Tag: syndicats
SyndiquéEs SEUQAM, je vous salue!
by pwll on Oct.12, 2014, under Général
Je voudrais saluer les syndiquéEs du Syndicat des employées et employés de l’UQAM (SEUQAM) pour leur journée de grève de jeudi. Ça fait deux ans que vous n’avez plus de convention collective, que vous avez 0 % d’augmentation de salaire. La totale : les cadres se sont donnés une dernière augmentation de salaire de 6 %.
J’ai trouvé votre piquetage et l’énergie que vous y avez mis magnifique! Je suis agréablement surprise de constater à quel point vous êtes mobiliséEs. Même votre exécutif semble un peu surpris.
Pis je trouve ça génial que vous surpreniez votre exécutif.
Votre exécutif je le trouve un peu … euh… meh…
Tout d’abord de rejeter de la solidarité… Je trouve que c’est un drôle de choix de la part de votre exécutif. Les syndiquéEs SÉTUE sont prêtEs à vous aider dans les actions que vous décidez, de la manière dont vous le décidez. Des associations étudiantes ont voté, en assemblé générale, des mandats d’appui à votre lutte. Un appui ça veut dire respecter et suivre la manière dont le syndicat en lutte (c’est vous ça) décide de mener sa lutte. Quand votre exécutif rejette tout ça du revers de la main je m’interroge sur comment il voit la défense de vos intérêts en rejetant les appuis internes. Par contre, à voir la bonne humeur avec laquelle des syndiquéEs SEUQAM se sont joint à des étudiantEs qui ont voulu passer dans les cours au moment de votre piquetage, je me dis que ce n’est peut-être pas vous, en assemblée générale, qui avez décidé de tasser ces appuis (très pratiques en plus, nous on sait il y a combien de portes à bloquer 😛 ), c’est peut-être votre exécutif qui prend des aises. Je n’en sais rien.
Ensuite, que votre exécutif tente de vous faire peur avec des injonctions pour ne pas faire de piquetage dur, je trouve ça moche. La centrale syndicale à laquelle vous être affiliéEs a énormément d’argent (en plus de ce que vous lui donnez), et sert à s’occuper de ce genre de questions. Je comprends l’argument de la hausse graduelle des moyens de pression, mais ce n’est pas le même argument que « Oh non ! Si on fait un piquetage dur l’UQAM va nous faire mettre une injonction et on n’a pas les moyens de la payer ! ». Mener une lutte dans laquelle tous les membres sont inclusES serait de vous présenter les risques exacts, les solutions à ces risques et de vous demander quel genre d’action vous avez envie de faire une fois que vous avez pensé aux risques. Mener une lutte dans laquelle tous les membres sont inclusES serait de planifier votre plan d’action avec vous, ou par un comité que vous pourrez choisir, pas en cachette en vous avertissant par courriel deux jours avant. Quand votre exécutif s’improvise « professionnels des moyens de pressions » avec la bénédiction de votre centrale, vous êtes dépossédéEs de vos propres modes d’actions. Mais vous êtes peut-être à l’aise avec ça. Qu’est-ce-que j’en sais ?
Finalement, dans la même veine, que votre comité de négociation signe une entente de confidentialité avec l’employeur, ce qui vous empêche de savoir quoi que ce soit sur vos propres négos, je trouve ça très très moche…
Mais je sais bien que ce n’est pas propre au SEUQAM, ces exemples sont très ordinaires dans le monde syndical québécois. Dans une logique d’être les interlocuteurs privilégiés de l’État, la majorité des syndicats québécois se retrouve prise entre un État pro-patronat, un droit du travail abrutissant et un enlisement dans des pratiques corporatistes douteuses. C’est pourquoi je m’émeus quand je vois des syndiquéEs motivéEs et en colère. C’est pourquoi je vous ai trouvé belles et beaux. Parce que vous avez raison d’être en colère et que vous avez toute la légitimité pour l’exprimer.
… Et bon, c’est mon petit côté uqamien, mais j’ai un faible pour les blocages 🙂
Évidement, la journée de jeudi a aussi apporté son lot de laideur :
Heille le dude avec de l’eau en push push qui en pitchait sur les gens qui passaient dans les cours : stu fais avec un push push d’eau à l’école ?! C’est pour tes cheveux ? Faire peur aux chats ?
