La Tomate noire

Tag: violence

Mon commentaire de gérante d’estrade sur l’acquittement de Gomeshi (Ode aux survivantes et aux camarades juristes féministes)

by on Mar.26, 2016, under Débats, féminisme

Piétiner le patriarcat

Il me semble que tout le long du procès les juristes féministes ont commenté que ça n’allait pas bien: la défense faisait très bien sa job, la couronne faisait mal la sienne et l’autre enfoiré de Gomeshi avait très « bien » fait sa sale job post-agression de garder toutes les preuves pouvant décrédibiliser les survivantes (même après des années!! y avait tu pas pensé à son affaire!). J’ai donc de la difficulté à comprendre la surprise et le mode réactif des gens. J’ai envie, comme tous les êtres humains dotés d’empathie et de décence (oui oui la ligne est claire dans ma tête), d’envoyer toute ma solidarité aux survivantes et de continuer à dénoncer le système de justice patriarcal libéral, mais en même temps je suis vraiment surprise par la vague de colère que je sens liée à l’espoir que ce procès allait bien finir pour celles qui ont vécu et dénoncé des agressions. Je comprends et je ressens cette saine colère, mais je suis inquiète face au niveau de confiance que mes camarades féministes radicales en général démontrent envers ce système de justice bourgeois, patriarcal et raciste en se laissant être déçues par le résultat final, pourtant prévisible selon nos camarades juristes féministes.

Attachons nos tuques, des procès avec des finales comme ça il va encore y en avoir beaucoup à venir (procédures de l’enquête bâclées, couronne mal préparée, procédures judiciaires pas adaptées à ce genre de crime, feux des projecteurs sur toute la vie privée des victimes, juge méprisant envers les femmes victimes de viol en général). Si le but est de faire changer ce système de justice il faut admettre que des étapes importantes ont été franchies… des accusations ont été portées et il y a eu procès accusant un homme connu, célèbre et avec un grand capital de sympathie (on peut aussi penser à Cosby de l’autre côté de la frontière). C’est pour cette raison que je pense qu’il y aura d’autres finales comme ça: parce que maintenant les crimes d’agressions sexuelles sont prises un peu plus sérieusement par le système, ça pourra se rendre en court, mais ce n’est pas encore pris assez sérieusement pour que les survivantes puissent avoir justice.

J’imagine d’autres procès à venir très douloureux et d’autres survivantes devront être très courageuses et prendre le risque presque inévitable de se faire broyer sous la justice patriarcale libérale en attendant que les choses changent pour vrai. Par contre, je pense aussi qu’il finira par y avoir des victoires, peut-être même que le prochain procès de Gomeshi rendra justice pour les survivantes. Le système de justice de l’État change donc, lentement, parfois à reculons, parfois de manière qui nous semble paradoxale, à nous qui ne connaissons pas le droit. Et il y en aura d’autres des serrements de cœur, des cris de colère et des rassemblements spontanés après un acquittement. Il nous faudra continuer à être fortes collectivement et à appuyer les survivantes qui décident de prendre cette voie par tous les moyens possibles.

Je n’adhère pas à cette lutte réformiste du droit, mais je comprends parfaitement les arguments de celles qui résistent à l’intérieur du système et je remercie de tout cœur ces juristes camarades féministes (et je ne parle pas de la couronne dans le cas Gomeshi) qui avancent dans ce domaine en sachant très bien que les femmes et les personnes liés à des groupes opprimés font face à un système absurdement injuste.

Aujourd’hui mes pensées vont vers les survivantes qui n’ont pas eu justice face à Gomeshi et j’espère qu’elles ressentent tout l’amour qui leur est envoyé. Je veux aussi élargir le sujet en vous disant que mes pensées vont également vers les juristes féministes radicales. Je ne vous envie pas. Vous êtes en position de comprendre le système, ses laideurs, ses pièges et ses limites et malgré tout, vous voulez mener cette lutte de l’intérieur. Se placer du côté des personnes opprimées, dont les femmes agressées, ne vous amènera pas dans les hautes sphères du droit ou ne va pas vous rendre riche, mais vous êtes une composante essentielle des luttes sociales, un appui précieux et essentiel. La colère généralisée, les changements de mœurs et de valeurs ainsi que l’éducation ont un poids important dans les changements législatifs et dans la pratique du droit, mais je crois que ces féministes qui décident d’investir le terrain pour nous expliquer ce qui se passe, pour influencer leurs collègues, en même temps que pour servir de support aux aspects légaux de nos luttes, sont importantes. Autant, mais d’une manière différente, que le courage de celles qui décident de dénoncer en passant par ce système.

Je ne participe pas à cette lutte féministe et réformiste du droit mais je suis capable de reconnaitre le courage et la solidarité de celles qui y sont, ainsi que de saluer le courage de toutes les survivantes d’agressions sexuelles qui s’y font broyer. Toutes mes pensées vont vers ces dernières, pour leur courage et leur force, ainsi que vers ces féministes juristes, pour leur résilience dans un milieu qui me semble plus qu’hostile.

Amour et solidarité

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Coup d’oeil sur le côté légal de l’industrie du sexe: danser à Montréal

by on Juil.12, 2015, under féminisme

G. Condo_The Mahattan Strip Club

Merci beaucoup à Karell pour sa générosité dans le partage de son expérience

Questions : pwll et Karell

1- Dans l’industrie du sexe, quel est votre pratique ?

Je suis une danseuse nue ou danseuse exotique. Dans l’industrie de sexe, il existe des établissements conçus pour autoriser des filles à exécuter des danses à la fois aux tables et contacts.

2- Cela fait combien de temps que vous êtes danseuse et dans combien de différents clubs avez-vous travaillé à Montréal?

Depuis 2005, je suis danseuse nue. J’ai travaillé dans plus de 10 clubs différents à Montréal et les environs.

3- Combien de danseuses différentes croyez-vous que vous avez rencontré, d’où venaient-elles?

Je dirais que j’ai rencontré environ 5 000 danseuses différentes. Elles viennent de partout dans le monde (i.e. Du Brésil à Granby, De République Dominicaine au Saguenay, De la Roumanie à Victoriaville, etc…)

4- Êtes-vous une consommatrice, allez-vous dans des clubs de danseuses, danseurs, nu-es pour le plaisir?

