Contrairement à Réfoman, Nicolas n’accorde pas la même importance au vote et au poids de la majorité, ce processus ne rendant pas l’injustice plus légitime en soi. C’est en somme l’inefficacité du réformisme et du pacifisme qui mènent Nicolas et Charles sur la voie du vandalisme, jugée plus salutaire.

Nicolas nous fait voir un côté de Charles que la population en général ignore quand il est question de militantEs ayant commis du vandalisme, les médias réduisant ces derniers et ces dernières à de simples casseurs. On y découvre son côté altruiste et utopiste, distribuant des fruits et des câlins aux inconnuEs, pratiquant la récupération de nourriture et étant impliqué dans des projets de jardins collectifs. C’est un jeune homme au grand cœur que nous découvrons, amant de la musique, de la danse et de la poésie. Je ne doute pas que Charles a agi ainsi parce qu’il est une bonne personne, mais on retrouve un biais favorable à la casse dans cette B.D. ainsi que l’utilisation d’actions plus violentes et ce aux dépens de méthodes que l’auteur juge moins radicales. J’ai conscience qu’une institution financière ne peut être comparée à mon voisin et qu’il est tout à fait injuste qu’une poignée de dirigeants décident du sort de l’humanité, mais je me pose des questions par rapport à l’efficacité du vandalisme pour faire avancer la cause révolutionnaire (personnellement, je ne considère pas que le bris d’une vitrine constitue de la violence. Au mieux on peut parler de violence symbolique. Le problème est que ce geste sera associé à de la violence par plusieurs et force est d’admettre qu’il émane d’une colère et d’une frustration que je comprends tout à fait, mais qui peut mener à des gestes qui me semblent contre-productifs. Au lieu d’expliquer quel est notre projet de société aux gens, on est pris à expliquer le sens de ces actions à la population, qui autrement pourrait très bien sympathiser avec nos objectifs).

Je pense entre autres à cette image de magicien qui tente de détruire le capitalisme et l’État en récitant des formules magiques devant son chaudron. Hors du vandalisme, point de salut? En quoi le vandalisme serait-il une menace pour le capitalisme et l’État? Au contraire, celui-ci ne pourrait-il pas justifier la répression étatique et éloigner les foules des messages plus radicaux? L’auteur laisse entendre que sa B.D. n’est pas qu’une œuvre, mais bien un appel aux armes. Pourquoi pas un appel à l’action à la suite d’une prise de conscience? L’État est très bien positionné pour faire face à une lutte armée, qui ne risque pas de rallier les foules. La non coopération avec le système et une résistance plus réfléchie me semblent davantage porteuses d’espoir. L’auteur de la B.D. est ambigu en ce qui concerne la non coopération envers le système. Il reconnaît une certaine validité à la philosophie de Gandhi qui prônait aux gens d’être le changement qu’ils désirent voir dans le monde, mais il semble juger que cette méthode ne peut avoir d’emprise si elle n’est pas reprise par un nombre significatif d’individus. On sent une certaine impatience chez l’auteur qui l’amène à rejeter cette option, mais c’est pourtant la non coopération et la désobéissance civile qui auraient permis de freiner le régime nazi. C’est sur ce terrain que semble amené l’auteur au moment de sa discussion avec Réfoman, personnage prônant pour sa part le respect des lois et des institutions. Dans le contexte du régime nazi, qui nierait que la désobéissance civile aurait pu être efficace afin d’éviter l’horreur? Le vandalisme et la lutte armée n’auraient vraisemblablement rien changé, bien que certains et certaines pourraient juger que la prise des armes dans ce cas précis était louable, voir nécessaire.

Il est clair que la désobéissance civile doit rejoindre un nombre significatif d’individus, mais n’est-ce pas le cas pour n’importe quelle méthode employée par les révolutionnaires? Et si l’on désire que cette méthode devienne un jour populaire, ne devons-nous pas commencer à la prôner soi-même dans notre vie, ce qui est l’essentiel du message de Gandhi? J’ai conscience que son message a été détourné de son sens originel et qu’il est bien mal représenté par les paciflics et les imagistes de ce monde, mais nous devrions réfléchir davantage avant de rejeter toute forme de résistance non-violente, surtout si ces méthodes sont associées à des caricatures de ce qu’elles pourraient être dans les faits.


2 Comments for this entry

  • bakou

    Je suis un peu surpris par un tel commentaire venant de toi. La désobéissance civile n’est pas incompatible avec l’action directe, loin de là. Pas plus que les actions non violentes, qui ne sont pas synonymes de passivité. Pwll a bien cerné le débat dans l’un de ses derniers textes et je pensais que ma position était elle aussi très claire. Loin de moi l’idée de condamner toute forme d’action directe. Si c’est ce que tu retiens de ma critique de la B.D., je conçois que tu ne l’aies pas aimé!

    Tout indique que la police de Toronto a laissé aller le Black Bloc durant le G20. À partir de ce constat, comment ne pas remettre l’efficacité de certains gestes posés? Moi aussi je trouve ça poétique une voiture de poulet qui brûle, mais mon but principal est de faire la révolution (collectivement hein, je ferai pas ça tout seul dans mon 1 et demie). Pas de m’émouvoir devant les flammes de la destruction sans prendre la peine d’évaluer si tout ça nous aide ou nous nuis.

    Un bon exemple serait la Grèce où on a beaucoup parlé des émeutes et des manifs, mais très peu voir pas du tout des gens qui avaient développés une espèce d’économie parallèle et un réseau de résistance et de désobéissance civile, qui m’est apparu essentiellement non-violent, mais drôlement efficace. Entre autre, ils rebranchaient les gens qui se faisaient débrancher leur électricité pour compte non payé, jusqu’à temps que les agents du gouvernement se tannent et laissent tomber. Les médias de masse ne disent rien là dessus. J’ai su tout ça dans le cadre des assemblées de quartier et de la gang d’occupons le coeur de l’ile.

    Bref, le débat n’est pas si simple et je pense qu’on doit tout faire pour élever le débat et non pas en faire une simple caricature.

  • Umzidiu Meiktok

    Moi en tout cas je trouve que l’action directe change la donne en ta’. Regardez le beau feu de joie.

    http://internacional.elpais.com/internacional/2014/10/14/actualidad/1413250883_179321.html

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