La Tomate noire

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Des consultations à huis clos : non-sens ou stratégie politique ?

by on Juin.21, 2015, under Débats, écologie

On a récemment dénoncé l’opacité entourant les audiences « publiques » du chantier sur l’acceptabilité sociale mené par le ministre Arcand. Il est en effet absurde de considérer qu’une assemblée soit à la fois publique et à huis clos. Avant que le sujet ne retombe totalement dans l’oubli sous l’effet du spin médiatique bon qu’à donner la nausée, je souhaite souligner un élément qui semble avoir été occulté de la critique.

On utilise généralement la procédure du huis clos lorsque l’on souhaite éviter que des discussions ou des résolutions prises par un groupe soient connues par des gens qui n’en font pas partie. Par exemple, un huis clos voté lors d’une assemblée générale sert à éviter que ne soient présents des gens qui ne font pas partie de l’association qui s’est réunie en assemblée. Un autre genre de huis clos sert à éviter que ne soit inscrite une résolution particulière dans le procès-verbal d’une assemblée. Dans les deux cas, il s’agit de tenir à l’écart des gens qui sont considérés comme n’ayant pas affaire à participer à un débat ou à ne pas en connaître la teneur.

En ce qui concerne le chantier sur l’acceptabilité sociale, le plus problématique n’est pas le huis clos en lui-même, mais justement le fait qu’il implique que certaines personnes n’auraient pas affaire à être de ces consultations. Comment décidera-t-on de qui peut participer, et sous quelles conditions ? Devra-t-on se contenter de déposer des mémoires ? Permettra-t-on aux groupes de citoyennes et citoyens de s’exprimer librement ? Les limitera-t-on à poser un nombre prédéfini de questions, qui seront choisies à l’avance par le comité organisateur ?

Derrière l’idée du huis clos semble se dresser la logique managériale de l’ayant droit qui, telle que décrite par Alain Deneault dans Gouvernance, implique que pour être de la partie, il faut avoir préalablement prouvé la pertinence de sa présence[1]. Pour le dire autrement, le fait d’être un citoyen ou une citoyenne concernéE par un enjeu ne semble plus suffire pour qu’on ait la possibilité de s’exprimer et d’être entendu. C’est là une des beautés de nos « démocraties » représentatives : le seul geste politique légitime est celui d’un X de temps en temps marqué sur un bulletin de vote. Toute autre action doit s’inscrire dans un cadre donné dont les règles ont été écrites par un gouvernement qui n’a, semble-t-il, besoin que de l’appui de 30 % de l’électorat pour gouverner en monarque absolu. D’où des consultations opaques dont la participation suppose d’en accepter le paradigme.

Un peu comme pour les actionnaires d’une entreprise privée, il faut accepter la légitimité de l’instance dans laquelle on se trouve pour y participer. En accepter le décorum, les règles d’usage et la mission. Et lorsque tout porte à croire que l’essentiel des conclusions ont déjà été rédigées par le gouvernement avant même le début des consultations[2], on se demande si la participation au chantier sur l’acceptabilité sociale ne sert pas plutôt qu’à donner de la légitimité aux visées bassement extractrices du gouvernement libéral en quête d’un eldorado pour revamper les coffres d’une minorité de riches hommes d’affaires. Dans un contexte où le régime de redevances minières est une farce telle que l’on paie pour qu’autrui vienne extraire le minerai des sous-sols du territoire québécois[3], je suis porté à croire que ce chantier ne dérogera pas du régime austère imposé par le docteur Couillard.

Car ce chantier sur l’acceptabilité sociale ne servira pas à déterminer l’avenir des projets de développement économique au Québec. L’essentiel du projet est déjà décidé. Il s’agit plutôt de séparer l’opposition entre des interlocuteurs légitimes qui auront eux-mêmes donné une légitimité à la position du gouvernement en acceptant de jouer selon les règles du chantier et entre ceux et celles qui ne fitteront pas, par choix ou par contingence. Il y aura d’un côté des opposants et opposantes crédibles, mais museléEs par le cadre de consultations non décisionnelles, et les adversaires dont les demandes seront jugées irréalistes ou trop radicales et qu’on se bornera à ignorer. Le gouvernement ne cherche pas à obtenir l’appui de la population, il cherche à diviser l’opposition afin de mieux appliquer son projet destructeur.