Je suis consommatrice dans les clubs de danseurs et de danseuses nues pour le plaisir. D’une part, je suis danseuse nue et il y a une certaine zone de confort à être dans ces établissements, car je connais le fonctionnement et les rudiments. Je m’explique. J’amène toujours un certain budget pour contribuer à l’économie de cette industrie. La manière que je le dépense dépend des femmes ou des hommes qui y travaillent, car je sais pertinemment que nous n’aimons pas ou plus que les gens viennent seulement pour nous voir sans rien faire d’autre. Donc, je choisis une femme ou un homme. Par la suite, je donne un montant d’argent en lien avec sa performance sur le stage, sa beauté ou le plaisir érotique et de séduction. D’autre part, le fait que je suis consommatrice, les hommes ne viennent pas m’achaler ou me harceler, car ils y vont pour voir les filles et leurs amis. Au contraire, ils trouvent cela particulier et tentent, tant bien que de mal, de contribuer. D’ailleurs, je les incite à contribuer à l’économie de cette industrie. Je tente tout simplement être un exemple à suivre lorsque nous sommes consommateurs. Est-ce que j’encourage le commerce du sexe ? Je suis contre le commerce du sexe et la traite des femmes, par contre, lorsque les personnes devraient au moins participer par des applaudissements et apprécier toutes les performances dans ces établissements. En effet, mes propos sont à la fois contradictoires et/ou paradoxaux.

5- Quel âge avez-vous?
37 ans, d’origine haïtienne.

Le travail : Danseuse nue

6- Avez-vous besoin de dépenser pour travailler? De quelle manière et combien pensez-vous dépenser mensuellement?

De toute évidence, je dois dépenser pour travailler, car vous comprendrez que l’apparence physique et matérielle sont des moyens de séductions et de fantaisies pour attirer les consommateurs. Certaines dépenses sont utilisées pour mon bien-être personnel et pour travailler, par exemple, le maquillage, les bijoux, les coiffures, les ensembles (vêtements de travail) le conditionnement physique et nutrition. En ce qui a trait aux dépenses en lien avec le travail, je dirais en premier lieu, le service bar c’est-à-dire, le tarif pour travailler dans l’établissement érotique, en deuxième lieu le taxi et troisième lieu, l’alcool. Maintenant, je dois avouer que je dépense en moyenne 800$ pour le service bar par mois et 1000$ pour les vêtements de travail par année.

7- Est-ce que vous pouvez nous dire ce qu’est un service bar et si c’est une pratique courante? Combien croyez-vous qu’un club peut gagner par les services bar des danseuses mensuellement ou dans une année?

Le service bar est le tarif pour travailler dans l’établissement. Il varie avec l’heure d’arrivé (être prête sur le plancher) pour travailler. Je tiens à souligner que cette pratique est courante et augmente avec les années. Il est particulier, car il fut un temps où les gérants de ces établissements payaient les filles qui travaillaient de manière régulières et à raison de 4 à 5 fois semaine. Où est cette tradition de récompenser les filles qui sont soucieuses de travailler et de déclarer leurs revenus ? Dans une approximation, je dirais que les clubs gagnent par mois 50 000$ par mois, pour une moyenne de 40 femmes qui travaillent sur le plancher, soit 537 600$ par année. Ce calcul comprend seulement les filles qui travaillent seulement durant le soir.

8- Avez-vous été, ou êtes-vous présentement, dans un emploi en dehors de l’industrie du sexe? Avez-vous à faire des dépenses pour cet emploi? Comment trouvez-vous la conciliation entre les deux?

Depuis 2005, je suis étudiante universitaire. J’ai des frais scolaires d’environ 1 200$ par session, soit 3 600$ par année. Depuis 2011, je travaille dans un centre médical dans la fonction publique. J’ai des dépenses relatives aux études scolaires (i.e. clé USB, livres, abonnements, etc.) et de ma pratique dans l’industrie du sexe (i.e. vêtements de travail). Je tiens à souligner que j’ai toujours fait ma déclaration de revenu à la fois comme danseuse et mon emploi régulier. En ce qui concerne la conciliation entre le travail régulier et le travail atypique (danser), il est parfois difficile, car les horaires ne correspondent pas. Prenons par exemple, le travail de nuit implique un manque de sommeil, si je dois me présenter à mon cours à 8h30 am. Aujourd’hui, il est plus difficile de concilier, et cela par choix et expérience, en jumelant mon horaire scolaire qui est fixe en fonction de mon horaire de travail atypique qui est variable.

9- Avez-vous déjà vu ou vécu des situations de violence dans votre milieu de travail, soit dans l’industrie du sexe?

En effet, j’ai déjà vécu et je vis des situations de violence verbale dans mon milieu de travail en tant que danseuse nue. Elle se manifeste au niveau des gérants des établissements en exerçant leur droit de gérance. De toute évidence, il n’a pas de syndicat ou d’association, la Commission des normes du travail, la Commission de la santé et de la sécurité du travail, la Charte des droits et de la liberté de la personne, la Chambre de la jeunesse, une ligne-ressource sans frais pour les victimes d’agression sexuelle, et bien d’autres, qui défendent et protègent les danseuses nues de ces derniers de manière adéquate et équitable. Donc, les gérants peuvent faire du harcèlement psychologique et sexuel auprès des filles par rapport à leur éthique de travail, leur horaire de travail, mais aussi, à leurs origines ethniques. La violence s’exprime au niveau des clients qui fréquentent ces établissements en exerçant leur droit de consommateur. On entend par consommation que les personnes, en général, s’estiment en droit de faire ou de dire des choses qu’on n’entendrait pas en dehors de l’industrie du sexe. Prenons par exemple, un client qui se dit qu’il paye pour avoir des danses contacts. Celui-ci s’attribue le droit de donner des claques sur les fesses ou sur le visage, sous prétexte, qu’il peut tout faire, car il a payé, et cela, arrive bien souvent à un montant médiocre, soit 15$ en raison de 4 minutes. Il se donne aussi le droit de dire des choses qu’en temps normal, on n’entendrait pas en dehors de l’industrie du sexe. Par exemple, un client se dit qu’il peut exprimer ses fantasmes ou de demander les positions sexuelles que la fille aiment, sous prétexte, qu’il voudrait joindre ses fantasmes et ses positions sexuelles avec cette dernière.

10- Dirigez-vous vos clients dans la manière de vous toucher? Quelle est leur réaction?

