La Tomate noire

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Mon commentaire de gérante d’estrade sur l’acquittement de Gomeshi (Ode aux survivantes et aux camarades juristes féministes)

by on Mar.26, 2016, under Débats, féminisme

Piétiner le patriarcat

Il me semble que tout le long du procès les juristes féministes ont commenté que ça n’allait pas bien: la défense faisait très bien sa job, la couronne faisait mal la sienne et l’autre enfoiré de Gomeshi avait très « bien » fait sa sale job post-agression de garder toutes les preuves pouvant décrédibiliser les survivantes (même après des années!! y avait tu pas pensé à son affaire!). J’ai donc de la difficulté à comprendre la surprise et le mode réactif des gens. J’ai envie, comme tous les êtres humains dotés d’empathie et de décence (oui oui la ligne est claire dans ma tête), d’envoyer toute ma solidarité aux survivantes et de continuer à dénoncer le système de justice patriarcal libéral, mais en même temps je suis vraiment surprise par la vague de colère que je sens liée à l’espoir que ce procès allait bien finir pour celles qui ont vécu et dénoncé des agressions. Je comprends et je ressens cette saine colère, mais je suis inquiète face au niveau de confiance que mes camarades féministes radicales en général démontrent envers ce système de justice bourgeois, patriarcal et raciste en se laissant être déçues par le résultat final, pourtant prévisible selon nos camarades juristes féministes.

Attachons nos tuques, des procès avec des finales comme ça il va encore y en avoir beaucoup à venir (procédures de l’enquête bâclées, couronne mal préparée, procédures judiciaires pas adaptées à ce genre de crime, feux des projecteurs sur toute la vie privée des victimes, juge méprisant envers les femmes victimes de viol en général). Si le but est de faire changer ce système de justice il faut admettre que des étapes importantes ont été franchies… des accusations ont été portées et il y a eu procès accusant un homme connu, célèbre et avec un grand capital de sympathie (on peut aussi penser à Cosby de l’autre côté de la frontière). C’est pour cette raison que je pense qu’il y aura d’autres finales comme ça: parce que maintenant les crimes d’agressions sexuelles sont prises un peu plus sérieusement par le système, ça pourra se rendre en court, mais ce n’est pas encore pris assez sérieusement pour que les survivantes puissent avoir justice.

J’imagine d’autres procès à venir très douloureux et d’autres survivantes devront être très courageuses et prendre le risque presque inévitable de se faire broyer sous la justice patriarcale libérale en attendant que les choses changent pour vrai. Par contre, je pense aussi qu’il finira par y avoir des victoires, peut-être même que le prochain procès de Gomeshi rendra justice pour les survivantes. Le système de justice de l’État change donc, lentement, parfois à reculons, parfois de manière qui nous semble paradoxale, à nous qui ne connaissons pas le droit. Et il y en aura d’autres des serrements de cœur, des cris de colère et des rassemblements spontanés après un acquittement. Il nous faudra continuer à être fortes collectivement et à appuyer les survivantes qui décident de prendre cette voie par tous les moyens possibles.

Je n’adhère pas à cette lutte réformiste du droit, mais je comprends parfaitement les arguments de celles qui résistent à l’intérieur du système et je remercie de tout cœur ces juristes camarades féministes (et je ne parle pas de la couronne dans le cas Gomeshi) qui avancent dans ce domaine en sachant très bien que les femmes et les personnes liés à des groupes opprimés font face à un système absurdement injuste.

Aujourd’hui mes pensées vont vers les survivantes qui n’ont pas eu justice face à Gomeshi et j’espère qu’elles ressentent tout l’amour qui leur est envoyé. Je veux aussi élargir le sujet en vous disant que mes pensées vont également vers les juristes féministes radicales. Je ne vous envie pas. Vous êtes en position de comprendre le système, ses laideurs, ses pièges et ses limites et malgré tout, vous voulez mener cette lutte de l’intérieur. Se placer du côté des personnes opprimées, dont les femmes agressées, ne vous amènera pas dans les hautes sphères du droit ou ne va pas vous rendre riche, mais vous êtes une composante essentielle des luttes sociales, un appui précieux et essentiel. La colère généralisée, les changements de mœurs et de valeurs ainsi que l’éducation ont un poids important dans les changements législatifs et dans la pratique du droit, mais je crois que ces féministes qui décident d’investir le terrain pour nous expliquer ce qui se passe, pour influencer leurs collègues, en même temps que pour servir de support aux aspects légaux de nos luttes, sont importantes. Autant, mais d’une manière différente, que le courage de celles qui décident de dénoncer en passant par ce système.

Je ne participe pas à cette lutte féministe et réformiste du droit mais je suis capable de reconnaitre le courage et la solidarité de celles qui y sont, ainsi que de saluer le courage de toutes les survivantes d’agressions sexuelles qui s’y font broyer. Toutes mes pensées vont vers ces dernières, pour leur courage et leur force, ainsi que vers ces féministes juristes, pour leur résilience dans un milieu qui me semble plus qu’hostile.

Amour et solidarité

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L’empreinte: Redéfinir les mythes nationaux et appropriation culturelle

by on Mar.19, 2015, under Général

(Merci à I. Ce texte est le résultat de la discussion que nous avons eue au retour du visionnement.)

Quand j’ai assisté pour la dernière fois à une activité du PQ il y a une décennie environ (une conférence de Louis Bernard)[1], une clameur s’était élevée dans la salle suite à l’énonciation de l’histoire de l’identité canadienne-française. Une vieille dame pleine d’amertume avait même grogné en parlant des «méchants Anglais»: « Ils nous ont volé nos symboles et notre hymne national ». C’était une tendance assez forte à l’époque que de donner dans cette victimisation larmoyante. Un groupe d’intérêt avait même été fondé dans l’espoir de reprendre au ROC le nom de Canada et l’emblème de la feuille d’érable.

Que des nationalistes québécois-es jugent bon, aujourd’hui, de récupérer non pas quelques symboles, mais de revendiquer des identités entières aux peuples autochtones, ça ne semble cependant pas causer tant de chemises déchirées.

De fait, cette tendance n’est pas apparue avec le documentaire L’Empreinte. Depuis qu’il n’est plus exactement honteux de s’identifier comme d’origine autochtone, des Nords-Américain-e-s de tout poil prétendent avoir du « sang indien » bien caché quelque part dans le coin d’une veine. Dans ce contexte, les Québécois-es ne font d’ailleurs absolument pas exception. La tendance peut être plus forte qu’ailleurs à se définir comme société métissée (clairement moins que dans à peu près toute l’Amérique latine, quand même) mais elle s’inscrit dans une tradition qui n’est pas du tout unique[2] et cela n’a sans doute rien à voir, contrairement à ce que Darryl Leroux croit, avec les larmes acides que bien des Québécois-es versent sur leur propre sort. Bien évidemment, la génétique nous a appris que les Québécois-es de vieille souche française ont assez peu de vrai « sang indien », mais passons, cela importe en fait assez peu.

La thèse de L’Empreinte, en regard de tout ça, est particulièrement laborieuse à résumer. Le documentaire cherche à démontrer qu’à peu près tout ce qui constitue le «modèle québécois» est un héritage de la culture amérindienne. Place de la femme, valeurs égalitaires, social-démocratie, tolérance, recherche du consensus, etc. Tout y passe. Même en outrepassant toute logique et en admettant une influence directe aussi forte, on pourrait bien arguer que cela ne fait pas de nous des Amérindien-ne-s et ne nous donne pas le droit de revendiquer ce statut. Pas plus que les emprunts constants des Grecs/ques Ancien-ne-s aux autres civilisations n’ont fait d’eux des Phénicien-ne-s ou des Égyptien-ne-s. Mais il n’y a rien à faire. Roy Dupuis le sent en lui qu’il est « indien ». Ses invité-e-s, confortablement installé-e-s dans des chalets à 400 000$ ou des bureaux luxueux, le sentent aussi. Une psychanalyste invitée et visiblement intéressée par l’ésotérisme en arrive à dire que la négation même de l’héritage autochtone (dans l’expression « on est pas des sauvages ») est une preuve de plus qu’en réalité, on est des sauvages.

Légendes dorées, légendes noires

Le Québec ne se distingue pas non plus sur le soin qu’il met à présenter la colonisation comme étant dénuée de tout conflit. Aux États-Unis, on présente souvent l’image des bons puritains portant des chapeaux haut-de-forme partager du blé d’Inde lors du « Premier Thanksgiving ». La France, encore culturellement forte au Maghreb, a édicté des lois mémorielles. En Espagne, la leyenda negra est une expression péjorative qui renvoie aux histoires d’exactions commises durant, notamment, la colonisation de l’Amérique et prétendument inventées de toutes pièces pour des motifs politiques[3]. Devant tant de récits nationaux lavés à l’eau de javel, il serait surprenant que le «nôtre» soit le seul, le seul au monde pour reprendre la théorie du documentaire, à avoir été fondamentalement différent.