L’acceptabilité sociale n’est pas à confondre avec un quelconque processus démocratique. C’est plutôt un concept léché tirant ses origines dans la tendance du développement durable, cette vaste opération marketing visant à faire taire nos objections écologistes à l’heure où l’on met à nu les ravages du capitalisme qui fait d’une planète aux ressources finies une planète finie. Après tout, rouler en Prius, c’est faire sa part pour la planète, n’est-ce pas ? Et pour faire des Prius, ça prend quoi ? Surprise ! Des métaux…

[1] Alain Deneault, «Prémisse 11 : Avoir intérêt à défendre des intérêts», Gouvernance : Le management totalitaire, Lux Éditeur, Montréal, 2013, pp. 51-56.

[2] Alexandre Shields, «L’intérêt public à huis clos», Le Devoir, (12 mai 2015), http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/439800/acceptabilite-sociale-huis-clos

[3] Coalition Pour que le Québec ait meilleure mine, «Budget du Québec : Austérité pour la population, mais des milliards en cadeaux pour les minières», (30 mars 2015), http://www.quebecmeilleuremine.org/communique/budget-quebec-austerite-milliards-en-cadeaux-pour-minieres

 

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Un cycliste et sa haine des chars

by on Oct.05, 2014, under Débats

L’autre jour je me promenais à vélo sur une des seules pistes cyclables de l’est de Montréal. Bande cyclable devrais-je dire pour respecter les termes officiels employés par la Ville. Je roulais, donc, à la lueur nocturne de mes lampes clignotantes en direction de mon chez-moi. Au moment de croiser une intersection, une voiture roulant dans l’autre sens amorce un virage à gauche (donc dans ma direction). Arrivé nez à nez avec moi, il finit par s’arrêter devant mon imposante paume levée dans sa direction. J’aperçois alors le conducteur qui me fait signe de la main que je n’ai pas fait mon contact visuel avant de traverser l’intersection. Avoir eu l’esprit plus vivace, je lui aurais balancé un truc du genre : « Hey le Sma’t, tu vois pas qu’il fait nuit et qu’il a fallu qu’on soit face à face pour que je te voie la face ? En plus, t’es pas conscient qu’avant même la notion de contact visuel, le Code de la route prévoit des priorités de passage faisant en sorte qu’une ligne droite ait priorité sur un virage ? »

 

Un autre jour, plus récent celui-ci, je suis sur la même rue, mais plus dans l’Ouest, là où il n’y a ni piste ni bande cyclable. J’ai néanmoins la bénédiction des Dieux pour y circuler, car il y a une pancarte qui indique que c’est une route partagée. Il y a même des vélos peinturés sur le sol, du même genre de peinture qu’on fait autour d’un cadavre pour signifier l’endroit et la position où on l’a retrouvé. J’avance lestement tout en gardant une bonne distance avec la cycliste qui est devant moi. Toujours est-il qu’un véhicule venant en direction inverse (encore, tiens !) décide de faire un fameux virage en U et passe à un poil de percuter la cycliste qui me précède. L’automobiliste s’arrête, se rend compte de son geste stupide et lance un « je m’excuse » depuis l’intérieur de son habitacle. Arrivé vis-à-vis l’autre cycliste, je lui lance :

« Y’est malade, lui ! Toi, ça va ?

— Oui, me répond-elle, c’est juste le deuxième aujourd’hui. »

Je lui souhaite bonne chance et reprends ma route, en souhaitant qu’elle arrive à destination promptement.