Heille le dude en gestion – leader de demain – qui s’est servi de violence physique pour démontrer son profond attachement à son cours : c’est une voie de fait ça.
Heille la prof qui a passé la ligne de piquetage avec une excuse cheap en bouche quand elle est passée devant une gréviste qui travaille dans son propre département : c’est cheap, dégueulasse et ça manque complètement de classe. Après ça tu vas la regarder dans les yeux dans le département ? (Et lol si je te vois parader dans le futur avec un foulard orange SPUQ)
Heille le douchebag qui s’est senti investi de la mission de dire de manière très agressive vendredi, à des gens qui travaillaient, qu’il leur « venait dans la face » pour leur grève de jeudi : t’est crrrrrrrissment laitte !!!
Une chance que j’ai pu t’engueuler en pleine face.
La saga AFPC-FTQ vs SETUE-UQAM: quand un syndicat a des réactions de patron
by La Tomate noire on Juil.05, 2014, under Général
Nous sommes des membres du SETUE. Nous sommes des membres qui allons à nos assemblées générales quand nous le pouvons, qui lisons le SETUE l’info quand nous avons le temps et qui nous intéressons vivement aux questions des négociations de notre future convention collective. Nous sommes attaché-es à ce syndicat. Nous avons l’impression qu’il est rendu vivant par le temps que ses membres y mettent ainsi que par le souci de tous les conseils exécutifs que nous avons connu de respecter les décisions démocratiquement prises en assemblée générale. De la même manière, nous sommes également heureux-ses de faire partie du contexte uqamien et universitaire qui nous permet de tisser des solidarités avec d’autres luttes.
Or, voilà que depuis déjà quelque temps, nous sommes confronté-es, avec un mélange d’étonnement et de colère, à une évidence : l’AFPC-FTQ, notre centrale syndicale, ne nous a jamais considérés de la même manière que nous, les membres, nous nous imaginons.
Nous croyons qu’un syndicat démocratique doit être redevable de ses actions en assemblée générale, et que le syndicat local doit assurer son autonomie en représentant et en défendant les membres et les positions prises en assemblée générale. Cependant, nous avons eu la désagréable surprise de constater que l’AFPC ne considère pas l’autonomie d’un syndicat local, en ne reconnaissant pas la légitimité des décisions prises en assemblée générale. Le respect de la démocratie est à leur bon vouloir.
Ainsi, nous constatons que dans le langage, les méthodes et le respect accordés aux membres, nous sommes face à deux mondes complètement opposés :
D’un côté, nous. Nous qui pensions que le syndicat local était autonome et indépendant dans nos décisions. Nous qui savons que pour qu’une organisation soit démocratique, la décision doit passer par ses membres. Seulement ses membres, parce que qui de mieux que les membres pour juger et prendre des décisions sur des enjeux qui les touchent directement.
Et eux, l’AFPC. Dans notre cas ce eux est représenté par l’AFPC, mais nous ne sommes pas dupes. Quand nous parlons du “eux“ nous parlons d’une culture syndicale centralisatriste, autoritaire et homogène. Nommez la grande centrale que vous voulez, elles sont coupables. Une culture syndicale où les décisions sont prises par le haut, et où les décisions locales et les volontés des assemblées générales sont accessoires.
Cette culture syndicale qui use de violence et invisibilise des syndicats plus marginaux, ou plus autonomes, ou simplement où les membres sont très actifs et veulent avoir leur mot à dire. Ces immenses machines en sont rendues à écraser des travailleurs juste parce qu’elles veulent garder le contrôle. Et tout ce mépris, cette infantilisation et ces menaces sont tellement banalisés que nos solidarités passées s’effritent. Comme si ce que nous partageons, en dehors du syndicalisme, n’avait jamais existé.