Non, le Québec n’est pas unique. Les vertus de sa colonisation non plus, ni ses exactions. Sur le plan historique, L’Empreinte est exsangue. La meilleure parodie vient d’ailleurs de Denys Delâge et de Serge Bouchard, deux spécialistes qui connaissent pourtant très bien le poids des mots. On ne se centre que sur les alliances entre Français-es et Autochtones, qui ont effectivement eu lieu. Mais des alliances, pratiquement tous les colonisateurs en ont tissé, même le cruel Cortès, destructeur des Aztèques.

On met bien sûr de côté la masse pourtant incontournable des bavures, qui date de bien avant l’hostie de Conquête: le rôle français dans l’extermination des Renards par exemple, l’évangélisation agressive et la traite massive de milliers d’esclaves (surtout des Autochtones mais aussi des Africain-e-s), et dont le fameux Jean Vauquelin, héros couronné par une place attenante à l’Hôtel de Ville de Montréal, était friand. On a beau, assez ridiculement d’ailleurs, évacuer toute responsabilité sur ce qui s’est passé après 1759 – ce sont finalement les Anglais qui seraient responsables de la cassure entre Québécois-es et Autochtones – il n’en reste pas moins que des massacres, les Français qui s’appelaient Canadiens en ont aussi commis.

Et je ne souscris pas à la thèse du « moins pire ». Un esclavage « moins pire » centré sur la domesticité est tout de même de l’esclavage, et mérite d’être appelé « esclavage » et non « modèle unique de colonisation ».

Ignorance et idéalisation

Dans ce documentaire sur les valeurs autochtones supposément transmises aux Québécois-es, on ne parle finalement pas du tout des Autochtones. Les informations sur la culture des différentes nations présentes au Québec tombent au compte-gouttes, les plus exactes semblant d’ailleurs provenir de Joséphine Bacon, chez qui Roy Dupuis remarque immédiatement les yeux, anormalement bleus. Cette discussion, qui démontre finalement que les Québécois-es sont redevables aux Autochtones (et non pas qu’illes sont autochtones), est présentée comme l’indéniable preuve que ces dernières/iers reconnaissent eux-mêmes la proximité.

Assez délicieusement, la poétesse innue remarque d’ailleurs que si la conversation avait eu lieu dans sa langue, certaines questions auraient été de trop. Sous-entendu: ta yeule Roy.

L’histoire réelle passe le relai au mythe du bon sauvage. Celui d’une Île de la Tortue (autrement dit l’Amérique) idéalisée et dans laquelle tous les individus étaient égaux, solidaires et libres. Le fait est: s’il est vrai que les Jésuites et Gabriel Sagard ont effectivement observé des traits plus égalitaires et une liberté sexuelle plus grande chez les Autochtones visités, il n’en reste pas moins que la vision générale qu’en ont eu les Européens par la suite n’a rien à voir avec la réalité historique. Il est né d’une instrumentalisation des Autochtones à des fins philosophiques, politiques et idéologiques: ce phénomène existe depuis longtemps et représente tous les indigènes du monde sous des traits juvéniles et purs. Pas étonnant qu’on traite encore les Autochtones comme des mineur-e-s, pourrait-on en conclure.

Autrefois on se servait du mythe du bon sauvage pour vanter une culture ignorant le péché et dénoncer le progrès. Dans l’Empreinte, le péché c’est l’individualisme. Dans les faits, nous savons très bien que les Premières Nations du Québec sont issues de civilisations développées, matures et aux normes parfois strictes (incluant sur le plan des rôles genrés, remarquerait Gabriel Sagard). L’ignorer au profit du mythe, comme on le fait ici, est une négation totale du vécu des Autochtones, de leurs luttes quotidiennes pour améliorer leur vie, de leurs questionnements, de leurs doutes. Toutes ces choses qui nous permettent de les considérer justement comme nos pareils, c’est-à-dire des êtres humains dignes d’être nos interlocuteurs/trices.

De qui a-t-on hérité?

On pourrait affirmer que l’esprit communautaire des Québécois-es (en admettant qu’il soit aussi distinct qu’on le prétend) existait déjà dans la France du Moyen Âge. On pourrait aussi affirmer que le mépris apparent pour la hiérarchie (traditionnelle) est commun en Amérique du Nord, et qu’il n’a pas nécessairement de racines autochtones, et que c’est l’Américanité du Québec qui s’exprime à travers lui. On pourrait affirmer que le dédain pour la richesse, dont parle Roy Dupuis, est en fait une invention de Joseph Facal servant à victimiser les bourgeois-es, et que par ailleurs le premier discours contre les riches (et qui nous a été transmis) date de l’Égypte ancienne et non pas de la gaugauche immobiliste. Que la social-démocratie est réellement héritée d’Europe, (genre… l’endroit où elle a été inventée). Que notre système d’éducation mêle les inspirations catholiques et socioconstructivistes, aussi originaires d’Europe.

Mais au lieu de chercher des vérités multiples un peu partout, le documentaire affirme que tout ça vient du fait que nos ancêtres gambadaient gaiement, main dans la main avec des Autochtones, au milieu de la Vallée du Saint-Laurent. C’est commode et confortable comme théorie.

« Fuck les Indien-ne-s, vive la social-démocratie! »

Qui l’eût cru: le modèle québécois « capitaliste à visage humain » comme me le faisait remarquer I., découlerait directement de la vie communale (sans État ni capitalisme) des Algonquin-e-s et Huron-ne-s. La gauche modérée n’est pas la première à s’essayer de récupérer ce récit de colons. J’ai déjà entendu Michel Kelly-Gagnon, alors président du Conseil du Patronat, tenter de vendre le capitalisme sauvage en incitant ses compatriotes à « retrouver l’esprit du coureur des bois ». Il avait fait de ce thème une conférence et de sa conférence une tournée pan-québécoise.

Mais ce qui me met hors de moi, c’est que ce maudit documentaire n’amènera jamais une seule réaction de solidarité face aux luttes autochtones, ou même de sympathie à leur égard. On n’y parle ni des territoires accaparés, ni des forêts rasées, ni des femmes disparues, ni des réussites multiples, ni des espoirs, ni même du quotidien. On ne voit même pas l’ombre d’une rue de Pikogan ou d’Odanak. Son objectif est de défendre le modèle québécois (blanc) par un immense appel à la tradition (imaginaire et nourrie par l’anecdote), stratégie plagiée aux esprits ultraconservateurs. Dans ce contexte, et même si quelques intervenant-e-s issu-e-s des Premières Nations sont utilisé-e-s[4], les principaux/ales intéressé-e-s sont évacué-e-s et restent des remarquables oublié-e-s.

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[1] Notons par ailleurs que pendant cet évènement, j’ai été hué (pour la dernière fois par le PQ) après avoir posé une question sur le droit à l’autodétermination des Autochtones à M. Bernard. À la défense de l’ex «Grand Mandarin», il a dit avoir visité les communautés à plusieurs reprises, et compris leur désir: c’est-à-dire celui de se gouverner eux-mêmes. Il n’y avait pas de mépris dans cette réponse.
[2] Par exemple, chez les Blancs et les Noir-e-s des USA, la tendance est également forte, comme l’illustre le début de ce texte: « I AM COLORED but I offer nothing in the way of extenuating circumstances except the fact that I am the only Negro in the United States whose grandfather on the mother’s side was not an Indian chief.»
[3] Il est possible de dire que l’Espagne a réellement été victime d’une légende noire – des mensonges ont été colportés sans arrêt dans le cadre d’une guerre de propagande- mais ironiquement, plusieurs historien-ne-s nationalistes se sont servi-e-s de l’existence de ce biais pour discréditer toutes les critiques. Ici on parle plutôt de «Québec bashing», mais c’est littéralement le même phénomène, avec son lot de réactions stupides de part et d’autre.
[4] Et cela ne constitue absolument pas une critique de leur participation au documentaire.

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Les 15 mars se suivent… et ne se ressemblent pas toujours

by on Mar.16, 2015, under Général

En fait je dis ça, mais je ne parle pas pour tout le monde. Pour beaucoup de gens malheureusement, le 15 mars a encore fini avec un ticket (l’article 500.1) après une attente interminable dans la slush frette, pris en souricière par le SPVM équipé pour aller en guerre.

Récapitulons :

15mars 01

Je suis passée au rassemblement du COBP coin Berri/Ontario un peu avant 15h. Il y avait déjà au moins 8 fois le nombre de flics que de personnes qui voulaient se réunir pour dénoncer la brutalité policière : des poussins, des antiémeutes, des autos, des vans, allouette! Je suis restée quelques minutes puis j’ai pris le chemin de la manif féministe où j’avais décidé d’aller cette année. Surprise! Plein de gens contre la brutalité policière, mais une seule voiture de flic sur le côté de la Place Philip.

C’est n’importe quoi! Des gens au SPVM prennent des décisions complètement arbitraires et sont payé-e-s et récompensé-e-s pour ça (moi aussi des fois j’ai envie de crier « mes taxes! »). La manif féministe était affichée comme une « manif contre la brutalité policière » et n’a pas donné son trajet. Le rassemblement du COBP était affiché comme un rassemblement, donc n’a pas à donner son trajet. Que les flics prennent un plaisir dégoûtant à s’habiller en GI Joe pour aller réprimer du monde pas armé, pas équipé en nous faisant croire que c’est parce que « la manif n’a pas donné son itinéraire » pour finalement l’arrêter pour cause d’« action concertée destinée à entraver la circulation des véhicules routiers  » (Criss c’est 2 articles différents! Nous prenez-vous pour des caves?!) est encore une preuve à placer dans la grande liste de « les flics font ce qu’y veulent quand y veulent pis APRÈS y trouvent un article pour se justifier ».