 

Je voudrais bien avoir tort dans ce que je m’apprête à dire, mais je crois que j’ai malheureusement raison là-dessus : à peu près toute personne faisant du vélo de façon régulière à Montréal passe proche de se faire frapper, emportièrer ou rouler dessus au moins une fois par trajet. Là, j’insiste sur le « régulièrement » pour mettre l’accent sur ceux et celles qui se servent du vélo dans leurs déplacements quoditiens (travail, études, etc.), et non les cyclistes du dimanche (littéralement) qui ne font du vélo que lorsque les voitures sont moins nombreuses et les automobilistes moins dopéEs au café. Bref, faire du vélo est un danger de tous les instants. Les médias traditionnels ont peu tendance à montrer cette dure réalité, à moins que des cyclistes ne meurent ou du moins se retrouvent grièvement blesséEs des suites d’un accident de la route.

 

D’ailleurs, cet été on a connu un nombre important de décès et d’accidents de toutes sortes impliquant cyclistes et automobilistes. Sans surprise, le décompte des vies perdues se retrouve seulement du côté des premiers. C’est là une évidence, mais il me semble que ça vaille la peine de le rappeler, étant donné l’attitude des seconds. Et ce ne sont pas les solutions bidons proposées en toute hâte par les projetmontréalistes plus soucieux de leur image « provélo » que de solutions à long terme qui vont changer les choses. Pelleter le problème sur le trottoir, c’est ajouter du danger dans le parcours des piétons qui sont déjà mis à mal par les automobilistes. Ce sont les chars qui doivent céder de leur emprise sur l’espace public, pas les piétons.

 

Montréal a beau être une des villes les plus vélo friendly de la planète, il n’en demeure pas moins qu’un cycliste tué, ce n’est pas une statistique, c’est un meurtre. Une personne pour qui j’éprouve un mélange d’amour et de mépris a souligné, il y a quelques années, qu’une voiture est comme une arme à feu. Du bout des orteils, comme du bout des doigts, on peut générer assez de puissance pour terrasser un être vivant et lui faucher la vie. J’ajouterais à ça que si on souhaitait faire de Montréal une vraie ville où il fait bon pédaler, on permettrait aux cyclistes de rouler arméEs. En plus, la Ville devrait distribuer gratuitement, une journée par an, des 303 et des AK-47. Comme ça, on pourrait rééquilibrer un peu le rapport de force.

 

Enfin, vous comprendrez que derrière cette apologie des armes à feu se cache plutôt un profond mépris pour l’homo automobilis. J’haïs les armes autant que j’haïs les chars. Voyez-y une mesure de cette haine, et non un appel à s’entretuer. Je sais que le transport en commun, c’est d’la marde… C’est pour ça que j’évite de le prendre huit mois par année, beau temps, mauvais temps. Je le sais que la toune qui joue à la radio est celle qui a joué hier, et avant-hier, et l’autre jour avant et ainsi de suite. C’est correct si vous deviez aller porter les enfants et que c’est trop compliqué, long et chiant d’y aller autrement qu’en auto. Je comprends aussi si votre job est à une heure de chez vous parce que vous voulez vivre dans un milieu exempt de chauffards. Je souhaite la même chose, mais sans avoir à m’exiler dans un dortoir fait en béton. Sachez que le système économique dans lequel on vit se nourrit de la destruction de l’environnement par la perpétuation du règne du char. Tous les éléments culturels qui nous entourent nous encouragent à intégrer l’auto dans notre quotidien, voire d’intégrer notre quotidien dans l’auto. Vouloir aller à l’encontre de ce totalitarisme, c’est s’exposer aux contrôles des agents de sécurité du métro ou aux automobilistes fous furieux. Peu importe la raison qui explique votre décision de prendre l’auto chaque matin, vous contribuez au problème en plus de mettre en danger la vie des autres, pis en plus vous polluez. Ça fait que prenez votre mal en patience et donnez priorité aux cyclistes ! Sinon on va commencer à rendre les coups…

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L’anarchie c’est le chaos, ou comment le libéralisme aime les confusions

by on Juil.11, 2014, under anarchie

On associe à Thomas Hobbes, un des grands penseurs du libéralisme, l’idée selon laquelle la nature humaine est fondamentalement mauvaise. Sans des mécanismes pour la contenir, cette essence sévirait sur le groupe, l’amenant à la destruction. Pour éviter ce problème majeur, une société fonctionnelle doit donc se doter de moyens coercitifs sans lesquels elle sombrerait assurément vers le chaos, voire l’anarchie !