Mais vous qui vous disiez “camarades“ par le passé, si vous êtes capables de penser que “c’est ça la game syndicale“ non seulement vous n’êtes pas nos allié-es dans la défense de notre autonomie, mais en plus vous montrez votre visage de syndicaliste, avalé par les grandes machines, qui n’ose plus réfléchir ou s’opposer. Mais si votre carrière dépend de votre silence quand votre employeur menace et méprise, vous n’êtes pas mieux que n’importe quel carriériste. Votre grosse centrale-patron le sait bien, elle. Et quand vous visez des gens qui ont besoin d’un travail en leur présentant un coup de force comme un travail quelconque et bien vous devenez l’outil crapuleux de votre patron.
Ce n’est pas pour ça que nous partageons des valeurs syndicalistes.
En ce moment, nous aimerions beaucoup penser à nos négociations et à notre convention collective à venir. Nous avons fait beaucoup d’assemblées générales et nous avons réfléchi collectivement à ce que nous voulions, à ce que nous ne voulions pas, et à nos priorités. Mais nous ne pouvons pas aller de l’avant, car l’AFPC a décidé que les négociations étaient suspendues. Ainsi, l’AFPC nous démontre que toutes les décisions prises par l’assemblée générale à ce propos sont accessoires. En constatant cette suspension ainsi que les démissions d’éxécutant-es, élus par l’assemblée générale, forcé-es par les menaces de tutelle, nous n’avons pas le choix d’en venir à une conclusion : l’AFPC ne se soucie guère des réflexions et des décisions prises pour défendre le groupe de travailleuses et de travailleurs que nous sommes, mais veut simplement asseoir leur autorité. Ainsi nous comprenons, en tant que membres, que l’AFPC nous méprise et préfère nous voir mal outillé-es qu’autonomes et responsables de nos décisions.
De là notre grande surprise à lire les derniers messages de l’AFPC. Selon eux, ils sont sur la défensive pour une question de maraudage quand nous savons, parce que nous assistons à nos assemblées générales, parce que nous lisons la documentation disponible, et parce que nous refusons cette culture du silence qui ne sert qu’à baillonner les syndicats plus autonomes ou marginaux, que les tensions et les menaces datent de bien avant. Il y a de cela des mois, nous avons vu notre comité externe se faire infantiliser suite à leur version d’un congrès AFPC-FTQ et des gens de l’AFPC pousser sur des lignes précises par rapport à nos négociations, en assemblée générale ou en conseil syndical, pour nous dire que certaines de nos décisions “ne se font pas“ sans jamais aucune explication.
Ainsi, si nous sommes unanimement d’accord sur le fait que nous ne trouvons pas que la CSN semble avoir une culture syndicale plus respectueuse, ou ouverte, nous comprenons tout à fait le sentiment des gens qui veulent changer d’affiliation. En effet, de ce que nous avons compris, très concrètement, nous serons les seul-es responsables de notre convention collective (présentement l’AFPC est la propriétaire de cette convention, qu’elle peut signer sans nous), et notre argent sera à nous qui devrons en donner une part à la centrale (tandis que maintenant l’AFPC reçoit nos cotisations et nous en donne une partie). De manière très concrète, nous gagnons de l’autonomie, nous nous débarrassons d’une emprise qui pèse de plus en plus lourd.
Nous ne croyons pas que les gens qui ont accepté de signer des cartes CSN ou de participer au maraudage se sont fait convaincre. Ce sont tout simplement des gens qui sont allé-es à leurs assemblées générales, qui ont lu les lettres ouvertes et les SETUE l’info et qui se sont fait une idée par eux-mêmes. Mais bien sûr, c’est facile pour l’AFPC de croire que ces personnes sont manipulées par la CSN, parce qu’elle n’est pas capable d’imaginer l’action syndicale autrement que par un mouvement venant du haut vers le bas.
De la même manière, nous croyons que ce n’est pas parce que les gens signent des cartes CSN que nous allons nous fondre dans l’ombre de cette centrale si affiliation il y a. Le SETUE est et a toujours été autonome, très vivant de par ses membres, et a surtout toujours eu un souci et un respect des membres qui commence par le respect de l’assemblée générale. Et si la CSN se tient tranquille pendant ce maraudage, elle ne devrait pas oublier que présentement les gens ne font pas nécessairement signer des cartes CSN parce qu’ils et elles sont pro CSN, mais parce qu’ils et elles sont avant tout pro-SETUE.