15mars 02

15mars 03

Le rassemblement pour la manif féministe était agréable, plein de gens différents, de ballons et j’ai vu quelques enfants. J’ai aussi eu l’agréable surprise de voir une bannière abolitionniste (mais wtf la barre du A en Kalachnikov?!), ça m’a surpris parce qu’on n’entend pas les abolos dans la gauche radicale (gauche radicale ou juste gauche comme nous le faisaient remarquer deux filles de l’industrie il y a quelques mois). Juste avant le départ de la manif, un groupe qui s’était tenu en retrait du reste des gens a décidé de ne pas faire partie de la manifestation et a crié que c’était à cause de la bannière abolo. Je me suis fait le commentaire que je n’avais jamais assisté au départ de gens à cause de malaises causés par la position abolitionniste pendant que j’ai assisté à beaucoup de départs à cause de l’inverse. Pourtant gang il va bien falloir trouver un moyen de se parler un jour, ça serait dommage de laisser les lignes de la CLÉ et de Stella diriger nos réflexions féministes et nos choix d’alliances dans la gauche radicale.

15mars 04

Nous avons donc pris la rue! Oui oui! La rue!

Je souligne ici l’absurdité totale de vivre dans un « État de droit » qui se gargarise aux mots « droits fondamentaux » et « Constitution » et de se rendre compte que maintenant, à chaque fois que nous décidons de prendre la rue de la même manière que les manifs l’ont fait des années durant, on s’expose à de la violence et de la répression policière.

15mars 05

15mars 06

15mars 07

On a marché sur Ste-Catherine jusqu’à St-Laurent puis monté St-Laurent vers le Nord. C’était très libérateur de crier « FLICS, MACHISTES, ASSASSINS! » en marchant. La manif était de bonne humeur, les gens étaient content-e-s de marcher. Wow on a marché presque une heure! Les flics nous suivaient en auto mais j’en ai pas vu beaucoup… On était très très loin de la gang à l’allure paramilitaire que j’avais vue coin Berri/Ontario. La manif s’est tout de même fait disperser près de la rue Rachel… Comme quoi… Mais je suis quand même plus qu’heureuse d’avoir été capable de marcher dans une manif féministe pour le 15 mars!

De retour vers la maison, en apprenant que le rassemblement du COBP était sur Berri (à 50 mètres d’où je les avais vus quelques heures auparavant!), pris en souricière, j’ai décidé de passer par là. Il y avait quelques personnes et quelques bannières. Les gens, même les gens qui ne faisaient que passer, étaient complètement renversés quand on leur racontait pourquoi les flics bloquaient le carré Sherbrooke-Ontario-Berri au complet, avec un armement et un équipement qui leur serait plus utile pour combattre Daesh en Syrie, mais qu’illes utilisaient pourtant pour mater un rassemblement pacifique.

15mars 08

15mars 09

15mars 10

15mars 11

15mars 12

Il y a eu quelques discours et des bannières. On a rit des flics et on a essayé de faire du bruit pour s’encourager et encourager la gang en bas. À moment donné la flicaille s’est tannée de nous et nous a poussé-e-s sur le trottoir en nous disant de nous en aller.

On a changé de bord de rue.

15mars 13

Les pieds mouillés, j’ai fini par partir, non sans plusieurs pensées pour les gens dans la souricière.

J’espère que vous allez bien.

NO JUSTICE NO PEACE, SMASH THE POLICE!

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Faique y’a des fachos qui ont eu une tite peur pour leurs tis événements?

by on Mar.02, 2015, under Général

En soirée, le groupe Légitime Violence et ses invités français In Memoriam ont tenu un concert dans un lieu tenu confidentiel, par crainte de perturbation par des militants antifascistes ou par la police. [1]
En matinée, ce sont «trois représentants» du groupe d’extrême droite italien Casapound et de son aile jeunesse Blocco studentesco qui donnaient une conférence publique à l’invitation de la Fédération des Québécois de souche (FQS) et du groupe La bannière noire. Là encore, les organisateurs n’ont pas révélé où aurait lieu leur évènement.

conférence Casapound Italia et Blocco Studentesco

conférence Casapound Italia et Blocco Studentesco2
[Photos venant de la page fb de la Fédération des Québecois de souche]

Vous le savez que vous êtes watché-e-s. Vous le savez que des gens vont toujours s’interposer et vous gâcher votre fun de cracher votre marde d’extrême-droite. Ces idées d’exclusion, de haine, de hiérarchie et d’autorité, c’est juste non. La Fédération des Québécois de souche peut ben déguiser son fascisme sous un verni de traditions québécoises et d’inquiétudes pour la majorité et Légitime Violence peut ben chanter : « Ces petits gauchistes efféminés qui se permettent de nous critiquer n’oseront jamais nous affronter. On va tous les poignarder!», vous avez quand même besoin de passer par le bouche-à-oreille pour être sûr-e-s de réaliser vos événements. De la même manière, quand Légitime Violence « ne se qualifie pas publiquement de fasciste, mais plutôt d’«anti-antifasciste» », il n’y a personne de cave. Y’a pas juste vous qui savez que nous savons que dans le fond vous êtes des fascistes qui invitez des groupes fascistes, y’a le lectorat de La Presse en entier qui le sait. Vous trouvez sûrement que c’est un bon moment (austérité et appauvrissement qui vient avec, réflexe de repli identitaire des majoritaires qui se sentent « menacé-e-s » – De quoi? Ça reste un mystère -, contexte global d’islamophobie et de colonialisme néo-libéral) pour encourager les idées fascisantes, mais vous savez aussi que si vous vous montrez de manière décomplexée ça ne passera pas.

Vous allez toujours trouver des gens sur votre route.

En plus, Montréal a cela de très pratique que tout le monde se sent antifasciste dans la gauche radicale. Être antifasciste n’est pas une appellation tant contrôlée ici, même si des groupes et des personnes mettent (heureusement!) une énergie particulière à cette lutte. Donc, avec toute la gauche radicale qui se sent interpellée par les idées de marde que vous essayez de transmettre, ben vous faites bien de vous cantonner à des trous inconnus et de spinner votre marde entre vous.

Vous allez toujours trouver des gens ben motivé-e-s à vous barrer le chemin.

Pour nos archives :
In Memoriam les accompagnait sur scène, selon l’affiche du spectacle. Le groupe français est une figure historique du «rock identitaire français», un courant intimement lié à l’extrême droite.
Casapound «peut être qualifiée comme étant une organisation d’extrême droite de type fasciste, dans le sens que ses fondements idéologiques sont à retracer dans l’expérience du fascisme historique italien», a indiqué une spécialiste de la question, Caterina Froio, à La Presse. Mme Froio est chercheuse postdoctorale à l’Université Paris 2. «Le groupe a incorporé dans sa rhétorique des positions plus ouvertement xénophobes», a-t-elle ajouté.

[1] Toutes les citations sont prises dans l’article de La Presse L’extrême droite se réunit à Montréal publié le 2 mars 2015.

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Le débat sur l’industrie du sexe : cette discussion qui fait fermer sa gueule

by on Jan.23, 2015, under Débats

T’aimerais ça que les filles s’organisent entre elles pour faire un poids sur le patron par rapport au service bar que tu dois payer pour travailler là, aux horaires de marde ou à propos de l’esti de bouncer cave qui taponne toutes les filles qui passent proche de lui. T’aimerais ça, mais depuis le temps, tu sais très bien ce que les filles vont te répondre : « Ben c’est ça la job bé, pis tsé on est mieux de pas faire de marde, c’est une bonne place ici quand même, on fait beaucoup d’argent ». Tu sais qu’elles vont alors commencer à raconter des histoires d’horreur sur d’autres places; où on leur a demandé ci ou ça pour rentrer, ou bien qu’elles ont dû débourser encore plus d’argent parce que «  le fils du boss a décidé que ». Tu sais qu’elles vont en rire et se fâcher, mais aussi se conseiller mutuellement sur « les meilleures places où travailler ». Tu sais aussi qu’à ces autres places ils ne manquent jamais de filles. Tu te dis donc que ces événements doivent arriver souvent. Dans ton club, les problèmes sont réglés par le patron de manière individuelle. Il est gentil le patron, il écoute les filles et des fois il leur donne même des drinks. Mais les conditions de travail ne changent jamais. Pis le criss de bouncer cave qui dit ben fort que les filles sont « des plottes » quand elles ne sont pas friendly avec lui, ben tu le sais qu’il va rester là et va rester aussi intimidant. C’est pas grave, passe de l’autre côté du bar.