Depuis 2009, la majorité des établissements érotiques à Montréal offrent aux clients des danses contacts. Il y a seulement le Club Wanda’s qui ne s’est pas transformé. Il y a deux raisons où je dirige les clients dans la manière de me toucher. La première est en raison de mes chirurgies mammaires et la deuxième est dans ma période prémenstruelle, mes seins sont ultras sensibles. Il est évident que tout se dit, mais c’est de la manière qu’on le dit. Donc, je réussis à me faire respecter parce que je ne suis pas agressive et impulsive lorsque je donne mes explications.

11- Vous sentez-vous en sécurité à l’intérieur du club? Avez-vous l’impression que des employés(es) sont là pour assurer votre sécurité?

En théorie, ces établissements érotiques engagent des hommes qui doivent assurer la sécurité et veiller à ce que l’ambiance dans les clubs ne soit pas interrompue par les clients, par exemple, les batailles. En pratique, il arrive que les clients tentent de prendre avantage des femmes concernant le nombre de chansons et les montants. Dans ces situations, les clients n’ont pas nécessairement l’argent sur eux ou ne veulent pas ou plus dépenser, même après avoir caressé, touché, palpé etc. Certains agents de sécurité accuseront rapidement et brusquement la femme, sous prétexte, qu’elle nuit à la réputation du club et fait atteinte à la dignité du client. À mon avis, lorsqu’on explique clairement et précisément, nous évitons ce genre de situation. Dans tous les cas, j’assure moi-même ma propre sécurité.
* Il est important que cette explication ne s’applique pas à tous les agents de sécurité. Tout dépend de la considération et du respect que les gérants accordent à l’égard des filles. Dans la même veine, les agents de sécurité assureront la sécurité en fonction du gérant.

12- Est-ce que vous avez déjà vu ou vécu des situations de discrimination, d’inégalité ou d’injustice face aux danseuses ou entre elles?
J’ai déjà vécu des situations de discrimination, d’inégalité ou d’injustice face aux danseuses. J’appellerais une discrimination systématique en raison de mon origine ethnique. La première discrimination se situe lorsque je tente de travailler dans les établissements érotiques, les gérants me disent systématiquement que je peux travailler, mais tout dépend du quota des filles de la même origine ethnique qui travaillent ce soir-là, par exemple. La deuxième discrimination se manifeste lorsque les gérants me demandent si je suis pimpée. En d’autres termes, ils désirent savoir si j’ai des liens avec certains des personnes d’origine ethniques, et plus majoritairement, noires qui peuvent faire le recrutement pour de la prostitution dans l’établissement.

13- Avez-vous, ou connaissez-vous des danseuses, qui ont cotisé à du chômage, qui ont fait des demandes de congé de maternité ou qui ont fait des réclamations à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) après une blessure?

Non, ces mécanismes de sécurité d’emploi n’existent pas dans l’industrie du sexe. Donc, les femmes assurent les dépenses de leurs temps d’arrêt de travail (i.e. congé de maternité ou blessure physique).

Le senti

15- Avez-vous déjà arrêté ou pensé à arrêter ou à prendre une pause, pour quelles raisons?

J’ai arrêté pour 2 ans et demi en raison d’une maladie inflammatoire touchant la peau. De toute évidence, j’utilise mon corps pour solliciter les clients. Donc, il m’était inconcevable de poursuivre dans l’industrie du sexe. J’ai recommencé à travailler, seulement, en juin 2013. Je ne prévois pas arrêter de danser, mais lorsque je prends une pause, c’est durant la période de mes études ou examens.

16- Avez-vous remarqué des changements au travers le temps dans les pratiques et la clientèle des clubs?

En 10 ans, j’ai remarqué divers changements au travers le temps dans la pratique incluant la clientèle dans les clubs.

Tout d’abord, il fut un temps où travailler dans un club était un privilège et une exclusivité, pour les femmes. En aucun temps, les gérants des clubs ne devaient les retrouver dans un autre club. Voilà la clause de l’exclusivité. Dans le même ordre d’idées, les femmes étaient recrutées non seulement pour leurs charmes et leurs attributs physiques, mais pour leur intelligence et leurs compétences (savoir-être, savoir-faire et surtout savoir-relationnel). À l’époque, la moyenne d’âge des femmes était de 25-30 ans. Les femmes s’assuraient que les conversations, l’ambiance et le divertissement soient à la hauteur de la réputation du club et à la noblesse de la femme. À l’intérieur du club, il y avait un code d’éthique au niveau de l’apparence, soit par des robes élégantes jusqu’aux chevilles, bijoux, manucure et pédicure, etc… Nulle femme ne devait danser devant les clients avec des positions explicites. Gare à celles qui voulaient bifurquer des lois non écrites. Dans un autre ordre d’idées, l’image de la femme était dans la distinction, la séduction, l’élégance, et surtout, la beauté. Autrefois, les femmes n’avaient pas à quémander ou à solliciter les clients pour faire des danses non-contacts. Dans le même ordre d’esprit, les danses non-contacts étaient 8$ et/ou 10$ dollars. Saviez-vous qu’à l’époque les danses non-contacts étaient avec un petit banc où les hommes pouvaient admirer les femmes comme si elles étaient sur un piédestal? De plus sur la scène, les femmes faisaient des spectacles incroyables, voire à couper le souffle. Bref, c’était du vrai divertissement !

En ce qui a trait aux changements au travers le temps auprès de la clientèle des clubs, ils se retrouvent au niveau des attitudes et des comportements ainsi que dans le code vestimentaire. Auparavant, les attitudes des clients étaient plus respectueuses, raffinées, et surtout, courtoises. Étant donné que la sollicitation était interdite auprès des hommes, ces derniers prenaient le temps de se présenter et de nous séduire afin de nous faire faire des prestations à la table. Ensuite, les comportements des clients se qualifiaient en termes de la fidélisation. Les hommes venaient en grand nombre pour voir leurs effeuilleuses préférées et défrayaient des sommes faramineuses à titre d’appréciation. De plus, ils étaient attentionnés, complaisants et compréhensifs. En guise de reconnaissance, lorsque les clients venaient au club c’était un événement, car ils applaudissaient, ils ovationnaient les prestations des filles sur le stage et dépensaient largement. Je tiens à souligner que la situation économique de l’époque favorisait l’utilisation des cartes de crédit et les client déclaraient le tout sur les dépenses de leurs compagnies de travail. Évidemment, l’ambiance du club était plus festive et agréable. Enfin, les clients étaient soumis à un code vestimentaire dans le club. Ils étaient habillés en costard (veston et cravate) et la majorité étaient des hommes d’affaires. Il y a 10 ans, les hommes d’affaires venaient manger à l’heure du midi afin de conclure des opportunités d’affaires. D’ailleurs, c’est de cette façon que les clubs de Montréal ont bâti leur réputation et leur notoriété. Ces rencontres entre hommes d’affaires supportaient l’économie de l’industrie du sexe.