Nous avons des négociations importantes à mener, une lutte à continuer. L’AFPC s’est opposée à notre autonomie, des membres s’opposent donc à l’AFPC.
Dommage pour ceux et celles qui voulaient croire aux complots…
Des membres du SETUE qui se sentent prêt-es à se défendre.
Le droit au travail et les femmes (1979)
by La Tomate noire on Juin.13, 2014, under Archives, féminisme
Je tenais à retranscrire et mettre en ligne ce texte de plus de la revue Focus. C’était une revue jeannoise et saguenéenne du tournant des années 70 à 80. Un de ses participants, Pierre Demers, la décrivait dans ces mots : « un mensuel autogéré, rédigé, publié ici qui se voulait alors féministe, socialiste, écolo, pro syndicaliste, parfois felquiste, régionaliste, antimilitariste, anti Alcan, anti médias officiels et qui a tout de même respiré librement de 1978 à 1983 ». Le texte qui suit est paru du #20 de mars 1979 et a été écrit par Marielle Brown-Désy.
« La libération des femmes, c’est dépassé; ça fait dix ans que vous chialez! C’est rendu que c’est plus l’égalité que vous cherchez, mais on dirait que vous voulez dépasser les hommes. Kiens… prend les femmes-médecins, les femmes-avocats, à c’t’heure, y a rien que de ça ». – un camarade, professionnel à l’UQAC.
Voilà, à titre d’exemple, une assertion, parmi tant d’autres, assénée avec le plus bel aplomb par un camarade qui n’est pas plus mâle-chauvin que bien d’autres et qui pourrait être votre frère, votre chum ou votre ami. On ne vous considérerait pas pour autant plus mal nantie que la moyenne! Après le super « candy » de l’année internationale de la femme, bien des hommes (et des femmes) qui avaient quitté leurs pantoufles un moment les ont rechaussées avec la conscience plus tranquille que jamais. Désormais, plus le moindre petit cor à l’orteil ne trouble le confort anesthésiant… Surmontons quand même un instant l’ambiance léthargique et voyons ce qu’il en est de ces « femmes de carrière en train de dépasser les hommes ».
« Nul doute là-dessus, dans l’emploi industriel, dans les professions libérales, dans les fonctions administratives les plus élevées et les plus fermées, les femmes ont, semble-t-il aujourd’hui, effectué une percée ». (1) Il s’agit au Québec d’une percée faite à l’aiguille, outil fin et féminin entre tous, si l’on considère qu’au début de 1977 on comptait vingt-sept femmes sur les mille sept cents cadres supérieurs de la fonction publique québécoise. Pourtant, en 1974, les femmes décrochaient 38% des diplômes de premier cycle et 30% des diplômes de second et troisième cycles de nos universités.
Dans ces mêmes universités, temples du haut savoir, vouées à des fonctions d’éducation traditionnellement réservées aux femmes, vous devrez chercher encore longtemps une femme recteur ou vice-recteur. Occasionnellement, en ratissant les effectifs-cadres, vous dénicherez une ou deux doyennes de faculté, craintives et en équilibre instable entre deux chaises, en attente du remplaçant de l’intérim! À vrai dire, même en prenant une loupe, on ne saurait trouver au Québec des femmes en poste de pouvoir et ce de façon vraiment représentative de leur sexe. Elles sont toujours sous-représentées aux instances suprêmes! Ceci est vrai autant dans les affaires sociales ou juridiques que dans les partis politiques ou les centrales syndicales. Ne parlons pas de l’Église…
Les instances de pouvoir constituent des fiefs gardés et des aires de jeux éminemment masculines. Les petites sœurs peuvent bien jouer autour en faisant la cuisine dans une officine d’avocat. Ce n’est pas demain qu’elles partageront le pouvoir!
À tant glosser sur les quelques femmes de la petite bourgeoisie intellectuelle qui à coup de courage, de griffes et de dents occupent le rebord des marges des hautes instances décisionnelles de la nation, on serait tenté d’oublier cette majorité de femmes travailleuses, dociles exécutantes, bassin de main d’œuvre à bon marché.