T’as un jour pensé que s’il y a des groupes pro-TDS ça devait être les bonnes personnes pour t’informer à savoir quels sont tes droits par rapport au travail. Tu rêvais à des campagnes sur le volet santé et sécurité de ce travail spécifique, des campagnes pour que les filles aient accès à des assurances au travail et à des congés de maternité. Et là t’es déçue. T’es déçue parce que tu te rends compte que ce travail n’intéresse pas les groupes pro-TDS. Est-ce que c’est parce qu’il est légal? Mais c’est quand même du travail du sexe, ça fait quand même partie de l’industrie du sexe non? Pro-TDS ne veut-il pas dire « pro-travailleuse/travailleur du sexe »? Tu ne comprends pas pourquoi ce désintérêt envers un travail du sexe auquel participent tellement de filles. Tu pensais que, justement, parce que c’est légal il y aurait moyen de se servir du code du travail pour mener des luttes pour défendre les droits des travailleuses. Pourtant, tu constates que de s’occuper des conditions de travail des filles qui sont légalement dans l’industrie ne fait pas partie des intérêts des groupes pro-TDS qui veulent pourtant te faire comprendre que la légalisation de la prostitution est la clé de l’amélioration des conditions de travail de celles et ceux qui en vivent. C’est là que tu as commencé à lire « pro-travail du sexe » à la place de « pro-travailleuse/travailleur du sexe » quand tu lis pro-TDS et ta petite voix sarcastique dans ta tête te dit qu’elles devraient changer de nom parce qu’il y a des pans entier de l’industrie du sexe, juste sous leur nez, dans la même ville dont on ne se soucie pas. Des filles qui sont à la fois invisibles et actives. Tu ne leur en veux pas trop parce que tu sais que la mobilisation doit commencer à l’interne. Toutefois, tu leur en veux parce qu’elles ont presque complètement monopolisé le discours de « ce qu’est la réalité d’une personne dans l’industrie ». Tu leur en veux parce qu’elles invisibilisent ta réalité. Les expériences des filles qui sont déjà dans la légalité ne les intéressent pas et la légitimité qu’elles bâtissent, elles la bâtissent aussi sur ton dos. Leur légitimité, qu’elles ne veulent pas partager, mais avec laquelle elles te dominent complètement, te forcent au silence. Tu trouves ça très particulier que des « pro-TDS » (que tu mets entre parenthèse maintenant parce que tu sais qu’elles ne t’incluent pas) puissent publiquement se plaindre qu’elles sont incomprises et se faire publiquement remonter le moral pendant que toi tu ne peux même pas raconter ton vécu en public comme ça.

Tu fermes ta gueule, tu baisses la tête et tu te sens seule.

Tu penses que ton milieu serait dur à mobiliser parce que les filles sont plutôt nomades et parce que pour beaucoup d’entre elles, il n’est pas question de faire savoir publiquement qu’elles font ce travail. Tu te rappelles bien quand ton club est devenu contact, quand les filles en parlaient en se changeant, abattues et déprimées, une d’entre elles a dit : « on devrait faire de quoi! On devrait faire une manifestation! ». Elle s’est fait répondre avec un sourire découragé « ce n’est pas les manifestations qui vont payer mon hypothèque, pis on n’est pas obligées de travailler contact, on peut changer de place. Mais si ce n’est pas toi qui le fait ça va être une autre, pis c’est une autre qui va faire l’argent que t’aurais pu faire ». Une autre fille rit et du fond du vestiaire dit : « come on bé! Tu veux qu’on fasse des manifestations anonymes? ». Toi t’as rien dit, t’étais occupée à être en tabarnak parce que le bouncer cave a osé ajouter « ben si vous aviez été plus gentilles avec les clients le boss aurait pas été obligé de mettre ça contact ». T’étais occupée à écouter l’amie en état de choc qui disait « ça fait 10 ans que je suis ici pis y’ont même pas assez de considération pour nous le dire plus que 2 semaines à l’avance?! Criss quessé que je suis supposée faire?! ».

Au jour le jour, il y a rarement des drames. Les filles sont habituées de prendre soin d’elles seules. Elles se conseillent entre elles « moi je fais pu d’acrobaties sur le stage, comment je gagne mon argent si je me pète une jambe?  – Ah, tu vois moi c’est pour ça que je porte juste des bottes comme ça ma cheville tient pis bonus, je ne suis même pas obligée de me raser tous les jours! », Elles s’échangent des trucs et des rires. Tu sais que c’est une « bonne place » pour travailler parce que celles qui sont le plus nomades te le disent en ajoutant qu’ « ici c’est des filles qui ont de la classe, pas des filles pimpées qui font de la gaffe dans les isoloirs ». Tu les crois parce que toi t’es jamais vraiment allée ailleurs et tu notes la hiérarchie dans les mots. Une hiérarchie qui ne te plaît pas. Tu sais très bien que pour que toi tu aies le privilège de travailler « dans une bonne place », c’est parce que d’autres filles ailleurs n’ont pas ce privilège. Tu sais que tu es en haut d’une pyramide où les échelons les plus bas se font pas mal plus chier que toi.

Ici t’as des hauts et des bas, mais tu connais tout le staff et le patron qui sont gentils avec toi. Pourtant, le patron, tu l’as déjà vu donner un coup de pied à un itinérant pendant que tu fumais dehors. Alors qu’il est agréable et poli avec toi, tu sais que tu ne dois jamais mentionner ça. Ici, les filles sont gentilles avec toi et tu t’es fait des amies. Assurément, toutes tes amies sont différentes. Certaines vont à l’école ou d’autres ont un travail dans la journée, « une vraie job ». D’autres, sont des mères célibataires qui se disent très contentes d’avoir un travail qui leur permet de s’occuper de leurs enfants de tous âges. Tu constates que certaines d’entre elles ne veulent pas qu’on les associe à ce travail, si on peut le qualifier ainsi, même si les chums, les blondes, les parents ou les enfants savent ce qu’elles font dans les nuits torrides de Montréal. Il est évident qu’elles ne veulent pas que leur expérience, dans l’industrie du sexe, soit connue dans une autre « vraie job » ou à l’école. Pouvons-nous les blâmer ? Elles sont entièrement conscientes de la stigmatisation et des préjugés qui les caractérisent, à l’extérieur du club ou dans leur ou dans la société en général. N’ont-elles pas raison de se protéger, car aucun droit ne leur y est attribué et reconnu ? Seuls leurs « vrais » noms les protègent et encore. Tu trouves ça triste et aberrant.

D’autres amies sont contentes que leur job soit complètement liée à leur mode de vie. Elles font de la promo pour le club, sont dans les rues quand c’est le temps du Grand Prix et disent ouvertement que c’est leur travail dans la vie de tous les jours. Elles te font vivre beaucoup d’émotions avec leurs histoires folles d’amoureux riches qui les font voyager partout dans le monde dans des grands hôtels de luxe en les couvrant de bijoux, pour les flusher trois mois plus tard parce que dans le fond, ils ont une blonde et elle vient d’accoucher.

Il y a aussi d’autres amies qui sont privilégiées de travailler dans ce club, mais dont la couleur de peau devient un obstacle dans ce contexte. On pourrait croire que l’industrie du sexe utilise une palette de filles pour le goût et le choix des clients, mais c’est tout à fait le contraire. Ta meilleure amie est noire et ne s’arrête pas à ça. C’est plus une problématique pour la majorité des patrons. Pourquoi ? Parce qu’ils disent que « les clients aiment pas quand y’a trop de noires ». Parce qu’ils se disent qu’ils connaissent le choix des clients et aussi que certaines filles noires dans le club pourraient se plaindre du nombre. C’est-à-dire qu’il y a un « nombre juste » de filles de couleur dans un univers où ton horaire ne dépend pas juste de tes disponibilités, mais de « ça serait mieux que tu rentres jeudi y’a pas de noires ». Dans le même ordre d’idées, dans certaines agences de placement (i.e. escortes ou danseuses), les agents disent de certains clubs qu’« ils n’engagent pas de noires à cette place-là ». En vérité, on ne limite jamais le stéréotype de la fille blanche, aux yeux bleus et au cheveux blonds, et surtout, très mince. En un mot, c’est du racisme.

Tu le vis comme un travail parce que pour une partie du temps que tu passes à cet endroit tu reviens avec de l’argent. C’est comme un travail, il y a des hauts et des bas. Un patron, d’autres gens qui travaillent, un espace physique connu, t’as même une petite case où mettre tes choses. T’as des collègues : tes amies, des bonnes connaissances, celles avec lesquelles tu n’as que de maladroites tentatives de conversations et celles que tu n’aimes pas. Tu le vis comme un travail.