Ensuite, le service bar est le mécanisme pour les femmes de travailler et pour les gérants de clubs de s’assurer de la ponctualité des femmes sur le plancher. Donc, cette pratique a toujours été une pratique courante, mais moins dispendieuse, voire une cotisation de 5$ de jour, par exemple en 2005. Auparavant, les gérants de club géraient l’administration de paye à raison de 4 à 5 jours de travail par semaine. Selon une source sûre, les payes ont arrêté en 2002, Chez Parée et en 2004, au Super Sex. C’est terminé, ce beau temps-là ! En somme, cette transformation me porte à réfléchir sur la reconnaissance aux conditions de travail des femmes à travailler pour le club. Auparavant, les gérants de club s’assuraient de l’exclusivité des femmes dans leurs clubs. Cela était le principal moyen de rétention du personnel. En plus, les femmes n’avaient pas à solliciter les clients, car elles avaient une contribution financière à la semaine par le club. En conséquence, la compétition entre les femmes était moindre et l’ambiance était à son paroxysme. N’est-il pas particulier de constater que l’argent conduit la majorité des consommateurs à être avare en face des femmes qui exercent leurs pratiques ? Parce qu’il faut le dire, sans elles, les clubs n’existeraient pas !

À l’heure actuelle, les femmes travaillent dans divers club en raison de la baisse de l’économie dans l’industrie du sexe. Ce qui conduit les femmes à ne plus considérer le club comme un endroit privilégié. L’exclusivité est devenue inexistante dans les clubs en lien avec divers facteurs tels que le taux de roulement des femmes dans les clubs, le faible rétention du recrutement, la moyenne d’âge des filles de 18-25 ans. À mon avis, le fait que les gérants des clubs ne paient plus les femmes à travailler ce qui conduit à la précarisation du travail. En conséquence, les gérants de clubs abusent de leur droit de gérance en menaçant les femmes à travailler dans des horaires insensées, des conditions de travail exécrables et surtout, en leur demandant un service bar hors de prix. Ces derniers servent un mauvais traitement aux femmes sous prétexte qu’il aura toujours des femmes qui se plieront à leurs exigences en raison de la notoriété du club. Force est de constater qu’ils entretiennent cette logique et qu’ils ont raison.

Actuellement, les femmes ne soucient plus des longues conversations, de l’ambiance et du divertissement. De toute évidence, l’apparence demeure la source la plus importante pour la pratiquante et le consommateur. Serait-ce les effets pervers de notre société de consommation ? À mon humble avis, l’avènement, en 2008-2009, des danses contacts dans la majorité dans les établissements érotiques sur l’Île-de-Montréal a amené les femmes à ne pas ou plus se soucier des lois non écrites, car tout ce qui compte est la consommation pour le client (i.e. faire danser les filles et de leur demander plus d’option à la danse) et pour les danseuses (i.e. faire le plus de danses contacts afin de faire plus d’argent). Il n’y a plus de contrôle, dans le sens commun, du sens classique du mot morale. De plus, les danses contacts mènent à la fois une compétition entre les filles et à la sollicitation. En général, cela suggère aux consommateurs de faire des propositions alléchantes afin que les femmes acceptent de se prostituer. Acceptent-elles en raison du manque d’argent amassé durant son quart de travail ou acceptent-elles parce qu’elles sont forcées de recueillir un certain montant tous les soirs ? Il est particulier de comparer que les femmes qui faisaient des danses non-contacts avant, faisaient plus d’argent que celles qui font des danses contacts d’aujourd’hui.

En ce qui a trait aux attitudes et aux comportements ainsi que dans le code vestimentaire des clients, on y remarque que ces derniers parcourent des distances incroyables (i.e. Boston, New York, Washington DC, Miami, etc…) sur la route afin de découvrir le night life de la ville de Montréal. Les clubs de danseuses sont des attractions incontournables pour ceux-ci. En réalité, lorsqu’ils sont dans le club, ils manquent de respect ou de tact. Par exemple, je me présente à un groupe de Boston. Ces derniers viennent célébrer le bachelor de leurs amis. Le bachelor a l’autorisation d’avoir des danses à 15$, mais les autres qui occupent l’espace dans le club s’abstiennent, sous prétexte, qu’ils sont extrêmement fatigués en raison de la distance parcourue pour venir à Montréal. J’ai un autre exemple qui me vient à l’esprit. Il arrive que les hommes se rencontrent dans les bars de danseuses pour célébrer leur amitié ou pour souligner l’anniversaire d’un d’entre eux. Lorsque j’arrive à leur table pour me présenter, ils me disent immédiatement : « excuse-nous nous parlons ou bien hein, ça fait longtemps que nous nous ne sommes pas parlés [rencontrés], peux-tu revenir dans dix minutes ? » De toute évidence, ça m’emmerde de voir qu’ils nous manquent de respect.

La fidélisation des clients s’est transformée, au fil des années et/ou des soirées, en termes de prostitution. Sans même se présenter ou nous séduire, aujourd’hui, les hommes ne se contentent plus des prestations des filles. À l’intérieur d’une brève conversation, il arrive fréquemment que les hommes nous demandent si nous serions prêtes à participer à des partys privés dans leur chambre d’hôtel. Peut-on dire que la normalisation de la pratique amène le consommateur à éliminer le plaisir du divertissement aux dépens de la consommation immédiate ? Sommes-nous dans une restauration rapide du corps de la femme? Autant on exigeait de la femme d’avoir une apparence sophistiquée (i.e. robes élégante jusqu’aux chevilles, bijoux, manucure et pédicure) et on exigeait aux hommes de se vêtir de vestons et cravates. Ce code vestimentaire amenait, selon moi, un prestige et un standard de fréquenter ce genre d’institutions érotiques. Aujourd’hui, les hommes sont habillés en jeans, t-shirt et casquette de baseball. Les femmes se contentent de faire des chirurgies esthétiques, sans prendre le temps de prendre soin de leurs corps (i.e. conditionnement physique et nutrition), du moins, c’est mon opinion de la nouvelle génération. Y a-t-il un laisser-aller de la part de tous en ce qui concerne la fierté de se réunir dans un bar de danseuses? Aujourd’hui, la raison principale de visiter les établissements érotiques se cristallise dans une banalisation. Les clubs de danseuses sont-ils devenus les tavernes de notre société moderne ?

