La Tomate noire

Des consultations à huis clos : non-sens ou stratégie politique ?

by on Juin.21, 2015, under Débats, écologie

On a récemment dénoncé l’opacité entourant les audiences « publiques » du chantier sur l’acceptabilité sociale mené par le ministre Arcand. Il est en effet absurde de considérer qu’une assemblée soit à la fois publique et à huis clos. Avant que le sujet ne retombe totalement dans l’oubli sous l’effet du spin médiatique bon qu’à donner la nausée, je souhaite souligner un élément qui semble avoir été occulté de la critique.

On utilise généralement la procédure du huis clos lorsque l’on souhaite éviter que des discussions ou des résolutions prises par un groupe soient connues par des gens qui n’en font pas partie. Par exemple, un huis clos voté lors d’une assemblée générale sert à éviter que ne soient présents des gens qui ne font pas partie de l’association qui s’est réunie en assemblée. Un autre genre de huis clos sert à éviter que ne soit inscrite une résolution particulière dans le procès-verbal d’une assemblée. Dans les deux cas, il s’agit de tenir à l’écart des gens qui sont considérés comme n’ayant pas affaire à participer à un débat ou à ne pas en connaître la teneur.

En ce qui concerne le chantier sur l’acceptabilité sociale, le plus problématique n’est pas le huis clos en lui-même, mais justement le fait qu’il implique que certaines personnes n’auraient pas affaire à être de ces consultations. Comment décidera-t-on de qui peut participer, et sous quelles conditions ? Devra-t-on se contenter de déposer des mémoires ? Permettra-t-on aux groupes de citoyennes et citoyens de s’exprimer librement ? Les limitera-t-on à poser un nombre prédéfini de questions, qui seront choisies à l’avance par le comité organisateur ?

Derrière l’idée du huis clos semble se dresser la logique managériale de l’ayant droit qui, telle que décrite par Alain Deneault dans Gouvernance, implique que pour être de la partie, il faut avoir préalablement prouvé la pertinence de sa présence[1]. Pour le dire autrement, le fait d’être un citoyen ou une citoyenne concernéE par un enjeu ne semble plus suffire pour qu’on ait la possibilité de s’exprimer et d’être entendu. C’est là une des beautés de nos « démocraties » représentatives : le seul geste politique légitime est celui d’un X de temps en temps marqué sur un bulletin de vote. Toute autre action doit s’inscrire dans un cadre donné dont les règles ont été écrites par un gouvernement qui n’a, semble-t-il, besoin que de l’appui de 30 % de l’électorat pour gouverner en monarque absolu. D’où des consultations opaques dont la participation suppose d’en accepter le paradigme.

Un peu comme pour les actionnaires d’une entreprise privée, il faut accepter la légitimité de l’instance dans laquelle on se trouve pour y participer. En accepter le décorum, les règles d’usage et la mission. Et lorsque tout porte à croire que l’essentiel des conclusions ont déjà été rédigées par le gouvernement avant même le début des consultations[2], on se demande si la participation au chantier sur l’acceptabilité sociale ne sert pas plutôt qu’à donner de la légitimité aux visées bassement extractrices du gouvernement libéral en quête d’un eldorado pour revamper les coffres d’une minorité de riches hommes d’affaires. Dans un contexte où le régime de redevances minières est une farce telle que l’on paie pour qu’autrui vienne extraire le minerai des sous-sols du territoire québécois[3], je suis porté à croire que ce chantier ne dérogera pas du régime austère imposé par le docteur Couillard.

Car ce chantier sur l’acceptabilité sociale ne servira pas à déterminer l’avenir des projets de développement économique au Québec. L’essentiel du projet est déjà décidé. Il s’agit plutôt de séparer l’opposition entre des interlocuteurs légitimes qui auront eux-mêmes donné une légitimité à la position du gouvernement en acceptant de jouer selon les règles du chantier et entre ceux et celles qui ne fitteront pas, par choix ou par contingence. Il y aura d’un côté des opposants et opposantes crédibles, mais museléEs par le cadre de consultations non décisionnelles, et les adversaires dont les demandes seront jugées irréalistes ou trop radicales et qu’on se bornera à ignorer. Le gouvernement ne cherche pas à obtenir l’appui de la population, il cherche à diviser l’opposition afin de mieux appliquer son projet destructeur.

L’acceptabilité sociale n’est pas à confondre avec un quelconque processus démocratique. C’est plutôt un concept léché tirant ses origines dans la tendance du développement durable, cette vaste opération marketing visant à faire taire nos objections écologistes à l’heure où l’on met à nu les ravages du capitalisme qui fait d’une planète aux ressources finies une planète finie. Après tout, rouler en Prius, c’est faire sa part pour la planète, n’est-ce pas ? Et pour faire des Prius, ça prend quoi ? Surprise ! Des métaux…

[1] Alain Deneault, «Prémisse 11 : Avoir intérêt à défendre des intérêts», Gouvernance : Le management totalitaire, Lux Éditeur, Montréal, 2013, pp. 51-56.

[2] Alexandre Shields, «L’intérêt public à huis clos», Le Devoir, (12 mai 2015), http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/439800/acceptabilite-sociale-huis-clos

[3] Coalition Pour que le Québec ait meilleure mine, «Budget du Québec : Austérité pour la population, mais des milliards en cadeaux pour les minières», (30 mars 2015), http://www.quebecmeilleuremine.org/communique/budget-quebec-austerite-milliards-en-cadeaux-pour-minieres

 


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