C’est à des moments particuliers que tu ne te sens plus dans un travail. Comme quand le patron dit que les clients n’aiment pas quand il y « a trop de noires ». Ça cloche parce que tu sais que dans n’importe quel autre travail dire ça aurait été impensable, mais ici, parce que c’est le corps de la fille qui est loué, il devient compréhensible que le patron parle des « goûts » des clients, même s’il y ajoute un racisme crasse. Comme quand tu jases avec une collègue et qu’elle dit, de manière très sincère et empathique, en montrant une autre fille : « Une chance que cette job-là existe pour des filles comme elle. Elle pourrait rien faire d’autre, là au moins elle peut travailler » et que les gens autour hochent unanimement la tête en signe d’accord. Comme quand des clients rechignent à te payer en te disant que les filles à d’autres places font des prix ou qu’ils pensent faire leurs big shots en disant « pour ce prix-là j’aurais eu une Dominicaine pour une semaine! ». Comme quand tu te retrouves face à une table de jeune filles mineures qui « sortent en ville » et, toutes émerveillées, te disent qu’elles aimeraient bien faire ça plus tard, tout en se moquant de la seule qui semble réticente à l’imaginer dans son plan de carrière. Ce sont de petites choses, de petits moments qui te laissent un goût amer en revenant de travailler. Des choses graves arrivent aussi. De la violence physique et des insultes. À chaque fois qu’un truc brasse beaucoup une fille, le patron l’écoute ventiler dans son bureau, lui offre même un drink, ou la laisse repartir à la maison. Mais étrangement, ce ne sont pas les trucs graves qui te font le plus voir que quelque chose cloche dans ce travail. Ce sont ces petits moments, ces petits riens qui sont supposés faire partie de la job.

Les trucs graves ne sont pas supposés arriver. Quand ça arrive les gens sont empathiques et les filles considèrent l’événement comme un incident. Par contre, la copine qui est obligée de dire au téléphone qu’elle est noire en appelant dans une nouvelle place pour se faire booker, ça fait partie de la job. Entendre des gens penser que c’est la seule job que certaines filles peuvent avoir, ça fait partie de la job. Entendre des clients faires des jokes d’inceste quand tu leur dis que tu as une fille ado, ça fait partie de la job. Savoir que d’autres filles, ailleurs, font ben plus en faisant ben moins d’argent, juste parce que toi t’as le privilège d’être à une bonne place, ça fait partie de la job. Endurer le staff masculin « taquiner les filles » en disant qu’elles sont « jalouses parce qu’elles s’en viennent vieilles » juste parce qu’elles sont dérangées par le fait que la dernière à être rentrée a le physique d’une jeune fille pré-pubère, ça fait partie de la job. Être obligée de payer des montants considérables juste pour pouvoir essayer de faire de l’argent, ça fait partie de la job. Se faire chier par l’escouade de la moralité de la police qui vient au club une fois de temps en temps pour « s’assurer qu’il n’y a pas de mineures », c’est-à-dire noter les identités des filles et parler d’elles à la troisième personne en faisant des commentaires déplaisants pendant qu’elles sont dans leur face, ça fait partie de la job.

Quand tu te fais frapper, humilier, lancer ton argent par terre en te faisant traiter de bitch, quand tu te fais voler de l’argent ou que tu te fais droguer, ce n’est pas supposé faire partie de la job. Ça arrive quand même. Tu sais que ça doit vous arriver aux amies et à toi bien plus souvent qu’aux caissières du Super C, mais ça reste des incidents isolés. Personne ne trouve ça normal ou correct, même le bouncer cave. Se remettre de ce qui n’est pas supposé arriver te semble beaucoup plus facile que d’effacer le sentiment que te donne tout ce qui fait partie de la job. Quand le client te vole de l’argent en ne te payant pas, tout le monde est gentil avec toi, te console et t’écoute. Quand le client admet qu’il est un peu mal à l’aise avec le concept de payer une fille qui ne l’a pas choisi, en plus d’avoir à dire à d’autres filles qu’il ne les veut pas, qu’il se fait répondre « c’est comme des légumes à l’épicerie, les tomates ne vont pas chialer si t’aimes mieux les concombres » et que ça te dérange, personne ne te console et ne t’écoute.

Tu sens que l’expérience de travail est différente de toutes les autres jobs que t’as faites, même si t’as un horaire stable, un gentil patron et des super collègues. Tu as envie de nouer des liens avec des groupes qui eux aussi trouvent que cette industrie n’est pas émancipatrice, même si l’argent que tu fais de manière autonome peut t’émanciper. Tu regardes les groupes abolitionnistes réglementaristes et tu comprends leur existence. Tu comprends leur existence et tu la trouves importante parce qu’en tant que privilégiée dans l’industrie tu en vois des poquées, des filles qui n’ont pas le choix, qui ont peur, qui consomment trop « parce que sinon chu pas capable d’endurer les esti de clients! ». Tu sais que des filles doivent donner leur argent à la fin de la nuit et tu ne sais pas trop quoi leur dire quand elles pleurent dans le vestiaire en panique parce que « shit j’ai déchiré mon costume neuf, mon chum va capoter il ne voudra pas m’en acheter un autre! », quand tu sais très bien qu’elles font plusieurs centaines de dollars à chaque nuit. Mais ces filles-là ne sont pas tes amies, tu ne sais jamais trop quoi leur dire et de toute façon elles ne restent jamais longtemps. Toi, tu es privilégiée. Toi, le patron trouve que t’es une bonne fille et tes amies aussi sont considérées comme des bonnes filles. Toi, ton argent il t’émancipe, il ne t’enchaîne pas. C’est pour ça que même si tu n’as pas envie de rejoindre les groupes abolitionnistes réglementaristes, tu penses qu’ils sont essentiels. Ils pointent le truc qui cloche dans ce que tu constates de ton expérience. Ils font les liens entre tout ce qui cloche et montrent un tableau d’ensemble. Tu es d’accord avec ces groupes, mais tu ne t’y sens pas à ta place. Tu es contente qu’ils existent mais tu n’es pas d’accord avec la voie légaliste. D’ailleurs, pro-TDS réglementaristes ou abolo réglementaristes, tu en as plein le cul qu’on te dise que la réponse est dans les lois. Toi tu penses que la réponse est dans la solidarité des travailleuses/travailleurs de l’industrie l’un/e envers les autres. Toi tu penses que la réponse est dans l’acceptation de la diversité des expériences et le fait d’ouvrir les yeux sur la pyramide des privilèges des gens qui y sont. Toi tu penses que l’amélioration des conditions de travail de ce milieu-là passe par le rapport de force contre les patrons, pas en devenant des patrons.

Avec les gens de gauche tu te sens seule parce que sur le sujet de l’industrie du sexe, il n’y a qu’un seul mantra qui est accepté « les pro-TDS savent de quoi elles parlent! C’est leur job!». Tu fermes donc ta gueule en buvant ta dernière bière. C’est ta dernière bière parce que t’as pu envie d’être là. Tu trouves ça excessivement violent que des gens te disent, en se servant d’expériences d’autres personnes, que ton expérience est invalide, que tes observations sont de la marde. Tu sais que tu n’as aucune légitimité parce que toi tu ne peux pas t’afficher publiquement. Tu es déçue de voir des gens d’habitude critiques, faire un amalgame grossier entre sexe-positif et industrie du sexe. Tu ravales, tu fermes ta gueule et tu quittes ces espaces.

Avec les féministes tu te sens seule pour les mêmes raisons. En plus ça te fait doublement mal parce que tu penses toujours que les espaces féministes vont te laisser respirer un peu. Tu penses toujours que les espaces féministes vont être plus sensibles au fait qu’une majorité écrasante de filles dans l’industrie, du côté réglementé ou non, ne peuvent pas s’afficher publiquement. Tu penses que les féministes d’une grande ville comme la tienne, où l’industrie du sexe est florissante, vont être capables d’avoir la sensibilité de penser que statistiquement, si une travailleuse pro-TDS se trouve dans leur espace, d’autres qui ne peuvent pas s’afficher sont aussi présentes.

Mais ça n’arrive pas. Ça n’arrive jamais.
Tu ravales donc, tu baisses la tête et tu fermes ta gueule.
Et tu te trouves dont niaiseuse de leur avoir fait confiance à ces féministes.

Puis, tu prends sur toi. Tu relèves la tête et tu trouves la force de réaffirmer (à toi-même vu que ça n’intéresse personne d’autre) que NON, personne ne te forcera à t’afficher publiquement avec ton expérience, tu ne céderas pas à cette violence. OUI ton expérience et ton vécu sont quand même valides même si tu ne peux pas les afficher dans l’espace public. NON tu ne te laisseras pas mener par cette fausse idée de la réglementation comme celle d’une recette magique. NON te ne feras pas partie de ces gens qui pensent que t’es « avec ou contre eux ». OUI tu vas continuer à parler de l’expérience de la légalité de cette industrie. Tu veux le faire pour toi, mais aussi pour désinvisibiliser les expériences de toutes ces filles, ces amies. Vous toutes, rendues muettes par des gens qui monopolisent la parole et les expériences. Tu vas continuer à nouer des liens avec d’autres filles comme toi. Elles existent, tu en rencontre de plus en plus. Elle viennent te voir en privé sur les réseaux sociaux pour te remercier de ce que t’as commenté, elles t’approchent discrètement juste avant de partir d’un party pour te remercier d’avoir tenu ton bout contre la personne qui commençait toutes ses phrases en disant « moi je connais une travailleuse du sexe et elle dit que c’est une job normale ».

Et ça te fait sentir plus forte contre tous/tes ces gauchistes, ces féministes, ces conservateurs, ces étatistes, ces légalistes, ces insensibles, ces clients et ces patrons.

Et là, tu te sens moins seule.

Deux filles de l’industrie, dont l’une qui remercie sa meilleure amie pour tout et plus encore.