17- Comment choisissez-vous le club où travailler, quels sont vos critères? Est-ce que toutes les danseuses ont accès à tous les clubs?

Je choisis le club où je veux travailler en lien avec l’achalandage, l’ambiance et la réputation du club.

18- Comment croyez-vous qu’un client moyen décrirait une danseuse parfaite?

Actuellement, le client moyen décrirait la danseuse parfaite comme étant prête à exhausser tous ses caprices, ses fantaisies, voire la sollicitation à la prostitution.

19- Comment croyez-vous qu’un patron moyen décrirait une danseuse parfaite?

Actuellement, un patron moyen décrirait une danseuse parfaite en termes qu’elle respecte son horaire, qu’elle paye son service bar, mais surtout, qu’elle n’ait jamais de problèmes auprès des clients.

20- Comment décririez-vous votre travail idéal en tant que danseuse?

Actuellement, la danseuse décrirait son travail idéal : d’avoir fait plus de 500$ par chaque quart de travail, d’avoir une prestation financière hebdomadaire offerte par les gérants des clubs, d’avoir des clients qui ont de l’argent à dépenser et qui ont envie d’avoir du plaisir avec les femmes, d’avoir des clients qui ont le potentiel d’assurer plus d’une heure et plus de travail aux femmes quand ils les choisissent, d’avoir des clients réguliers afin de combler les soirées où l’achalandage est moindre. Tels sont mes fantasmes en tant qu’effeuilleuse.

Arrière-plan

23- Que pensez-vous de l’expression « travail du sexe »?

Dans le cas qui nous occupe, les danseuses aux danses contacts exercent des relations sexuelles en termes de préliminaires (i.e. toucher des parties du corps intimes, les seins). Les consommateurs ont des relations sexuelles en termes de réactions physiques en touchant les parties intimes du corps de la femme. Premièrement, on associe le terme « travail », car il permet la reproduction des biens (i.e. matériels) et la production des services (i.e. services tertiaires). Deuxièmement, on confond le terme « travail », car il fournit un salaire. Troisièmement, dans son ensemble, le travail se caractérise par l’offre et la demande sur le marché du travail. En premier lieu, à ces énoncés, je répondrai que le terme « travail » porte à confusion, car il comprend le terme « service ». Certains diront que les femmes servent au divertissement dans l’industrie du sexe. Pour ce faire, les consommateurs donnent une rémunération. En second lieu, les danseuses nues doivent se soumettre à la pratique courante du bar service. Il y a bien longtemps que les femmes ne reçoivent plus de salaire des gérants des clubs. En plus de participer obligatoirement à cette pratique, on ne mentionne jamais à quel point les femmes doivent rester dans le club, même s’il y a aucun client qui s’y présente. Non seulement, elles paient pour exercer leur pratique, mais elles passent des longues heures avant de faire, parfois, 30$. Donc, le salaire n’est pas systématique et automatique, mais il varie selon l’achalandage et la générosité de clients. En troisième lieu, le terme « travail » se définit par le processus d’entrée et de sortie de l’emploi se faisant par le marché du travail. Pour une danseuse, il est facile d’entrer dans la pratique, mais énormément difficile d’en sortir. Admettons que nous parlons du marché du travail, pourriez-vous m’expliquer que danser dans les bars de danseuses nues mène directement à une discrimination, une exclusion et une stigmatisation à l’égard de la femme ? Une chance que ce n’est pas socialement accepté par la société civile ! Pouvons-nous arrêter dire que c’est un « travail comme les autres ». Je ne connais aucun autre travail qui implique une forme d’exploitation ou d’aliénation sexuelle auprès des femmes et des enfants. De plus, il y a aucun club de danseuses qui assure un programme d’aide aux employés et à leurs familles (P.A.E.) afin veiller à mon capital humain par les moyens suivants : interventions en situation de crise ou post-traumatique, coaching de gestion, soutien et accompagnement lors de problèmes de dépendances, accompagnement en cas de plaintes pour harcèlement, médiation et résolution de conflits, consolidation d’équipes, diagnostics organisationnels, conférences et formations sur mesure, etc…Voilà ce que je réponds à ceux et celles qui disent que c’est un travail.

24- Quel est le portrait que vous aimeriez laisser de vous et/ou de l’industrie du sexe avec cette entrevue?

Mon ambition ou mon rêve serait de contribuer aux sciences sociales en écrivant un mémoire ou un recueil sur mon expérience de 10 ans dans l’industrie du sexe.

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Idées fausses sur l’action non-violente

by on Mar.28, 2015, under Débats, Général

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J’entends beaucoup de choses sur la violence, la non-violence, la possibilité d’amener les flics « de notre côté » ou les signes de peace dans les manifs. Je ne suis pas une experte de la question, mais je constate qu’il y a une masse de personnes qui ont envie de penser à ces enjeux. De la même manière, je pense que c’est très contre-productif de lever le nez sur des idées que les gens expriment juste parce qu’ils disent « non-violence ». J’ai donc pris la liberté de traduire et d’adapter une partie d’un livre appellé Unarmed Insurrections. People Power Movements in Nondemocracies pour élargir la discussion.

Ce texte ne s’adresse ni à des gens qui trouvent que c’est une bonne idée de faire des câlins à des flics et qui veulent les convaincre « d’être de notre côté », ni à des gens qui ne sont pas capable de voir que les tactiques utilisées par nos mouvements sont majoritairement non-violentes (grèves générales, blocages, occupations…), mais s’adresse plutôt à des gens qui constatent que la diversité des tactiques est essentielle à un mouvement social qui se veut large, inclusif et qui sait que tout mouvement social progressif et anti-oppressif est en opposition avec l’ordre établi.

Source : Kurt Schock, Unarmed Insurrections. People Power Movements in Nondemocracies, University of Minnesota Press, Minneapolis, 2005, p. 6-12.

Voici 19 des idées fausses les plus communes à propos de la non-violence :

1- L’action non-violente n’est pas l’inaction (même si ça peut inclure le refus de porter une action qui est attendue par les oppresseurs), ce n’est pas de la soumission, ce n’est pas l’évitement du conflit et ce n’est pas se résigner de manière passive. Dans les faits, l’action non-violente est un moyen direct pour poursuivre le conflit avec les opposants et est un rejet sans équivoque de l’inaction, de la soumission et de la passivité.

