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Propagande
by bakou on Mai.22, 2015, under Général
«The conscious and intelligent manipulation of the organized habits and opinions of the masses is an important element in democratic society. Those who manipulate this unseen mechanism of society constitute an invisible government which is the true ruling power of our country.
We are governed, our minds are molded, our tastes formed, our ideas suggested, largely by men we have never heard of. This is a logical result of the way in which our democratic society is organized. Vast numbers of human beings must cooperate in this manner if they are to live together as a smoothly functioning society.» Edward Bernays, Propaganda.
Décédé à l’âge de 103 ans en mars 1995, Bernays est né à Vienne et a grandi à New-York avant de s’installer à Cambridge avec sa femme et partenaire dans ses travaux, madame Doris E. Fleischman. Neveu de Sigmund Freud, il serait l’un des premiers à avoir développé l’idée de changer l’opinion et le comportement du public, à une époque où ce concept se réduisait aux agences de presse et l’effort mis en place pour modifier des politiques gouvernementales. Son œuvre principale, dont je ferai un bref résumé ici, s’intitule Propaganda.
Publié en 1928, Propaganda est considéré par Noam Chomsky comme étant le manuel principal de l’industrie des relations publiques. Bernays serait en quelque sorte le gourou des adeptes de cette sphère d’activité. Bien que le document date un peu et que les techniques de propagande ont forcément évolué depuis la publication de l’ouvrage, je pensais qu’il serait intéressant de revenir sur un des ouvrages ayant marqué la naissance des relations publiques. Le livre serait en bonne partie fondé sur les leçons apprises lors de la Première Guerre mondiale.
Bernays affirme que dans presque tous nos actes quotidiens, que ce soit en politique ou en affaire, dans notre conduite sociale ou notre pensée éthique, nous sommes dominé-e-s par un nombre relativement limité de personnes. Ce serait la minorité qui comprend les processus mentaux et les tendances sociales des masses qui gouvernerait au dépend de la majorité. Bien qu’en théorie chaque citoyen et citoyenne soit en mesure de voter librement, nous nous serions entendus pour des raisons pratiques à ce que la machine des partis réduise le nombre de candidats et de candidates en liste à deux, voir peut-être à trois ou quatre individus tout au plus.
Bernays prétend que nous avons convenu volontairement, toujours pour simplifier notre vie, de laisser un gouvernement invisible filtrer l’information pertinente et les enjeux importants pour le public afin de limiter nos choix dans des proportions jugées raisonnables. La civilisation devenant de plus en plus complexe et le besoin grandissant d’un gouvernement invisible s’accompagnent par l’arrivée de nouveaux moyens techniques pour contenir l’opinion publique. Les journaux, le téléphone et la radio permettaient désormais de répandre instantanément l’information souhaitée rapidement à travers un vaste territoire.
Le gouvernement invisible dont parle Bernays est né à partir du moment où la bourgeoisie a pris la place des rois et de l’aristocratie. Avec la mise en place du suffrage universel et de l’éducation de masse, la bourgeoisie commençait à avoir peur du pouvoir populaire, car les masses menaçaient de la détrôner éventuellement. En réaction à cette possibilité, la minorité a découvert un mécanisme puissant pour influencer la majorité. Il a été démontré qu’il était possible d’orienter la pensée de la majorité dans la direction désirée, permettant ainsi à la minorité au pouvoir de contenir l’influence grandissante des masses populaires. Que ce soit en politique, en finance, dans le domaine manufacturier, en agriculture, dans les œuvres de charité ou en éducation, la propagande est le bras armé du gouvernement invisible. Bernays défini la propagande moderne comme étant un effort consistant pour créer ou former des évènements dans le but d’influencer les relations du public par rapport à une entreprise, un groupe ou une idée.
La propagande est universelle et continuelle. Dans sa somme totale, celle-ci encadre l’opinion du public aussi bien qu’une armée contrôle le corps de ses soldats. C’est le succès retentissant de la propagande durant la guerre qui a donné l’idée à la minorité «éclairée» d’appliquer une approche similaire en temps de paix. Bernays s’attarde au monde des affaires, à la politique, aux groupes de femmes, à l’éducation, aux services sociaux, à l’art et à la science. La propagande serait l’instrument permettant de maintenir l’ordre et d’ainsi éviter le chaos.
Bernays a contribué à former les relations publiques en favorisant le recours à l’approbation des leaders d’opinion, aux célébrités, aux docteurs et autres «experts» pour renforcer les arguments que ses clients voulaient mettre de l’avant. Il a également préconisé l’utilisation de sondages ainsi que la publication des résultats d’enquêtes et d’expériences pour renforcer la position ou les produits défendus par ses clients. Bernays fut essentiel pour rendre acceptable le fait que les femmes puissent fumer en public. En effet, il a supporté des démonstrations publiques, pour le bénéfice de la American Tobacco Company et des cigarettes Lucky Strike, où des débutantes étaient invitées à «s’en allumer une» rassemblées au coin des rues. Les cigarettes étaient même appelées «torches de la liberté». Bernays considérait que c’était une façon pour les femmes de démontrer qu’elles étaient égales aux hommes et illustrait le chemin parcouru par celles-ci depuis la naissance du mouvement des suffragettes. C’est du moins de cette manière que la propagande qu’il mit de l’avant opérait. Un autre de ses exploits a été de promouvoir le savon Ivory et de rendre le fait de prendre son bain plus populaire auprès des enfants en formant un panel national de sculptures miniatures, qui pendant des années organisa des compétitions de gravures dans le savon.
Rappelons que Bernays et Walter Lippman étaient tous les deux membres du comité sur l’information publique du gouvernement américain, qui réussit à convaincre une population jusque là isolationniste à supporter l’entrée en guerre, de leur gouvernement lors de la Première Guerre mondiale. Il sera également instrumental dans la campagne pour renverser le gouvernement élu du Guatemala. Son influence s’étend bien au-delà de l’ère suivant la Deuxième Guerre mondiale. Ses écrits dans les années 1940 et 1950 devaient aider à éduquer les leaders politiques quant à l’utilisation des médias de masse, en particulier en ce qui concerne l’emploi avantageux de symboles visuels pour produire ce qu’il définissait comme étant la «production du consentement» (engineering of consent). Bernays considérait le public comme étant somme toute assez bête. Un expert en relations publiques fait partie de la minorité intelligente et son rôle est de conseiller son client pour savoir comment aborder les masses, par l’usage de la psychologie. Dans une entrevue accordée peu avant sa mort, il se désole que le public ait acquis une conscience sociale, rendant ainsi plus ardue l’exploitation des masses laborieuses.
Je n’ai fait ici qu’un bref survol de Propaganda et tracé un portait très sommaire à propos d’Edward Bernays. Ceux et celles qui voudraient en savoir davantage sont invité-e-s à consulter l’œuvre de Bernays et à poursuivre leurs propres recherches sur ce personnage peu connu du grand public, mais fascinant. J’aimerais ultérieurement revenir sur le rôle que joue aujourd’hui la propagande dans nos sociétés dites démocratiques (elles n’en portent que le nom) et donner des exemples concrets quant à son application.
http://www.historyisaweapon.com/defcon1/bernprop.html
https://www.nytimes.com/books/98/08/16/specials/bernays-obit.html
http://www.beyond-the-pale.co.uk/bernays.htm