 

Le début de la fin de l’ordre social

Si l’anarchisme et le libéralisme ont en commun certains grands principes du Siècle des Lumières, c’est toutefois sur la question du contrôle social qu’ils se distinguent le plus. L’influence de Hobbes sur la pensée libérale en est un exemple éloquent. Pour les tenants du libéralisme, une hiérarchie s’impose pour que se maintienne l’harmonie sociale, tandis que pour les anarchistes, c’est plutôt par le maintien de relations égalitaires que l’on vise ce même objectif. Pour le dire autrement, ces deux idéologies abordent la liberté de manière contraire à l’autre : la liberté des libéraux est essentiellement négative, tandis que celle des anarchistes est au contraire positive; la pensée libérale définit la liberté comme une absence de contraintes, tandis que celle des libertaires insiste plutôt sur la capacité à faire ou à créer de chacun et chacune. De même, dans notre société libérale, on conçoit difficilement que liberté et égalité puissent coexister, ce qui nous amène à toutes sortes de dérives abrutissantes dont l’équité n’est que la plus récente expression. Pour clore cet aparté sur l’égalité, j’ajouterai qu’il faut savoir distinguer « pareil » et « égal ».

Ce que je cherche à exposer ici est la chose suivante : formatée par le libéralisme, notre pensée amène ceux et celles n’étant pas versé-e-s dans les subversives écritures libertaires à concevoir l’absence de hiérarchies comme le début de la fin pour l’ordre social, et ce, qu’il s’agisse de gens de gauche ou de droite. On appellera alors aux dangers de suivre la « loi de la jungle », où le « plus fort » l’emporterait assurément. Notre culture populaire contemporaine est empreinte d’une crainte du dérapage social. En effet, les dystopies et autres genres nous permettant d’entrevoir un avenir différent de notre quotidien montrent sans arrêt diverses versions du cliché si magnifiquement passé à l’histoire de ces grands singes en compétition dans 2001 Odyssée de l’espace. Le roi de la colline sera celui (jamais celle) qui aura le plus gros bâton. Pour résumer, l’anarchie, selon l’adage populaire, c’est le chaos généré par l’absence du nécessaire contrôle social.

Outre cet usage populaire du mot « anarchie », c’est-à-dire, lorsqu’on se met réellement à parler de l’anarchie et des anarchistes, on découvre que l’on n’est guère mieux servi-e-s. Comme l’a bien démontré Francis Dupuis-Déri dans un texte portant sur le traitement de l’anarchisme dans les médias de masse, l’observatrice critique et l’observateur sceptique auront l’embarras du choix devant les lieux communs qui servent de points de repère sur la question. Ainsi, il y a les traditionnels « fauteurs de trouble », ces « agents du chaos », « apolitiques » ou « sans foi ni loi » (celui-ci, avouons-le, est généralement vrai). À ceux-ci, on ajoute les désormais célèbres « casseurs », ces membres du groupuscule Black Block, dirigé par le chef des anarchistes, nul autre que l’organisateur d’émeutes par excellence, l’infâme Gabriel Nadeau-Dubois ! Non seulement la somme des affabulations sur les libertaires est-elle nulle en termes de cohérence, on y retrouve aussi tout ce qu’il faut pour camoufler la vérité à coups de tromperies, mensonges et autres démagogeries.

 