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Des questions pertinentes pis moé

by on Sep.05, 2014, under Ce qui nous concerne, féminisme

smash patriarchy

J’aurais aimé dire quelque chose d’intelligent ou de profond en introduisant ici cet interview auquel j’ai répondu ailleurs.

Ça arrivera pas, mais je vous mets un vidéo de consolation.

Et j’en profite pour dire un gros merci à jesuisfeministe.com et à leur série Dialogues. Les questions m’ont beaucoup fait réfléchir et de m’arrêter comme ça, quelques heures, pour penser au féminisme et aux féministes au Québec ça m’a refait penser à la richesse de cette pensée politique et la force que je ressens à m’organiser avec d’autres féministes dans ce combat contre le patriarcat.

On lâche rien!

 

 

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La saga AFPC-FTQ vs SETUE-UQAM: quand un syndicat a des réactions de patron

by on Juil.05, 2014, under Général

really-mean-boss

Nous sommes des membres du SETUE. Nous sommes des membres qui allons à nos assemblées générales quand nous le pouvons, qui lisons le SETUE l’info quand nous avons le temps et qui nous intéressons vivement aux questions des négociations de notre future convention collective. Nous sommes attaché-es à ce syndicat. Nous avons l’impression qu’il est rendu vivant par le temps que ses membres y mettent ainsi que par le souci de tous les conseils exécutifs que nous avons connu de respecter les décisions démocratiquement prises en assemblée générale. De la même manière, nous sommes également heureux-ses de faire partie du contexte uqamien et universitaire qui nous permet de tisser des solidarités avec d’autres luttes.

Or, voilà que depuis déjà quelque temps, nous sommes confronté-es, avec un mélange d’étonnement et de colère, à une évidence : l’AFPC-FTQ, notre centrale syndicale, ne nous a jamais considérés de la même manière que nous, les membres, nous nous imaginons.

Nous croyons qu’un syndicat démocratique doit être redevable de ses actions en assemblée générale, et que le syndicat local doit assurer son autonomie en représentant et en défendant les membres et les positions prises en assemblée générale. Cependant, nous avons eu la désagréable surprise de constater que l’AFPC ne considère pas l’autonomie d’un syndicat local, en ne reconnaissant pas la légitimité des décisions prises en assemblée générale. Le respect de la démocratie est à leur bon vouloir.

Ainsi, nous constatons que dans le langage, les méthodes et le respect accordés aux membres, nous sommes face à deux mondes complètement opposés :
D’un côté, nous. Nous qui pensions que le syndicat local était autonome et indépendant dans nos décisions. Nous qui savons que pour qu’une organisation soit démocratique, la décision doit passer par ses membres. Seulement ses membres, parce que qui de mieux que les membres pour juger et prendre des décisions sur des enjeux qui les touchent directement.
Et eux, l’AFPC. Dans notre cas ce eux est représenté par l’AFPC, mais nous ne sommes pas dupes. Quand nous parlons du “eux“ nous parlons d’une culture syndicale centralisatriste, autoritaire et homogène. Nommez la grande centrale que vous voulez, elles sont coupables. Une culture syndicale où les décisions sont prises par le haut, et où les décisions locales et les volontés des assemblées générales sont accessoires.

Cette culture syndicale qui use de violence et invisibilise des syndicats plus marginaux, ou plus autonomes, ou simplement où les membres sont très actifs et veulent avoir leur mot à dire. Ces immenses machines en sont rendues à écraser des travailleurs juste parce qu’elles veulent garder le contrôle. Et tout ce mépris, cette infantilisation et ces menaces sont tellement banalisés que nos solidarités passées s’effritent. Comme si ce que nous partageons, en dehors du syndicalisme, n’avait jamais existé.

Mais vous qui vous disiez “camarades“ par le passé, si vous êtes capables de penser que “c’est ça la game syndicale“ non seulement vous n’êtes pas nos allié-es dans la défense de notre autonomie, mais en plus vous montrez votre visage de syndicaliste, avalé par les grandes machines, qui n’ose plus réfléchir ou s’opposer. Mais si votre carrière dépend de votre silence quand votre employeur menace et méprise, vous n’êtes pas mieux que n’importe quel carriériste. Votre grosse centrale-patron le sait bien, elle. Et quand vous visez des gens qui ont besoin d’un travail en leur présentant un coup de force comme un travail quelconque et bien vous devenez l’outil crapuleux de votre patron.

Ce n’est pas pour ça que nous partageons des valeurs syndicalistes.

En ce moment, nous aimerions beaucoup penser à nos négociations et à notre convention collective à venir. Nous avons fait beaucoup d’assemblées générales et nous avons réfléchi collectivement à ce que nous voulions, à ce que nous ne voulions pas, et à nos priorités. Mais nous ne pouvons pas aller de l’avant, car l’AFPC a décidé que les négociations étaient suspendues. Ainsi, l’AFPC nous démontre que toutes les décisions prises par l’assemblée générale à ce propos sont accessoires. En constatant cette suspension ainsi que les démissions d’éxécutant-es, élus par l’assemblée générale, forcé-es par les menaces de tutelle, nous n’avons pas le choix d’en venir à une conclusion : l’AFPC ne se soucie guère des réflexions et des décisions prises pour défendre le groupe de travailleuses et de travailleurs que nous sommes, mais veut simplement asseoir leur autorité. Ainsi nous comprenons, en tant que membres, que l’AFPC nous méprise et préfère nous voir mal outillé-es qu’autonomes et responsables de nos décisions.

De là notre grande surprise à lire les derniers messages de l’AFPC. Selon eux, ils sont sur la défensive pour une question de maraudage quand nous savons, parce que nous assistons à nos assemblées générales, parce que nous lisons la documentation disponible, et parce que nous refusons cette culture du silence qui ne sert qu’à baillonner les syndicats plus autonomes ou marginaux, que les tensions et les menaces datent de bien avant. Il y a de cela des mois, nous avons vu notre comité externe se faire infantiliser suite à leur version d’un congrès AFPC-FTQ et des gens de l’AFPC pousser sur des lignes précises par rapport à nos négociations, en assemblée générale ou en conseil syndical, pour nous dire que certaines de nos décisions “ne se font pas“ sans jamais aucune explication.

Ainsi, si nous sommes unanimement d’accord sur le fait que nous ne trouvons pas que la CSN semble avoir une culture syndicale plus respectueuse, ou ouverte, nous comprenons tout à fait le sentiment des gens qui veulent changer d’affiliation. En effet, de ce que nous avons compris, très concrètement, nous serons les seul-es responsables de notre convention collective (présentement l’AFPC est la propriétaire de cette convention, qu’elle peut signer sans nous), et notre argent sera à nous qui devrons en donner une part à la centrale (tandis que maintenant l’AFPC reçoit nos cotisations et nous en donne une partie). De manière très concrète, nous gagnons de l’autonomie, nous nous débarrassons d’une emprise qui pèse de plus en plus lourd.

Nous ne croyons pas que les gens qui ont accepté de signer des cartes CSN ou de participer au maraudage se sont fait convaincre. Ce sont tout simplement des gens qui sont allé-es à leurs assemblées générales, qui ont lu les lettres ouvertes et les SETUE l’info et qui se sont fait une idée par eux-mêmes. Mais bien sûr, c’est facile pour l’AFPC de croire que ces personnes sont manipulées par la CSN, parce qu’elle n’est pas capable d’imaginer l’action syndicale autrement que par un mouvement venant du haut vers le bas.

De la même manière, nous croyons que ce n’est pas parce que les gens signent des cartes CSN que nous allons nous fondre dans l’ombre de cette centrale si affiliation il y a. Le SETUE est et a toujours été autonome, très vivant de par ses membres, et a surtout toujours eu un souci et un respect des membres qui commence par le respect de l’assemblée générale. Et si la CSN se tient tranquille pendant ce maraudage, elle ne devrait pas oublier que présentement les gens ne font pas nécessairement signer des cartes CSN parce qu’ils et elles sont pro CSN, mais parce qu’ils et elles sont avant tout pro-SETUE.

Nous avons des négociations importantes à mener, une lutte à continuer. L’AFPC s’est opposée à notre autonomie, des membres s’opposent donc à l’AFPC.

Dommage pour ceux et celles qui voulaient croire aux complots…

Des membres du SETUE qui se sentent prêt-es à se défendre.

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Le projet de loi C-36 ou la preuve que les Conservateurs ne peuvent être alliés de personne sauf de la droite catho

by on Juin.09, 2014, under féminisme, Général

vg arles

Je me considère abolitionniste, et pour les passionné-e-s de constitution : non, je ne crois pas que le projet de loi passerait en Cour suprême (mais bon…je ne suis ni juriste ni constitutionnaliste). Et parce que cette question devrait être de l’ordre du politique et non de l’interprétation des lois existantes, je crois que les abolitionnistes devraient continuer à faire pression partout pour exposer leurs témoignages et leur analyses. Les Conservateurs et la droite chrétienne ne sont pas nos allié-e-s… pour plein de raisons.

