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Traditionalisme ou barbarie – le cas de Bock-Côté
by Umzidiu Meiktok on Mai.14, 2014, under Général
Notre définition usuelle de la civilisation
La civilisation ne se caractérise pas par un haut niveau d’empathie ressenti par les membres d’une collectivité quelconque, mais par une cohabitation sociale et normée entre des êtres humains généralement désignés à notre époque par le terme de citoyen-ne-s (civis).
Quand on est «civilisé-e», il n’est pas question de respecter chaque être humain formant le tout mais de respecter des normes établies, qu’elles aient force de loi ou pas. Quand on s’appelle Mathieu Bock-Côté, ces normes sont surtout l’usage « correct » de la langue française et les bonnes manières. Cela peut revêtir, pour lui, une importance inattendue: « Car le respect des formes contribue à la pacification des mœurs. » On pourrait passer beaucoup de temps à démolir cette assertion, mot par mot, et montrer en quoi toutes les disciplines des sciences humaines tendent à prouver que le respect des formes, c’est-à-dire ni plus ni moins le respect des traditions est une valeur ridicule et contradictoire, qui ne peut survivre à une réelle prise de conscience du changement historique[1]. Mais on y reviendra une autre fois.
De l’aveu même de Bock-Côté – et c’est aussi mon avis – la civilisation est la répression de nos désirs et cela se fait donc au service de normes qui ne conviennent pas à nos aspirations. Il y voit une chose extraordinaire, une lutte héroïque menée contre la brutalité. Moi j’y vois au contraire une canalisation de la violence dans la destruction systématique de tout ce qui sort du rang.
Ce qu’on considère comme barbare
Quand je surprends une discussion sur l’excision des jeunes filles quelque part en pays éloigné, j’entends inévitablement le même commentaire: « coutume barbare ». Il est évident que je suis, au-delà de tout relativisme culturel, opposé à une pratique aussi violente. Je garde espoir que dans certains cas, cette mutilation puisse être corrigée par chirurgie.
Certaines campagnes anti-excision, comme en Haute-Égypte, donnent par ailleurs des résultats. Mais cette pratique est loin d’avoir disparu.
Beaucoup sont horrifié-e-s par le maintien de cette tradition, qu’on associe généralement à des sociétés sous-développées, primitives, aux codes culturels peu raffinés. Et pourtant, cette barbarie qu’on leur attribue représente selon moi le comble de la civilisation, du moins selon la définition usuelle également partagée par Mathieu Bock-Côté.
Car l’excision du clitoris, de même que, parfois, la tradition de l’ablation du prépuce (surtout en Occident chrétien), vise une chose: contrôler les dérives du désir, servir des normes sociales difficilement atteignables sans mutilation. Il s’agit en fait de mettre le bistouri au service de la civilisation: forcer le corps à adopter une posture ou un comportement bien vu culturellement. Ici, on parle de tenter de contrer la masturbation dans un cas (tout dépendant de la culture qui l’applique), et tout plaisir sexuel génital dans l’autre, puisque ce dernier pourrait avoir lieu à l’extérieur des liens sacrés du mariage.
Les règles inventées avec le progrès des civilisations tendent généralement vers une affirmation plus solide des schémas de domination. L’honneur familial, qui pollue la vie de la progéniture humaine, vise à protéger les privilèges du patriarcat. Le contrat de mariage (incluant la dot) entre les pères de deux époux/ses est une manière de fixer sur papier une violence qui autrement aurait été écrite à coups de poing dans la chair. Mais il s’agit de la même violence, de la même brutalité. Elle a simplement gagné en efficacité et en raffinement. Dans notre culture démocrate libérale, on observe la même brutalité chez les flics, les politicien-ne-s et les juges qui disent vouloir protéger le « droit des citoyens à la circulation » et violent ironiquement la liberté de circuler à pieds ou à vélo, ou de contester.
Tout le monde n’est pas civilisé
Une personne civilisée, dans l’espace public, est une personne qui, lorsqu’elle s’exprime, emprunte le langage des dominants et respecte les normes à la mode chez l’élite. Ce qui permet à Mathieu Bock-Côté d’être aussi pédant et d’écrire autant d’idioties, ce n’est pas tant son originalité ou la portée de ses idées que sa connaissance et son utilisation des codes culturels – quoique vieillots – en cours dans les médias traditionnels. Idem pour Christian Dufour, qui en 2012, s’était quand même permis de dire que le discours de Gabriel Nadeau-Dubois était celui d’un « batteur de femmes » sans qu’on ait tous et toutes l’impression qu’il manque de classe.
Mais le problème, c’est qu’il existe quelque chose à l’extérieur des médias traditionnels. En cela, Bock-Côté n’est pas nostalgique d’une époque à laquelle tout le monde était poli et bien habillé. Il est nostalgique d’une époque (imaginaire) à laquelle rien ne se rendait jusqu’à nous, public ahuri, sans avoir été approuvé au préalable par une autorité supérieure. C’est ça, la civilisation: on transmet la culture au sommet de la pyramide, et elle s’écoule lentement vers le bas, jusqu’à une base qui n’a pas accès à l’expression, parce qu’on ignore ou rejette sciemment tout ce qui n’est pas conforme ou ce qui n’a pas les moyens de diffuser un discours.
À la limite, Bock-Côté est nostalgique d’une époque (imaginaire) pendant laquelle seulement Bock-Côté pouvait s’exprimer.
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[1] Et soyons sérieux/ses, ce que les nationalistes entendent toujours par « conscience historique », ça n’a rien à voir avec l’histoire et tout à voir avec les mythes fondateurs ou les mythes nationaux.