L’hégémonie libérale

Loi de la jungle, loi du plus fort, chacun pour-soi et autres lois du chaos et de l’âge sombre de l’humanité que l’on rappelle sans cesse sous la maxime sexiste : « là où il y a de l’homme il y a de l’hommerie » sont pourtant à cent mille lieues de l’anarchisme. Sans aller jusqu’à voiler les problèmes qui peuvent survenir au sein des milieux libertaires, notamment ceux dus à la prévalence du sexisme et de relations de pouvoir basées sur les performances militantes, je pense qu’il est fautif de rassembler tous ces maux sous le drapeau noir de l’anarchie. En fait, s’il y a une pensée politique par laquelle ils se propagent, c’est plutôt du côté du libéralisme et de sa version économique, le capitalisme, qu’il faut regarder. « Loi » de l’offre et de la demande rendues caduques par des oligopoles, externalisation de la destruction de la planète à des fins d’économie d’efforts, antisyndicalisme grossier, bâillonnement de la critique, répression et criminalisation de la dissidence, voire même assassinat d’opposants politiques : voilà diverses facettes de cette loi de la jungle, celle où les plus forts tirent profit de l’exploitation des plus démuni-e-s, des marginaux et des marginales et de ceux et celles qui comblent les strates inférieures de l’échelle sociale. C’est à la compétition inhérente au capitalisme qu’il faudrait accoler le vocable de « loi de la jungle », pas à l’anarchie. En effet, qu’y a-t-il de plus violent, de plus liberticide, mais de plus commun que de devoir notre survie à notre capacité à marcher sur autrui ?

Pour complexifier l’état des choses ceux ou celles dont on pourrait s’attendre qu’ils ou elles fassent partie des dominé-e-s ont des comportements dignes des dominants. C’est qu’il y a une éducation et une culture qui font en sorte que se maintienne en place une minorité de maîtres au détriment de la majorité. C’est que cette majorité est composée en bonne partie de cette classe moyenne, multipliée jusqu’à en perdre l’essence, mais toujours trop occupée à édifier sa propre destruction en imitant le mode de vie de ceux qui la gouvernent, sans en avoir les moyens. On notera, par la bande, que le processus cannibale par lequel se maintient la classe moyenne n’est pas sans externalités lui non plus, car, fidèle à ses maîtres, cette classe détruit tout ce qu’elle peut sur son passage. C’est aussi que les relations de pouvoir fusent de toute part et qu’aux intersections de toutes ces chaînes les maillons s’en trouvent renforcés, qu’on puisse aussi être à la fois dominant ou dominante d’une part et dominé-e d’autre part, voire même de faire semblant d’être l’un tout en étant l’autre (je pense ici à cette chimère d’un matriarcat québécois).

La société est aux prises avec un système de valeurs, de croyances, d’idées totalisantes et hégémoniques. À l’heure où la pensée est formatée non seulement plus par l’école, mais aussi la télé et surtout Internet[1], l’allégorie d’une certaine caverne platonicienne revient soudainement en tête alors qu’on tente de s’imaginer hors de ce carcan de la hiérarchie nécessaire et de la compétition obligée. Pris, prises et privatisé-e-s que nous sommes, nous entrevoyons tout avenir politique comme étant nécessairement étatisé, capitalisé et hiérarchisé. Comme quoi on ne se sort pas des lieux communs avant de les avoir cartographiés.

Enfin, ces ruminations de l’esprit souhaitent avant tout remettre au goût du jour le capitalisme pour ce qu’il est : un système économique fondé par une idéologie de la domination de l’individu sur les autres, un libéralisme qui, dans les faits, a davantage contribué à l’élaboration de nouvelles chaînes plutôt que d’en libérer le genre humain, voire le règne du vivant tout entier. Ainsi, à l’heure où l’on nous leurre sur ce que serait l’anarchie, tous les maux dont on afflige cette hérétique idéologie de l’autonomie collective sont en fait ceux qui adviendront lorsque nous aurons cédé aux tortionnaires du réel et aux idéateurs précoces qui s’évertuent à louanger notre société libérale.

 

[1] Suite à un commentaire pertinent de mon camarade Bakou, je précise ici ma pensée en admettant qu’il existe des bons côtés évidents à Internet. L’un d’eux étant bien entendu la démocratisation sans précédent de l’accès à l’information. Malheureusement, comme tout bon outil, on en retrouve aussi des usages aberrants, voire haineux. J’ajouterai que devant une telle masse d’information, il est de plus en plus nécessaire de savoir distinguer le bon du mauvais.