2- Tout ce qui est non-violent n’est pas considéré comme de l’action non-violente. L’action non-violente réfère à des actions spécifiques qui sont risquées et impliquent de la pression non-violente ou des moyens de coercition non-violents dans des interactions conflictuelles entre deux groupes opposés.

3- L’action non-violente n’est pas limitée à des activités politiques sanctionnées par l’État. L’action non-violente peut-être légale ou illégale. La désobéissance civile est une violation délibérée de la loi dans un but social ou politique et est un mode d’action non-violent fondamental.

4- L’action non-violente n’est pas composé d’actions politiques régulées ou institutionnalisées comme écrire des lettres, voter ou faire du lobbying. Contrairement au cas des gens qui s’engagent dans des actions politiques régulées et institutionnalisées, il y a toujours un élément de risque pour les gens qui choisissent l’action non-violente car elle défie les autorités.

5- L’action non-violente n’est pas une forme de négociation ou de compromis. La négociation et le compromis peuvent ou non accompagner les conflits poursuivis par l’action non-violente comme ils peuvent ou non accompagner l’action violente. En d’autres mots, l’action non-violente est un moyen de poursuivre un conflit et doit être distingué d’un moyen de résolution du conflit.

6- L’action non-violente ne dépend pas de l’autorité morale, de la honte des opposants, ou de la conversion de leur point de vue pour promouvoir un changement politique. Si la conversion du point de vue des opposants peut des fois arriver, le plus souvent l’action non-violente promeut le changement politique au travers la coercicion non-violente qui force l’opposant à faire des changements en lui sapant son pouvoir. Bien sûr, la pression morale peut être mobilisée, mais en l’absence de pressions politiques et économique il est improbable qu’un changement se produise.

7- Les gens qui utilisent l’action non-violente ne s’attendent pas à ce que l’État ne réagisse pas avec violence. La réaction violente du gouvernement n’est pas une indication de l’échec de l’action non-violente. En fait, les gouvernements répondent avec violence précisément parce que l’action non-violente est une menace pour leur pouvoir. Éliminer l’utilisation de l’action non-violente parce que des gens meurent ou sont blessés est tout aussi illogique que d’éliminer l’utilisation de résistance armée parce que des gens meurent et sont blessés. Lutte non-violente ne veut pas dire une absence de violence.

8- Ceci étant dit, la souffrance n’est pas une part essentielle de la résistance non-violente. La vision de la souffrance comme étant centrale à la résistance non-violente est basée sur la fausse assomption que l’action non-violente est de la résistance passive et qu’elle essaie de produire du changement en essayant de convaincre les oppresseurs. L’action non-violente est beaucoup plus sophistiquée que la fausse conception qui illustre l’image des activistes acceptant la violence physique des agents de leurs oppresseurs dans l’espoir que leur souffrance va convertir les opposants ou gagner la sympathie publique.

9- L’action non-violente n’est pas une méthode qui s’utilise seulement en dernier recourt, quand les moyens violents ne sont pas disponibles. Comme l’action violente peut être utilisée même quand il n’y a pas d’armes disponibles, l’action non-violente peut aussi être utilisée à la place de méthodes violentes.

10- L’action non-violente n’est pas une méthode d’action politique « bourgeoise » ou « classe moyenne ». Des actions non-violentes ont été, et peuvent être, mises en œuvre par toutes les classes, des esclaves jusqu’aux classes élevées. Pour des raisons évidentes, elles sont utilisées par les gens qui ont le moins de pouvoir, des gens qui n’ont pas accès au pouvoir, plus fréquemment que par des gens en position de pouvoir.

11- L’usage de l’action non-violente n’est pas limitée à la poursuites de but « réformistes » ou « modérés ». Il peut également être utilisé pour atteindre des buts « radicaux ». Par exemple, Anders Corr a documenté l’usage étendu de la non-violence dans les luttes pour la terre et le logement à travers le monde. Les défis au relations découlant de la propriété privée peuvent difficilement être considérées réformistes, modérés ou bourgeoises. De la même manière, le mouvement féministe a défié de manière radicale les rapports patriarcaux presque entièrement par des méthodes qui n’incluaient pas la violence. Les défis à l’ordre établi peuvent être radicaux et non-violents.

12- Si par sa nature même l’action non-violente requiert de la patience, ça ne veut pas dire que la production de changement politique sera lente en soi comparé à l’action violente. Des luttes violentes qui ont servi de modèle pour des générations de révolutionnaires ont pu prendre des décennies pour réussir.

13- Les moyens de l’action non-violente ne sont pas structurellement déterminés. Il y a des relations dans le temps et l’espace entre les contextes politiques et l’usage d’une stratégie, mais les méthodes utilisées pour défier des rapports politiques oppressifs ne sont pas déterminés par le contexte politique. Des processus d’apprentissage, de diffusion et de changements sociaux peuvent conduire à l’instauration d’actions non-violentes dans des contextes ou situations qui ont historiquement été caractérisés par des conflits violents. Certainement, le contexte des conflits et les enjeux influencent les stratégies de résistance, mais pas d’une manière déterministe.

14- L’efficacité de l’action non-violente n’est pas liée à l’idéologie des oppresseurs. Les croyances des oppresseurs peuvent influencer les dynamiques du conflit, mais elles ne sont pas uniquement ce qui détermine les aboutissants des luttes menées au travers de méthodes d’actions non-violentes.

15- De manière similaire, l’efficacité de l’action non-violente n’est pas en fonction de la répression des oppresseurs. Des campagnes d’action non-violente ont été efficaces dans des contextes répressifs brutaux et inefficaces dans des contexte de démocratie plus ouverte. La répression, bien sûr, contraint l’habilité à s’organiser, à communiquer, à mobiliser et à s’engager dans l’action collective et élargit les risques à participer à des actions collectives. Néanmoins, la répression est seulement un des facteurs qui influencent les trajectoires des luttes basées sur l’action non-violente.