« Si on connaît tant de chômage à l’heure actuelle, c’est un peu beaucoup à cause des femmes qui ont envahi le marché du travail ». – un travailleur manuel syndiqué
Neuf chances sur dix que vous ayez déjà entendu un tel discours! Que vous l’ayez lu aussi en mots plus savants dans quelque journal local. Rien de surprenant à cela. Depuis les origines mêmes du capitalisme on tente à chaque crise structurelle du système d’en reporter les causes sur les plus petits de l’échelle hiérarchique. Or, il se trouve que les plus petits de l’échelle sont des petites. Des petites exerçant des emplois subalternes dans les pires conditions de travail, sans possibilité de promotion, victimes d’une insécurité à l’emploi énorme qui les fait chômeuses à la première occasion.
Au Québec, 36,6% de la main-d’œuvre est constituée par des femmes… Et, sur dix travailleuses, sept ont un revenu inférieur au seuil de la pauvreté. De la totalité des travailleurs [et travailleuses] assujetti[e]s à la loi du salaire minimum, 70% sont des femmes.
Pour les partisans de la thèse selon laquelle « les femmes volent les jobs des hommes », il faut quand même préciser que les femmes grossissent les secteurs d’activité économique les moins bien payés. Elles sont en fait cantonnées dans des ghettos de travail dits féminins. Tout ça est corroboré si l’on se rappelle qu’il demeure un écart de 45% entre le salaire moyen des hommes et celui des femmes.
En fait, (cette fois-ci, on se sert de données canadiennes, n’ayant pu trouver les chiffres québécois correspondants) les deux tiers des femmes au travail se concentrent dans quatre secteurs principaux :
– travail de bureau
– commerce
– les métiers de service et vendeuses
– professions (enseignement, sc. Infirmières)
On peut également dire que les occupations de la majorité de la main-d’œuvre féminine perpétuent la sexualisation des tâches et les préjugés traditionnels sur le rôle de la femme. En fait, au cours du processus d’industrialisation et d’urbanisation (depuis le début du siècle au Québec), on a dû à regret, avec moultes déchirements, pour des raisons hautement économiques, substituer à la mère-génitrice, à la mère-matrice, à la mère aux records reproducteurs, une femme au travail orientée vers les tâches les plus serviles, les moins rémunératrices.
À vrai dire, les besoins de l’industrie et de la production capitaliste requéraient un contingent accru de travailleurs [et travailleuses] à rabais et une partie des femmes ont été immolées sur l’autel du profit. Il s’agissait cependant en quelque sorte d’un sacrifice contrôlé… Grâce à Dieu, sur le marché du travail on maintiendrait la hiérarchie déjà présente au foyer. La dichotomie homme-femme se prolongerait non seulement dans l’importance des rémunérations rattachées au travail mais bien aussi dans le type même de travail dans lequel on embrigaderait les femmes.
C’est ainsi que peu à peu se sont précisés des métiers dits féminins. On a pu de cette façon justifier le fort pourcentage de femmes embauchées dans l’industrie textile (s’il y a un travail traditionnellement féminin, c’est bien le tissage et la couture), dans l’enseignement (la mère-éducatrice), dans le travail infirmier (la mère-soignante), dans le travail de secrétariat (qu’on a féminisé à souhait… la discrète collaboratrice efficace de l’homme important), dans les services d’hôtellerie et de restauration (suite logique du « torching dévoué » au foyer).
On a enregistré au cours des années la disparition graduelle des effectifs mâles aux postes de vendeurs et de commis de bureau. Plus ces tâches se féminisaient, plus les salaires rattachés à ces fonctions faisaient un dumping spectaculaire.
Bref, pour fins de production capitaliste on a dû à contre-cœur ouvrir les portes du marché du travail à une main-d’œuvre féminine. Mais, encore fallait-il en contrôler les orientations et aussi, on le verra plus loin, contenir l’importance de son débit.