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Un anarchiste et son vote : un oxymore raisonnable?

by on Avr.24, 2014, under Débats

Après deux textes de mes camarades concernant la posture anarchiste sur le système électoral, je me lance à mon tour et en profite pour sortir du placard. En effet, malgré un débat intérieur de plusieurs années, j’ai voté aux trois dernières élections, soit les provinciales 2012, les municipales 2013 et les provinciales 2014.

C’est que le débat oscille à la manière d’un équilibriste sur la ligne qui démarque le territoire abstentionniste du territoire votant. J’ai déjà pratiqué l’abstention politique, et je tiens à préciser que je considère toujours qu’elle demeure une option valide, possible et souhaitable. Je me battrai férocement contre les idiots de l’Institut du Nouveau Monde qui croient que le vote devrait être obligatoire. Même si l’on ajoute la possibilité du vote blanc, je n’accepte pas qu’une loi oblige une personne à faire quelque chose. Je suis quand même (un peu) anarchiste après tout. 😉

Le texte qui suit n’est nullement un essai de prosélytisme électoral. S’il y a bien une posture politique qui me fasse autant vomir de haine, c’est bien celle que le DGEQ et ses fidèles professent, posture que je place dans le même spectre abrutissant que celle des paciflics dans les manifs. Je clarifie d’emblée ce point : l’abstention électorale est tout à fait légitime.

Autre point que je me dois de clarifier : je ne vote pas à toutes les élections et je ne crois pas qu’il soit pertinent de le faire à toutes les occasions et dans toutes les circonscriptions. Par exemple, si je vais au bureau de vote pour les fédérales en 2015, ce sera parce que je passais par là et que l’envie me prit de faire de l’urne un pot de chambre. J’ai voté pour Québec solidaire dans Outremont en 2012 et dans Rosemont en 2014 par mépris pour Raymond Bachand et Jean-François Lisée. Avoir résidé dans D’arcy-McGee, je ne m’en serais même pas préoccupé. En fait, et vous comprendrez là que je suis probablement le plus utilitariste des quatre personnes réunies par ce blogue, c’est que je m’autorise une sorte de vote stratégique dont les modalités ont bien peu à voir avec celles des péquistes. J’ose croire que ma démarche est un tant soit peu plus rationnelle. D’ailleurs, je ne ferai aucun appel à Lévesque dans les lignes qui suivent. Je crois qu’il peut s’avérer pertinent, en certaines situations précises, d’aller prendre une marche pour déposer un bout de papier dans une boîte. Voter, comme ne pas voter, se doit d’être le résultat d’une réflexion éclairée, pas seulement d’un appel aux sentiments ou au dogme auquel notre option politique se rapporte.

Faire preuve de stratégie dans un comportement implique à mon sens une bonne dose de raisonnement. Et c’est pourquoi, depuis que je suis en âge d’être anarchiste, je mène une discussion parfois silencieuse (avec moi-même), parfois avec des gens, sur la question. Jusqu’à présent, la plupart du temps, l’abstention l’a emporté. Depuis l’été 2012, toutefois, et pour diverses raisons, mon ardeur abstentionniste c’est ramollie, non pas face à des arguments béton de la part du camp pro-vote (il n’y en a pas tant que ça), mais plutôt par un manque d’arguments du côté des libertaires pur·e·s et dur·e·s. D’ailleurs, si vous avez des arguments à me donner, je n’attends que ça.

On dit souvent (et pas seulement chez les libertaires), que voter ne change rien, parce qu’on se fait fourrer de toute façon. Cette vision des choses, lorsqu’alimentée par une vision politique, implique le plus souvent le manque de diversité politique quant aux partis. D’ailleurs, c’est pourquoi je ne sens pas le besoin de me déplacer aux élections fédérales. En effet, l’ennemi conservateur est de facto exclu de la métropole, et les autres partis se ressemblent tellement qu’un ancien libéral du Québec est aux commandes du « parti pas mal à gauche » (dixit Richard Martineau) et qu’un ancien néo-démocrate de l’Ontario a assuré la direction par intérim du parti de « centre gauche » l’an dernier. Bref, libéraux ou néo-démocrates, même combat !

