Assise entre deux chaises
by pwll on Oct.30, 2014, under Général
Dernièrement je suis allée voir ma famille en Amérique du Sud. Comme à chaque fois, je me retrouve dans la drôle de position de me sentir complètement chez moi, en même temps que complètement étrangère. Tout à coup les enjeux anticlassistes, antisexistes et antiracistes, je les vois à travers un prisme différent. Et je me surprends moi-même à trouver normales des choses que je trouverais inacceptables dans le Québec où j’habite maintenant. De la même manière, je me surprends à être confortable dans une identité nationale qu’on m’accole. Je me sens bien dans ce groupe identitaire quand pourtant je crache de toutes mes forces sur une identité fermée de Québécoise.
De la même façon, mes non négociables féministes s’assouplissent. Se surveiller quand on est une femme, accepter de faire plus de tâches ménagères que les hommes, voir les petites filles se faire éduquer à être toujours charmantes et toujours prêtes à donner des baisers. On dirait que je pile sur bien des choses parce que tout à coup je les contextualise d’une autre façon. Ça ne m’empêche pas de hurler « une femme qui se fait agresser ce n’est jamais de sa faute!!! », mais ça m’empêche de sortir en camisole seule ou de prendre un taxi seule. De toute façon, je me fais trop gosser. Peut-être aussi que je réagis moins vivement parce que je n’aime pas qu’on m’accole l’étiquette de gringa. Mes réactions féministes s’adaptent-elles ou suis-je juste moins confortable de les étaler?
Une partie de ma famille a migré aux États-Unis. Beaucoup sont entréEs comme sans-papiers, et je sais que je suis vraiment privilégiée de pouvoir entrer et sortir du Canada comme je veux et tout autant de pouvoir entrer et sortir du pays où je suis née. Ça me fait tellement de peine de les voir et de ne pas pouvoir répondre à leur « viens nous visiter plus souvent! » par un « vous aussi vous devriez venir! ». Ce n’est même pas une question d’argent… Juste une question de frontières.
Je haïs les frontières. Elles me font de la peine à moi et aux gens que j’aime.
Il y en a qui sont partis depuis très longtemps. Assez longtemps pour que leurs enfants, qui sont plus jeunes que moi, aient grandi la majorité de leur vie aux États-Unis. Et je trouve fascinant de constater à quel point certaines parties de leur identité sont en tension. Et dans un moment où ceux et celles qui le peuvent se retrouvent ensemble en Amérique du Sud, ces tensions deviennent visibles.
Je m’explique : les adultes ont voulu migrer pour donner une vie meilleure à leurs enfants et plus de possibilités d’avenir. Ce faisant illes essaient de se rapprocher de la vie des gringos. De la richesse de ces derniers et du mode de vie du « premier monde ». Illes sont super fierEs d’habiter dans de beaux quartiers, que leurs enfants aillent dans de bonnes écoles, puissent s’acheter des voitures qui valent cher et paraissent bien avec de beaux vêtements qui valent cher. Je passe pour une bizarre parce que je m’en contre-câlisse de leurs sacoches Louis Vuitton ou de leur pick-up de l’année. Et des fois ça les blesse. Dans ces moments ils mettent ça sur la faute du fait que « je suis une Canadienne gâtée » et là c’est moi qui suis blessée. Ma grand-mère est super fière que ses enfants et ses petits enfants aient « monté dans l’échelle sociale et aient plus d’argent et des professions ». Ce qui me fait vomir de la société de consommation, eux ils le voient comme un signe que leur vie est meilleure. Et qui suis-je moi pour leur dire le contraire? Je ferme ma gueule plus souvent que d’autre chose. Je suis privilégiée. Crissement privilégiée. Je ne me sens pas légitime de leur faire la leçon. Je ne ne sens pas légitime de leur enlever la joie d’inscrire leurs enfants dans des écoles privées ou de déménager dans un quartier bourgeois.
Leurs enfants, mes cousins-cousines, sont vraiment à cheval entre plein de choses. Par exemple, c’est super important pour eux que personne ne les confonde avec des MexicainEs. D’ailleurs illes, et leurs parents, font toutes sortes de commentaires désobligeants sur les MexicainEs : « Illes sont désordonnéEs, leurs maisons sont sales, illes paraissent mal, n’apprennent pas l’anglais… », tout en ajoutant un « je ne suis pas raciste j’ai plein d’amis Mexicains ». Mais en même temps, quand leurs parents ont l’air un peu maladroitEs, qu’illes se plaignent d’inconfort ou qu’illes utilisent leur derniers gadgets technologiques, leurs enfants prennent un ton agacé pour dire « fais pas ton gringo! », quand ceux et celles qui sont restés en Amérique du sud sont pourtant très fiers de pouvoir se payer ces gadgets.
C’est complexe.
Je ne sais pas quoi penser. D’un côté je suis vraiment heureuse de voir ma famille s’ouvrir des possibilités et améliorer leurs conditions matérielles d’existence, mais de l’autre, je suis torturée de voir que ça vient avec ce mode de vie et ces valeurs occidentales contre lesquelles je lutte de toutes mes forces. D’un côté je déteste vraiment avoir à être moins vindicative dans le comment je vis mes valeurs, d’un autre côté, je me sens bien de faire partie d’une communauté où j’ai l’impression d’être encouragée à sortir d’autres aspects de mon caractère…
Pis vous savez quoi?
De l’eau potable courante pis des douches chaudes c’est le fun en criss.