« Moé j’sus pas d’accord pour que ma femme travaille. On a trois petits à la maison. Le bébé a rien que six ans. Y ont besoin de leur mère à journée longue… Pis moé j’aime ça que le manger soye fait’ quand j’arrive chez nous ». – un travailleur, père de famille
Contrôler l’accès des femmes sur le marché du travail, c’est forcément pouvoir les retourner à la maison lorsqu’on veut bien. Si l’industrie a besoin de main-d’œuvre bon marché, elle a aussi besoin d’une future main-d’œuvre et de l’entretien de sa main-d’œuvre actuelle. Rien de mieux pour ces diverses petites tâches que les épouses-mères-ménagères pas payées. Car, n’ayez crainte… sans poinçonner chaque matin, la ménagère-reproductrice sert encore fidèlement les besoins sacro-saints de la production. Elle le fait autrement c’est tout. Ainsi, les meilleures raisons que l’on trouve encore aujourd’hui pour limiter l’accès des femmes au travail rémunéré ce sont les enfants, nourrissons ou jeunes écoliers.
Alors qu’au début du siècle on rechignait à propos de la présence des jeunes filles sur le marché du travail, alors qu’au cours des années cinquante on discutait encore sur la pertinence de l’autorisation officielle du mari pour l’embauche des femmes, aujourd’hui, en pleine crise du système, on prône l’allaitement maternel et la constante présence amoureuse de la jeune mère auprès des nourrissons, des enfants d’âge pré-scolaire et en début de scolarisation. Cependant qu’au cours de la seconde guerre mondiale on vantait à pleines pages de journaux les bienfaits de la nutrition des nouveaux-nés au… biberon (faut dire que l’on avait drôlement besoin des femmes dans les usines de munitions avec tous ces hommes attendant de débarquer quelque part en Normandie…).
On voit donc que les idéologies, c’est comme pour le civisme, ça s’exprime par une foule de petites choses! Or, rien de plus insidieux qu’une idéologie. Rares sont les hommes et les femmes qui se sentent sécurisé[e]s en tentant d’échapper à la gangue de comportements qui leur sont dévolus par leurs rôles traditionnels. Le père-pourvoyeur, la mère-reproductrice avec toutes les tâches connexes correspondantes, ce sont encore des valeurs sûres au Québec. En parlant des garderies-parking d’enfants, des garderies-cages dans l’ACTION NATIONALE pendant les années quarante, André Laurendeau, sans le savoir (mais, peut-être le savait-il?) instituait un préjugé tenace qui depuis et sans doute hélas pour longtemps encore a exclu et exclura les jeunes mères du marché du travail.
Selon le Conseil du statut de la femme, alors qu’une travailleuse québécoise sur deux est mariée, seulement une mère sur cinq est sur le marché du travail avec un enfant de moins de six ans. Ainsi, les maternités essentielles à la survie du peuple servent également à tenir pour un temps les femmes à distance respectueuse du marché du travail. Les plus grandes exceptions se retrouvent au niveau des femmes fortement scolarisées qui exercent une carrière ou encore à l’autre bout de l’échelle chez les femmes les plus démunies qui ne peuvent absolument pas abandonner une source de revenus, si maigre soit-elle.
D’autre part, si les hommes accomplissant un travail intellectuel abandonnent pour la plupart leurs préjugés face au travail de leurs femmes (2), les travailleurs manuels eux conservent les attitudes les plus traditionnelles. Selon des sociologues britanniques, plus l’homme est soumis et brimé à l’extérieur du foyer, plus il craint de perdre son prestige et son autorité au sein de la famille.
Il faut d’ailleurs admettre que bien souvent les femmes de milieux populaires ont hâte de se marier ou d’avoir un enfant afin de quitter des emplois aussi ennuyeux que mal rémunérés. Cependant, après quelques années, la monotonie des tâches ménagères, le manque à gagner occasionné par des besoins familiaux accrus les ramènent sur le marché du travail.
« L’absentéisme des femmes est plus important que celui des hommes. Elles manquent à tout bout de champ, elles arrivent en retard; il y a leurs règles… » – un employeur
Que de fois depuis que le monde est monde s’est-on servi des menstruations des femmes comme d’une anomalie monstrueuse… Que de fois, on a utilisé ce phénomène tout simplement lié aux fonctions de reproduction pour écarter les femmes des secteurs où on craignait qu’elles rivalisent avec les hommes!