Pour en revenir à l’argument principal, voter ne change rien certes, mais ne pas voter non plus. À ce sujet, je me permets de revenir sur un des arguments du camarade Bakou comme quoi voter légitime une tactique politique, notamment grâce au pourcentage de gens qui votent, ce qui en délégitime une autre (l’abstention). Or, avec l’exemple des élections pour les commissions scolaires, on a là une situation où le haut pourcentage d’abstentionnisme ne remet aucunement en question le système électoral. De plus, aux élections provinciales de 2008, près de 50 % de la population n’est pas allée aux urnes. Ceci n’a pas empêché Jean Charest de mener en toute légalité des réformes que je me contenterai de qualifier de trash, notamment l’instauration d’une taxe santé et la fameuse hausse des frais de scolarité ayant mené à la grève de 2012. Bien entendu, l’argument de la légitimité ici doit être placé en relief avec ce que l’on considère légal. Il y a toute une réflexion publique à y avoir sur la différence entre les deux et l’importance de ne pas perdre de vue que les lois sont souvent (lire : presque tout le temps) illégitimes. Notre système politique fait en sorte que les portes de l’assemblée sont grandes ouvertes pour quiconque s’improvise sorcier du Code civil. La pluie d’injonctions lors de la grève de 2012 et le recours systématique à des lois spéciales pour noyer les grèves générales, comme on l’a vu en 2013 avec le secteur de la construction ne sont que quelques exemples qui témoignent de la toute-puissance de la loi sur le politique. Il me semble que la légitimité du système électoral ne se jouera pas au pourcentage de vote. Ce n’est pas le nombre de gens qui votent qui perpétue ce système, c’est le DGEQ, les lois et l’attaque systématique qui est faite contre les abstentionnistes qui pourtant peinent à faire entendre leur voix dans les médias. À ce titre, c’est de l’éducation populaire sur la légitimité en politique qu’il faut, pas s’abstenir de voter.

Autre argument porté par les abstentionnistes libertaires est celui du refus de cautionner un système politique en rupture avec leur idéal. Cet argument-là vient me chercher un peu plus, parce que c’est vrai qu’au final, l’élection est un système politique autoritaire, irrationnel et exclusif. Or, je fais une différence entre voter pour un parti que je souhaite voir gagner, et voter pour alimenter un contre-pouvoir institutionnel. Je me sens obligé de spécifier ici que ce contre-pouvoir ne doit jamais se substituer à celui de la rue et des actions directes. Je pense cependant qu’ils peuvent agir en parallèle. En anarchologie, on parle souvent de l’importance d’accorder les moyens aux fins que l’on souhaite obtenir. D’où l’importance de se doter de structures antiautoritaires et consensuelles, ainsi que de safe-spaces, de mécanismes de prise de parole qui limitent la domination des voix masculines, etc. Je comprends l’argument du refus de cautionner l’élection comme une application de cette maxime libertaire. Toutefois, il y a dans l’immédiat des fins qui m’apparaissent souhaitables, bien que réformistes, surtout en l’absence d’un mouvement populaire qui permettrait l’usage de tactiques plus légitimes. Des partis comme Projet Montréal (avec de gros bémols)[1] au municipal et Québec solidaire à l’échelle de la province présentent des idées qui, à court terme peuvent avoir un impact positif sur la vie quotidienne des gens, et qui sait ? peut-être favoriser la création d’espaces politiques alternatifs ou libérer du temps de travail pour permettre une implication politique directe. Pour le premier des deux partis, j’avoue m’être fait prendre par les sentiments (ce qui ne réarrivera pas en 2017) en novembre dernier: je hais les chars et tous les moyens sont bons pour s’en débarrasser. Pour le second, Amir, Françoise et Manon sont bien loin « d’envoyer mes camarades en prison », pour reprendre un argument de mon camarade Umzidiu. En fait, Amir a failli y aller en 2012…

Au-delà du pouvoir politique qu’un de ces partis pourrait détenir dans un avenir lointain, le plus important demeure pour moi que leur présence permet de diffuser certaines idées générant un terreau fertile plus à gauche. « Bien faible contre pouvoir » diront les braves, « certes, répondrai-je, mais il ne coûte pas grand-chose, pas de bleus, ni de dents cassées, ni de tickets de 600 piastres à contester ». On m’accusera ici de prêcher par poltronisme, je répondrai que je ne prêche pas, je discute. Les péquistes prêchent. L’INM prêche. On verra que l’un va souvent avec l’autre d’ailleurs. Pour faire preuve de compromis, on pourrait dire: « l’élection n’arrive qu’une fois aux quatre ans, le reste du temps, c’est pour passer à l’action ».