Tout d’abord une parenthèse… Bien sûr que j’ai un malaise à admettre que mon abolitionnisme doit, dans notre contexte, aussi passer des actions de l’État. Mais comme pour ma lutte pour l’éducation en particulier et pour une meilleure justice sociale en général, je reconnais que l’État s’accapare les ressources et la légitimité nécessaires, donc oui, comme pour de meilleurs logements sociaux, pour des soins de santé gratuits et/ou pour permettre à des personnes de l’industrie du sexe de s’en sortir si elles le veulent je pense que faire pression sur l’État peut être nécessaire.

Ceci étant dit… Le projet de loi C-36 me fait quand même froncer le nez. Je suis d’accord qu’il s’attaque aux clients et aux proxénètes et non plus aux personnes de l’industrie, et qu’il permet de penser la prostitution comme de l’exploitation. Mais les Conservateurs n’auront pas une médaille de ma part pour ne pas pénaliser les personnes prostituées, je trouve que c’est la moindre des choses. D’ailleurs, j’aime bien le préambule, ça utilise des mots comme exploitation, violence, dommages sociaux, et chosification du corps humain. Ça peut être bien dans un futur, ou dans un monde judiciaire, mais dans un espace temps plus concret ce n’est pas une garantie suffisante de changement social. Et c’est peut-être dû au milieu militant duquel je viens, mais les considérants ne font pas partie de la proposition, et bien que le préambule mette la table à une autre vision de la prostitution qu’un simple exercice marchand entre deux personnes libres et égales, il me semble que c’est les articles de loi qui sont importants et performatifs. Et même le sommaire est très clair : le projet de loi C-36 crée des infractions, plein d’infractions, et pas d’ouvertures.

À mon avis, l’esprit dans lequel est créé ce projet de loi, la partie sur les enfants, et la somme ridicule investie dans un flou « pour aider les femmes à sortir de la prostitution » sont des aspects inquiétants de ce nouveau tournant, et je suis déçue de voir que des camarades féministes abolitionnistes se contentent de voir les bon côté du C-36 en laissant de côté la construction moraliste et puritaine que ça exprime. Si je suis abolitionniste c’est parce que je vise à plus de justice sociale et d’égalité des chances, pas parce que je veux « sauver la dignité » de certaines personnes.

Le titre même me fait tiquer: « Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation. » La protection des collectivités ? Vraiment ? Keeping our streets and communities safe ? Les rues ? Pas les personnes ? Protéger la collectivité de la prostitution ? Comme d’une maladie ? Protect those who are most vulnerable by going after the perpetrators, the perverts, those who are consumers of this degrading practice. Les pervers ? Sérieux ? Les pervers ?! There will always be an inherent danger in this degrading activity. Euh quoi ?! Autant ça me fait vomir et hurler quand je vois des gens de l’industrie commander à d’autres qu’elles n’ont pas à se sentir dégradée, malheureuses ou violentées, autant je ne vais JAMAIS accepter qu’on oblige des gens qui se sentent bien à se sentir dégradés. De la même manière, tous les passages qui parlent d’endroits publics, d’interférence à la circulation, ou de vue du public, me lèvent le cœur. Il est question ici de cacher la prostitution, parce que dans la morale conservatrice il ne faut pas permettre plus d’égalité, mais simplement cacher ce qu’ils ne veulent pas voir. Vous êtes laids les Conservateurs !!!

Ce que je constate, c’est des interdictions, mais absolument rien pour accueillir les personnes – femmes ou hommes- qui voudront faire le choix de ne plus faire partie de l’industrie. Bien sûr que tout le monde est contre l’exploitation des gens, mais juste l’écrire ça ne donne rien si ce n’est pas accompagné par des mesures sociales (et de l’argent pour ces mesures), ainsi qu’un changement de mentalités pour ne plus permettre de stigmatiser, de rabaisser, et d’invisibiliser. Acquiescer au fait que la violence sertest intrinsèque à la prostitution c’est pas mal, mais ne rien faire, ne pas nommer, ne pas dénoncer cette violence économique, cette culture machiste, et cette libéralisation du marché des corps humains, qui permettent l’exploitation sexuelle c’est rester dans une logique moraliste qui n’est utile en rien à la « dignité » des gens de l’industrie.

Non les Conservateurs, vous n’êtes pas mes alliés.

Je trouve que le discours est important, non la fin ne justifie pas les moyens. Et ce qui me dérange aussi, au delà du flou artistique sur le comment cette loi va permettre une meilleure qualité de vie à des gens et une ouverture à plus de choix, c’est que ce discours moraliste invisibilise totalement la volonté de justice sociale du militantisme abolitionniste. En acceptant ce projet de loi sans aucune critique de fond car il rend enfin visibles les clients (enfin oui il était temps!), il nous fait nous allier avec des gens avec qui nous n’avons pas grand-chose en commun et mettre de côté des allié-e-s potentiel-le-s.

Les féministes abolitionnistes ne devraient pas avoir honte de dire haut et fort que la pensée qui sous-tend ce projet de loi n’est pas féministe. Les motivations du gouvernement sont minablement basées dans une droite chrétienne. La pensée qui sous-tend cette motivation est réactionnaire, moraliste et puritaine, et tout le monde s’en rend compte. Continuer à s’associer au projet de loi c-36 parce que certains aspects vont dans le sens qu’on aimerait c’est mettre de côté la base fondamentale sur laquelle notre idéal abolitionniste évolue : celui de la justice et de l’équité sociale. Je pense que le calcul politique de s’associer ou se dissocier totalement du projet de loi ne doit pas perdre de vue la possibilité que celui-ci ne finisse jamais par être une loi et que le gouvernement conservateur le sait. Platement ça pourrait être un calcul politique sachant que les élections arriveraient assez vite. Alors pourquoi dire qu’on s’associe à des idées conservatrices, qui ne deviendront très probablement pas des lois, quand nous voulons en fait quelque chose de différent des conservateurs. Quelque chose qui vient toucher d’autres acteurs et permet de nouer des solidarités.

D’un autre côté, je tiens à dire que je suis aussi déçue (et terrifiée) par le traitement médiatique que ce projet de loi a eu. Ainsi, Le Devoir, l’Actualité, et des groupes pro-travail du sexe, s’étendent sur la ridicule consultation en ligne que le gouvernement conservateur a commandée en disant que c’est là-dessus que celui-ci se base pour son projet de loi et ce nouveau vocabulaire. Heille gang ! Une méthodologie de marde ne vous donne aucun droit de faire preuve de mauvaise foi et de passer outre le fait que beaucoup de groupes de femmes, certaines qui se considèrent elles-même comme survivantes de l’industrie, sont contre la vision de la prostitution comme étant d’une activité économique banale entre deux adultes consentants. Que leurs témoignages, leurs voix, leurs expériences et leur désir de mobilisation sur cette question soient invisibilisés et amenuisés juste parce que le gouvernement conservateur est, lui, moraliste, puritain, et laid, je trouve ça cheap shot rare.

Les arguments que je lis depuis quelques jours me font sortir les yeux de la tête. Tout le monde acquiesce que les contacts avec les clients peuvent être très dangereux, même mortels. Il semble donc y avoir un consensus comme quoi les clients peuvent être dangereux, tellement dangereux que de base, on ne fait pas confiance à ceux qui veulent acheter du sexe dans la rue (l’argument de « il faut que la prostituée puisse jaser avec son client pour se rendre compte que ce n’est pas un psycho qui va la couper en morceaux » est celui qui revient le plus pour attaquer le fait qu’elles/ils ne pourront plus prendre du temps dans la rue parce que les conservateurs ne veulent pas que ça se voit). Mais on ne relie pas le fait que, collectivement, nous n’avons pas confiance en ces potentiels « acheteurs » et le fait que c’est un travail particulier qui amène des demandeurs particuliers ?! On s’attend à ce que cette activité fasse rencontrer des personnes dangereuses, mais on n’est pas capable de se dire que ces gens-là ont été socialisés de manière à permettre ça et qu’il y aurait donc sûrement des choses à changer dans notre manière de voir le corps des femmes, ou sur le droit d’accès marchand à celles-ci ?

Et le pire du pire: This sort of “screening,” the ruling said, might have “prevented one woman from jumping into Robert Pickton’s car. Ainsi, si une femme se fait tuer, c’est parce qu’elle n’a pas assez eu de temps pour « gager » son client ??? Ainsi, la responsabilité de sa sécurité est encore sur ses épaules à elle ? À la place de viser les gens, les comportements et les discours qui permettent la violence sur les personnes prostituées, on va leur dire d’être « plus prudentes » ?

C’est dégueulasse, et pourtant ce ne sont pas des Conservateurs qui disent ça.

C’est pour ça que je suis encore pleine d’espoir. Parce que des aspects fondamentaux qui relient les féministes abolitionnistes et les pro-travail du sexe c’est la sécurité des femmes et des hommes ainsi que leur libre choix de faire partie de l’industrie. Et ce n’est pas ça que les conservateurs visent, mais ce n’est pas non plus ce que nous allons accomplir si nous nous cachons la tête dans le sable par rapport aux risques inhérents à une mentalité qui banalise l’utilisation et la marchandisation des corps.