Et pourtant… Si les employeurs se plaignent tant de l’absentéisme soi-disant plus important chez les femmes et particulièrement chez les femmes mariées avec enfant(s) et qu’ils reportent les causes de ces absences sur des « particularités biologiques soi-disant inavouables des femmes » (3), nous ne pouvons que clamer avec force, c’est un superbe alibi! Tant d’autres bonnes raisons expliquent les retards et les absences des femmes :
Qu’un enfant ou le mari attrape une bonne grippe et leurs malaises deviendront, sinon littéralement du moins officiellement ceux de la mère et de l’épouse qui les soignera à la maison.
Que les dirigeants de l’école du quartier décident inopinément de fermer leurs portes pour une demi-journée de réflexion pédagogique et la mère-travailleuse devra puiser à nouveau dans sa banque de congés de maladie.
Qu’une grève d’enseignant[e]s, de concierges, de chauffeurs [et chauffeuses] d’autobus paralyse la vie scolaire et les travailleuses devront multiplier les solutions concrètes pour continuer d’aller au travail. Par contre, dans la même conjoncture, les activités ordinaires des pères de famille ne connaîtront aucune perturbation!
On voit donc que dans une société comme la nôtre, rien ne facilite les tâches des femmes qui doivent ou veulent travailler à l’extérieur. L’absence de garderies populaires, de cantines scolaires, de services ménagers collectifs obligent les travailleuses à trouver des solutions individuelles et tracassantes… Et, là encore, on ne parle pas de la besogne qui attend la travailleuse à sa sortie d’usine, de magasin ou de bureau. De façon tout particulière dans les milieux les plus modestes, le partage des tâches domestiques à l’intérieur du couple demeure un vœu pieux, ou une source de conflits interminables. Et nous omettons, faute d’espace, de parler de toutes ces femmes séparées, divorcées ou veuves qui doivent se taper la double tâche sans espoir de partage…
En fait, les services et équipements sociaux pré-maternels, maternels et scolaires ne sont absolument pas conçus pour permettre aux jeunes femmes et mères d’exercer une activité lucrative. Ceci nous amène à conclure que les jeunes mères sont tout au plus tolérées sur le marché du travail et que normalement elles devront vivre pendant dix à quinze années en marge de toute activité sociale reconnue et intégrée officiellement à la vie économique du pays. Les jeunes québécoises (8 10) passeront vingt-cinq ans sur le marché du travail alors que leurs frères en passeront quarante. On imagine sans mal tous les problèmes de ré-insertion que posera le retour au travail après une si longue absence, toutes les conséquences d’un si long retrait tant pour une éventuelle promotion que pour les avantages sociaux, etc.
« Les femmes militantes sont moins nombreuses que les hommes militants. Elles ne viennent pas aux réunions, on a de la difficulté à les faire bouger ». – un permanent syndical
En chiffres absolus les militantes syndicales sont moins nombreuses que les hommes, c’est en premier lieu pour une raison toute simple… Il n’y a que 30% de femmes syndiquées alors qu’il y a 45% d’hommes syndiqués. En fait, les femmes se retrouvent massivement dans les secteurs les plus difficilement organisables sur le plan syndical (les waitress, vendeuses, employées de bureau).
Si d’autre part, les femmes sont moins participantes que les hommes lorsqu’elles sont syndiquées, on pourrait attribuer ce fait aux mêmes raisons que l’on explicitait plus haut lorsqu’on parlait de taux d’absentéisme féminin. Car, ne l’oublions pas, après le boulot-boulot, il reste encore le ménage, la lessive, la cuisine et la marmaille, donc très peu de place pour la vie syndicale.
De plus, il n’est pas besoin d’une longue expérimentation pour réaliser que les structures et les procédures syndicales favorisent davantage le verbe et la gourme mâles alimentés chez les garçons dès la petite enfance.