Dernier argument que j’aborderai, celui-là je le tire tout droit du texte du camarade Umzidiu: voter, c’est choisir ses maîtres et les imposer à la minorité. D’abord, pour rectifier, c’est le plus souvent une minorité d’électeurs et d’électrices qui imposent leur choix à la majorité. Dit de manière mathématique : 42 % de 71 % de 5 991 361 =  1 786 623, soit 22,33 % de la population totale du Québec a voté pour le PLQ. Je pense qu’on s’entend pour dire que le système électoral est non seulement déficient, il est grossier, mal élevé et autoritaire ! Blague à part, je crois comprendre ici que la posture des libertaires sur le vote est celle du rejet d’un système merdique. Cependant, bien que je sois d’accord avec les arguments présentés contre le système électoral, il reste que présentement, il est là. Tout comme le capitalisme est là, auquel on s’oppose en acceptant quand même (pour plusieurs) le travail et la consommation. Bref, on vit dans un système politique inégalitaire et oppressif, mais en attendant l’opération révolutionnaire, le baume réformiste peut s’avérer souhaitable pour garder vivante la société malade.

Il y a quelque chose de paradoxal entre le rejet du vote chez de nombreux anarchistes et l’insistance qu’ils et elles ont à s’afficher comme abstentionnistes. Cela vaut d’autant plus pour les tenants et tenantes du cirque électoral, mais bordel ! un vote ne reste bien qu’un vote ! Autant il y a des façons plus concrètes d’agir politiquement, autant il y a un quotidien dans lequel on n’a pas toujours une masse critique de personnes mobilisées pour provoquer la chute des institutions qui nous font broyer du noir. Au-delà (bien au-delà en fait) du débat sur voter ou s’abstenir, j’observe trop souvent de la raideur chez des anarchistes qui tentent tant bien que mal de dépoussiérer les vieilles plateformes du siècle dernier. À chaque chose son contexte : le Québec n’est pas la Grèce, ni l’Espagne; avoir Bakounine ou Makhno pour idole n’est pas mieux que de faire appel à Khadir ou Ferrandez afin de conjurer les problèmes sociaux. Bien entendu, je ne pense pas que toutes les personnes se disant anarchistes tombent dans ce panneau. Je souhaite seulement une discussion ancrée dans son contexte.

S’il y a un constat que je tire de la grève étudiante, c’est qu’il faut 300 000 personnes en grève pendant plusieurs mois pour freiner une mesure qui reviendra sournoisement par la porte d’en arrière à la première péquiste venue ! La révolution ne me semble pas possible (bien que souhaitable) à court terme, et je ne suis pas partisan de la théorie qu’il faut cultiver les inégalités pour faire surgir la révolte. Quelques réformes sur le court terme pourraient valoir pas mal plus que mon orgueil libertaire; pour le dire autrement, le moyen électoral, dans le cas précis du Québec et des deux partis susmentionnés, ne va pas contre la fin désirée : celle-ci se résumant à de meilleurs services publics, une prise en compte systématique de l’écologie et des inégalités femme-homme dans les politiques (surtout QS pour celui-là), et non à la révolution libertaire.  Pour ça, il y a toujours la rue, les pavés et les camarades.

 


[1] Au moment de publier ce texte, Richard Bergeron, Le chef du parti a annoncé qu’il était content de voir Robert Poëti en tant que ministre responsable de Montréal, parce que c’est un gars qui vient de Lasalle. Non à P-6 et oui à Poëti ? Devant tant de cohérence politique je me range chez les abstentionnistes !

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