Les Conservateurs ne sont pas nos alliés. Nos allié-e-s sont du côté des gens et des groupes qui visent à transformer les mentalités et les pratiques sociales. Mes allié-e-s sont du côté des gens qui veulent plus d’ouvertures et de possibilités pour les gens qui sont dans la prostitution. Je veux des programmes sociaux, un salaire minimum plus élevé, de l’intégration à l’emploi, de l’éducation à tous les niveaux, des garderies gratuites avec des horaires différents, des centres de repos et d’écoute, ainsi que des rencontres selon les besoins avec d’autres qui ont décidé de sortir de l’industrie mais aussi avec celles/ceux qui décident d’y rester et de s’organiser de manière autonome. Et ça, ça sera seulement possible si on continue a tisser des solidarités avec des allié-e-s objectives oui, mais qui visent à une transformation sociale, pas à un camouflage esthétique.

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Les choses ne vont pas si mal

by on Avr.12, 2014, under Général

Par Umzidiu Meiktok, alias Mouton Marron.

Nous en avons encore pour au minimum quatre années et demie de copinage libéral, d’absence de débat, de lois agressives, de privatisations par la bande, de renforcement policier et surtout, surtout d’une floppée de projets polluants imposés par la force. Dans les faits, il y a peu de différences idéologiques entre le Parti Québécois et le Parti Libéral, mais je ne suis pas de ceux qui pensent que rien ne change après des élections, même si cela n’a rien à voir avec les individus qui composent le conseil des ministres. Si on peut se permettre d’espérer que la marche du néolibéralisme policier (« ou les vraies affaires »)  ne s’accélère pas considérablement sous Couillard, la situation n’est pas totalement désespérée. Voilà pourquoi.

Des gens qui favorisent le PQ vont retourner dans la rue

Si le PQ et le PLQ s’équivalent, il n’en va pas de même pour leur base partisane. On a souvent sous-évalué le poids des péquistes dans les manifestations de la grève étudiante. Et si une bonne partie des militant-e-s les plus conformistes appelaient souvent à voter et à cesser toute action politique pendant les élections de 2012, une bonne partie ont tout de même grossi les foules insoumises.

Avec le PQ au pouvoir, illes sont retourné-e-s chez eux. Beaucoup pourront témoigner de l’agressivité parfois intimidante avec laquelle les péquistes ont défendu le pouvoir au cours de l’année 2013. Il existait une réelle pression pour se la fermer, une pression telle que je n’en ai jamais sentie auparavant d’ailleurs, et qui provenait de militant-e-s qui se disaient progressistes. J’espère profondément que ce ne seront pas eux et elles qui rejoindront à nouveau la contestation[1]. Mais il est possible que ceux et celles, parmi les progressistes, qui ont cédé à la pression de ne pas critiquer le pouvoir voient celle-ci relâchée subitement.

Avec un gouvernement libéral, notre rapport de force pourrait grandir.

Les enjeux qui divisent

Le PQ et le PLQ ont tous deux alimenté la division afin de gagner en popularité, déclenchant sans scrupules des flambées de violence, policière dans le cas du PLQ, et xénophobe dans le cas du PQ. Avec eux, la fin justifie toujours les moyens. Et leur fin, c’est de réussir leur carrière politique. Les nationalistes ont cependant réussi ce que les libéraux n’ont pas été en mesure de faire: diviser la gauche. Alors que beaucoup ont décidé de ne pas s’impliquer dans les enjeux identitaires, d’autres se sont rangé-e-s d’un côté ou de l’autre.

Et plusieurs progressistes sincères et authentiques – même des féministes anars, vous en connaissez peut-être, moi deux – se sont laissé tenter par la Charte et l’ont défendue. Ce n’était pas nécessairement par xénophobie.

Il ne faut pas non plus sous-estimer l’admiration dont étaient l’objet Martine Desjardins et Léo Bureau-Blouin, non seulement chez plusieurs jeunes, mais aussi et surtout chez les progressistes modéré-e-s des autres générations. Le PQ a réussi à coopter des leaders étudiant-e-s et à les faire adopter une position qui est fondamentalement opposée aux revendications de 2012. Entre eux et nous, le fossé s’est creusé. Mais d’autres ont suivi.

Le PLQ et les politicien-ne-s sont affaibli-e-s

Cette cooptation des leaders des fédérations étudiantes est sans doute un des seuls gains politiques réels du PQ dans un climat post-grève. Une victoire d’autant plus faible que le gouvernement qui les a récupéré-e-s était minoritaire, et que, c’est un secret de polichinelle, les fédés ont toujours été acquises au PQ.

Les élections de l’automne 2012 mettaient aux prises un gouvernement autoritaire, discrédité et épuisé, un nouveau parti vaguement populiste et un PQ qui essayait tant bien que mal de récupérer à la fois le vote contestataire et celui des frustré-e-s pogné-e-s dans le trafic[2].

La situation s’est dégradée depuis pour les politicien-ne-s. Charest était un leader fort et aguerri. Et il était très bien entouré.

Mais au fil du temps, son équipe s’est transformée. Réagissait-il trop mal à la critique et à la division au sein de son parti[3]? Avait-il choisi des ministres trop âgé-e-s? La grève étudiante a achevé de péter la yeule de ce gouvernement encore étonnamment rempli de ressources. Rappelons qu’à la fin, trois grandes figures du PLQ ont dû quitter: Line Beauchamp, Michèle Courchesne et Jean Charest, laissant le parti édenté[4] et psychologiquement épuisé. Et inutile de dire que les militant-e-s du PLQ, qui sont pour la plupart d’une servilité abrupte, font grand cas de leurs leaders. On peut s’attendre à bien des coups bas et des manigances au cours des prochaines années, mais chose certaine, on ne fera pas face à la même dynamique.

Le PQ était uni par la force sous Marois, qui a réussi à faire taire les récalcitrant-e-s après des années de travail acharné, marqué par la mise au pas et l’exil. Maintenant qu’elle est partie, des hommes à l’ambition infinie dansent sur les cadavres. La chicane va repogner.

Quant à la CAQ, elle ne s’appuie que sur la popularité de François Legault. Derrière, il n’y a que du vent et quelques écervelé-e-s, quoique confortables. Si Legault tombe – et on peut compter là-dessus, il FINIRA par faire une erreur plus grave que les autres – le parti redeviendra une version famélique de l’Union Nationale. Qui pourrait remplacer le chef efficacement? La vieille garde de l’ADQ?

Et en ce qui concerne QS, eh bien il ne formera pas le prochain gouvernement, ni le suivant.

Une défaite du nationalisme conservateur

Quelques médias ont parlé de l’influence extraordinaire d’intellectuels nationalistes, surtout des historien-ne-s et sociologues, pendant le mandat du PQ. Sur mon ancien blog, j’ai parlé à quelques reprises de la Coalition pour l’Histoire et de l’Institut Lionel-Groulx. Devinez qui était sur le C.A. du dernier organisme en 2013: eh oui, PKP.

Les intellectuel-le-s admis-es dans ce cercle n’étaient dangereux/euses que parce que le Parti Québécois était au pouvoir. Plusieurs les soupçonnent même d’avoir été à l’origine du projet de cours d’histoire obligatoire au cégep et, ce qui est un peu moins probable, de la Charte. Ce serait fantaisiste de croire que ces gens-là pourront trouver une oreille attentive au PLQ, étant donné surtout qu’ils n’ont pas les finances des lobbyistes du milieu des affaires.

Dans tous les cas, maintenant que leur pari est perdu, il ne leur reste que leur tribune – assez imposante quand même – au Devoir et quelques chroniques dans d’autres quotidiens.

À quoi ça nous sert, tout ça?

Résumons: les politicien-ne-s sont affaiblis. Les intellectuel-le-s nationalistes ne peuvent plus influencer le gouvernement. La gauche est à cours de sujet pour se diviser. Les militant-e-s progressistes votant traditionnellement pour le PQ n’ont plus que la rue pour s’exprimer. Et tout ça au beau milieu d’une crise de légitimité[5] qui atteint tout le monde!

Il est possible de rétablir un rapport de force vis-à-vis des politicien-ne-s et de profiter de leur situation de faiblesse et/ou de division. Les partis ont beau se ressembler et s’adonner à des courses assez futiles, mais ils sont tout de même en compétition. Toutes les stratégies qui ont été utilisées contre la population peuvent donc servir également contre ce pouvoir. Oui, nous sommes aussi épuisé-e-s, mais beaucoup d’entre nous sont jeunes: et la jeunesse se renouvelle à chaque année.

Il faut cependant se dépêcher de profiter de la situation. Il y a d’autres pouvoirs qui font compétition au pouvoir parlementaire provincial: la police, la justice des tribunaux, les grands capitalistes, les corporations syndicales, les autres paliers de gouvernement, etc. Et tous ne sont pas aussi faibles.


[1] Parce que je veux plus jamais leur parler.

[2] Étonnamment, les pelleteux/euses de nuages de Québec Solidaire semblaient avoir la stratégie la plus cohérente: foncer droit devant. Cela ne s’est toutefois pas traduit par un succès phénoménal, mais à long terme, ça pourrait payer.

[3] Plus personne ne se souvient d’Yves Séguin en tant que ministre.

[4] Il reste une couple de dents seulement, dont Jean-Marc Fournier, qui reste derrière.

[5] La légitimité, on n’en parle jamais suffisamment.

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