Pour toutes ces raisons, on ne doit pas trop se surprendre de constater que dans les centrales syndicales les femmes sont sous-représentées à toutes les instances décisionnelles. Voilà sans doute une des raisons qui ont contribué à des conventions collectives avec de nombreuses clauses à saveur sexiste. Il est également à noter que les engagements syndicaux sont si exigeants que les quelques femmes « officiers de syndicat » au niveau national sont célibataires. Même pour la CEQ qui compte plus des deux tiers de ses effectifs chez les femmes, les assertions notées plus haut demeurent valables.
Il faudrait noter ici que l’éducation des filles au Québec (qui mériterait des thèses et des thèses de recherche) ne les a pas orientées vers la collectivité, la solidarité. Plus que pour les garçons encore, on a poussé à l’extrême la notion d’individualisme, la vision du « small is beautiful » : ptit mari, ptits enfants, ptite maison, ptit frigo, ptites affaires.
« Un secteur important de la population se montre parfois agacé par la campagne systématique et souvent agressive des féministes ». – un éditorialiste du Quotidien (4)
Les données et les analyses utilisées au cours du présent article sont valables pour l’ensemble du Québec. Les femmes de la région s’intègrent sans doute très bien dans cette esquisse de la femme québécoise au travail. Il faudrait cependant voir à pondérer les chiffres par le bas… Ainsi, selon Statistiques-Canada on ne comptait en 1971 au Saguenay-Lac-Saint-Jean que 24,3% de travailleuses.
De plus, la vaste campagne anti-avortement secouant la presse régionale depuis le printemps dernier a dévoilé des visions extrêmement traditionnelles en ce qui concerne le rôle des femmes. L’absence de garderies populaires et la rareté des garderies privées – dans les moyennes les plus basses au pays – manifestent l’importance du contingent de jeunes femmes au foyer. Le haut taux de chômage (le plus haut au Canada en zone urbaine) explique une fois de plus combien les femmes sont les premières pénalisées lors d’une crise économique…
Et, devant tous ces phénomènes, devant l’expression de tant d’injustices, le joyeux tandem des penseurs-éditorialistes de notre quotidien régional considère les féministes trop bruyantes, trop agressives! Dans nos milieux intellectuels les plus sélects (UQAC), on considère que la libération des femmes, c’est fait, c’est accompli et qu’il est temps de passer à autre chose!
Tant que les hommes et les femmes n’auront pas les mêmes droits face au travail, à la santé, aux responsabilités partagées, tant qu’il y aura une sexualisation arbitraire des tâches, nous ne pourrons parler de libération de la femme. C’est sûr que nous avons fait un bout de chemin depuis que de sages théologiens dissertaient à pleins conciles sur l’existence ou la non-existence de nos âmes immortelles (à nous les femmes), depuis que nos grand-mères nous ont acquis de haute lutte le droit de vote, mais tout le chemin n’est pas accompli, loin de là. Et même en ces temps de grisaille économique et d’un retour massif aux idées conservatrices (Berberi, Ryan), il faut veiller au grain et voir même à ne pas perdre nos faibles acquis.
Marielle Brown-Désy
Collaboration/retranscription de Shit-stain
Bibliographie :
Mona-Josée Gagnon. « Les femmes vues par le Québec des hommes », Éditions du Jour.
Conseil du statut de la femme. « Pour les Québécoises : égalité ou indépendance », Éditeur officiel, Gouvernement du Québec.
Pierrette Sartin. « Nouvelles orientations du travail féminin », revue Projet, juin 1974.
« La condition économique des femmes au Québec », vol.1 – L’exposé de la question, La documentation québécoise, Éditeur officiel du Québec.
Maurice Champagne-Gilbert. « L’inégalité hommes-femmes, la plus grande injustice » (5 articles), journal La Presse, décembre 1976.
Notes :
(1) Pierrette Sartin. « Femmes au travail », revue Projet.
(2) Faut quand même pas charrier… Selon une enquête de L’Express effectuée en 1971, 86% des maris ne voudraient pas pour aucune considération que leurs épouses gagnent plus qu’eux.
(3) Il s’agit de voir et d’entendre la publicité concernant les tampons hygiéniques ou les serviettes sanitaires.
(4) Bertrand Tremblay. « Le revers de la libération des femmes » (éditorial), Le Quotidien, 20 janvier 1979.