16- La mobilisation de masse de gens dans des campagnes d’actions non-violentes dans des contextes dit «non-démocratiques » ne dépend pas de l’obligation qu’ont les gens à y participer. Si des campagnes d’actions non-violentes ont inclus la coercition pour mobiliser, la coercition n’est pas une caractéristique des mobilisations de masse. Des exemples démontrent que quand les communautés étaient vivement divisées ou que les campagnes n’étaient pas assez publicisées la coercition avait plus de risques d’être utilisé. Au contraire, quand des solidarités étaient construites entre les communautés et que les gens étaient bien au courant des campagnes, la coercition avait le moins de chance d’arriver.

17- Contrairement aux idées populaires et universitaires, les personnes qui décident de s’engager dans l’action non-violente sont rarement des pacifistes. Les personnes qui s’engagent dans l’action non-violente ont différentes idées, dont le pacifisme peut faire partie, mais le pacifisme n’est pas ce qui ressort chez les gens qui font le choix de l’action non-violente.

18- De manière similaire, les gens qui s’engagent dans l’action non-violente n’ont pas à savoir que c’est ce qu’ils font. Ainsi, l’implantation de méthodes non-violentes ne sont pas nécessairement reconnues comme « non-violentes » par les gens qui les pratiquent et ces personnes n’ont certainement pas à adhérer à une théorie de la non-violence ou à un code moral pour réussir et diffuser leurs stratégies.

19- Les campagnes d’actions non-violentes n’ont pas besoin d’un leader charismatique pour réussir même si certaines en ont eu. En fait, elles n’ont pas besoin du tout de leaders.

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Les 15 mars se suivent… et ne se ressemblent pas toujours

by on Mar.16, 2015, under Général

En fait je dis ça, mais je ne parle pas pour tout le monde. Pour beaucoup de gens malheureusement, le 15 mars a encore fini avec un ticket (l’article 500.1) après une attente interminable dans la slush frette, pris en souricière par le SPVM équipé pour aller en guerre.

Récapitulons :

15mars 01

Je suis passée au rassemblement du COBP coin Berri/Ontario un peu avant 15h. Il y avait déjà au moins 8 fois le nombre de flics que de personnes qui voulaient se réunir pour dénoncer la brutalité policière : des poussins, des antiémeutes, des autos, des vans, allouette! Je suis restée quelques minutes puis j’ai pris le chemin de la manif féministe où j’avais décidé d’aller cette année. Surprise! Plein de gens contre la brutalité policière, mais une seule voiture de flic sur le côté de la Place Philip.

C’est n’importe quoi! Des gens au SPVM prennent des décisions complètement arbitraires et sont payé-e-s et récompensé-e-s pour ça (moi aussi des fois j’ai envie de crier « mes taxes! »). La manif féministe était affichée comme une « manif contre la brutalité policière » et n’a pas donné son trajet. Le rassemblement du COBP était affiché comme un rassemblement, donc n’a pas à donner son trajet. Que les flics prennent un plaisir dégoûtant à s’habiller en GI Joe pour aller réprimer du monde pas armé, pas équipé en nous faisant croire que c’est parce que « la manif n’a pas donné son itinéraire » pour finalement l’arrêter pour cause d’« action concertée destinée à entraver la circulation des véhicules routiers  » (Criss c’est 2 articles différents! Nous prenez-vous pour des caves?!) est encore une preuve à placer dans la grande liste de « les flics font ce qu’y veulent quand y veulent pis APRÈS y trouvent un article pour se justifier ».

15mars 02

15mars 03

Le rassemblement pour la manif féministe était agréable, plein de gens différents, de ballons et j’ai vu quelques enfants. J’ai aussi eu l’agréable surprise de voir une bannière abolitionniste (mais wtf la barre du A en Kalachnikov?!), ça m’a surpris parce qu’on n’entend pas les abolos dans la gauche radicale (gauche radicale ou juste gauche comme nous le faisaient remarquer deux filles de l’industrie il y a quelques mois). Juste avant le départ de la manif, un groupe qui s’était tenu en retrait du reste des gens a décidé de ne pas faire partie de la manifestation et a crié que c’était à cause de la bannière abolo. Je me suis fait le commentaire que je n’avais jamais assisté au départ de gens à cause de malaises causés par la position abolitionniste pendant que j’ai assisté à beaucoup de départs à cause de l’inverse. Pourtant gang il va bien falloir trouver un moyen de se parler un jour, ça serait dommage de laisser les lignes de la CLÉ et de Stella diriger nos réflexions féministes et nos choix d’alliances dans la gauche radicale.

15mars 04

Nous avons donc pris la rue! Oui oui! La rue!

Je souligne ici l’absurdité totale de vivre dans un « État de droit » qui se gargarise aux mots « droits fondamentaux » et « Constitution » et de se rendre compte que maintenant, à chaque fois que nous décidons de prendre la rue de la même manière que les manifs l’ont fait des années durant, on s’expose à de la violence et de la répression policière.

15mars 05

15mars 06

15mars 07

On a marché sur Ste-Catherine jusqu’à St-Laurent puis monté St-Laurent vers le Nord. C’était très libérateur de crier « FLICS, MACHISTES, ASSASSINS! » en marchant. La manif était de bonne humeur, les gens étaient content-e-s de marcher. Wow on a marché presque une heure! Les flics nous suivaient en auto mais j’en ai pas vu beaucoup… On était très très loin de la gang à l’allure paramilitaire que j’avais vue coin Berri/Ontario. La manif s’est tout de même fait disperser près de la rue Rachel… Comme quoi… Mais je suis quand même plus qu’heureuse d’avoir été capable de marcher dans une manif féministe pour le 15 mars!

De retour vers la maison, en apprenant que le rassemblement du COBP était sur Berri (à 50 mètres d’où je les avais vus quelques heures auparavant!), pris en souricière, j’ai décidé de passer par là. Il y avait quelques personnes et quelques bannières. Les gens, même les gens qui ne faisaient que passer, étaient complètement renversés quand on leur racontait pourquoi les flics bloquaient le carré Sherbrooke-Ontario-Berri au complet, avec un armement et un équipement qui leur serait plus utile pour combattre Daesh en Syrie, mais qu’illes utilisaient pourtant pour mater un rassemblement pacifique.

15mars 08

15mars 09

15mars 10

15mars 11

15mars 12

Il y a eu quelques discours et des bannières. On a rit des flics et on a essayé de faire du bruit pour s’encourager et encourager la gang en bas. À moment donné la flicaille s’est tannée de nous et nous a poussé-e-s sur le trottoir en nous disant de nous en aller.

On a changé de bord de rue.

15mars 13

Les pieds mouillés, j’ai fini par partir, non sans plusieurs pensées pour les gens dans la souricière.

J’espère que vous allez bien.

NO JUSTICE NO PEACE, SMASH THE POLICE!

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Le débat sur l’industrie du sexe : cette discussion qui fait fermer sa gueule

by on Jan.23, 2015, under Débats

T’aimerais ça que les filles s’organisent entre elles pour faire un poids sur le patron par rapport au service bar que tu dois payer pour travailler là, aux horaires de marde ou à propos de l’esti de bouncer cave qui taponne toutes les filles qui passent proche de lui. T’aimerais ça, mais depuis le temps, tu sais très bien ce que les filles vont te répondre : « Ben c’est ça la job bé, pis tsé on est mieux de pas faire de marde, c’est une bonne place ici quand même, on fait beaucoup d’argent ». Tu sais qu’elles vont alors commencer à raconter des histoires d’horreur sur d’autres places; où on leur a demandé ci ou ça pour rentrer, ou bien qu’elles ont dû débourser encore plus d’argent parce que «  le fils du boss a décidé que ». Tu sais qu’elles vont en rire et se fâcher, mais aussi se conseiller mutuellement sur « les meilleures places où travailler ». Tu sais aussi qu’à ces autres places ils ne manquent jamais de filles. Tu te dis donc que ces événements doivent arriver souvent. Dans ton club, les problèmes sont réglés par le patron de manière individuelle. Il est gentil le patron, il écoute les filles et des fois il leur donne même des drinks. Mais les conditions de travail ne changent jamais. Pis le criss de bouncer cave qui dit ben fort que les filles sont « des plottes » quand elles ne sont pas friendly avec lui, ben tu le sais qu’il va rester là et va rester aussi intimidant. C’est pas grave, passe de l’autre côté du bar.

T’as un jour pensé que s’il y a des groupes pro-TDS ça devait être les bonnes personnes pour t’informer à savoir quels sont tes droits par rapport au travail. Tu rêvais à des campagnes sur le volet santé et sécurité de ce travail spécifique, des campagnes pour que les filles aient accès à des assurances au travail et à des congés de maternité. Et là t’es déçue. T’es déçue parce que tu te rends compte que ce travail n’intéresse pas les groupes pro-TDS. Est-ce que c’est parce qu’il est légal? Mais c’est quand même du travail du sexe, ça fait quand même partie de l’industrie du sexe non? Pro-TDS ne veut-il pas dire « pro-travailleuse/travailleur du sexe »? Tu ne comprends pas pourquoi ce désintérêt envers un travail du sexe auquel participent tellement de filles. Tu pensais que, justement, parce que c’est légal il y aurait moyen de se servir du code du travail pour mener des luttes pour défendre les droits des travailleuses. Pourtant, tu constates que de s’occuper des conditions de travail des filles qui sont légalement dans l’industrie ne fait pas partie des intérêts des groupes pro-TDS qui veulent pourtant te faire comprendre que la légalisation de la prostitution est la clé de l’amélioration des conditions de travail de celles et ceux qui en vivent. C’est là que tu as commencé à lire « pro-travail du sexe » à la place de « pro-travailleuse/travailleur du sexe » quand tu lis pro-TDS et ta petite voix sarcastique dans ta tête te dit qu’elles devraient changer de nom parce qu’il y a des pans entier de l’industrie du sexe, juste sous leur nez, dans la même ville dont on ne se soucie pas. Des filles qui sont à la fois invisibles et actives. Tu ne leur en veux pas trop parce que tu sais que la mobilisation doit commencer à l’interne. Toutefois, tu leur en veux parce qu’elles ont presque complètement monopolisé le discours de « ce qu’est la réalité d’une personne dans l’industrie ». Tu leur en veux parce qu’elles invisibilisent ta réalité. Les expériences des filles qui sont déjà dans la légalité ne les intéressent pas et la légitimité qu’elles bâtissent, elles la bâtissent aussi sur ton dos. Leur légitimité, qu’elles ne veulent pas partager, mais avec laquelle elles te dominent complètement, te forcent au silence. Tu trouves ça très particulier que des « pro-TDS » (que tu mets entre parenthèse maintenant parce que tu sais qu’elles ne t’incluent pas) puissent publiquement se plaindre qu’elles sont incomprises et se faire publiquement remonter le moral pendant que toi tu ne peux même pas raconter ton vécu en public comme ça.

Tu fermes ta gueule, tu baisses la tête et tu te sens seule.

Tu penses que ton milieu serait dur à mobiliser parce que les filles sont plutôt nomades et parce que pour beaucoup d’entre elles, il n’est pas question de faire savoir publiquement qu’elles font ce travail. Tu te rappelles bien quand ton club est devenu contact, quand les filles en parlaient en se changeant, abattues et déprimées, une d’entre elles a dit : « on devrait faire de quoi! On devrait faire une manifestation! ». Elle s’est fait répondre avec un sourire découragé « ce n’est pas les manifestations qui vont payer mon hypothèque, pis on n’est pas obligées de travailler contact, on peut changer de place. Mais si ce n’est pas toi qui le fait ça va être une autre, pis c’est une autre qui va faire l’argent que t’aurais pu faire ». Une autre fille rit et du fond du vestiaire dit : « come on bé! Tu veux qu’on fasse des manifestations anonymes? ». Toi t’as rien dit, t’étais occupée à être en tabarnak parce que le bouncer cave a osé ajouter « ben si vous aviez été plus gentilles avec les clients le boss aurait pas été obligé de mettre ça contact ». T’étais occupée à écouter l’amie en état de choc qui disait « ça fait 10 ans que je suis ici pis y’ont même pas assez de considération pour nous le dire plus que 2 semaines à l’avance?! Criss quessé que je suis supposée faire?! ».

Au jour le jour, il y a rarement des drames. Les filles sont habituées de prendre soin d’elles seules. Elles se conseillent entre elles « moi je fais pu d’acrobaties sur le stage, comment je gagne mon argent si je me pète une jambe?  – Ah, tu vois moi c’est pour ça que je porte juste des bottes comme ça ma cheville tient pis bonus, je ne suis même pas obligée de me raser tous les jours! », Elles s’échangent des trucs et des rires. Tu sais que c’est une « bonne place » pour travailler parce que celles qui sont le plus nomades te le disent en ajoutant qu’ « ici c’est des filles qui ont de la classe, pas des filles pimpées qui font de la gaffe dans les isoloirs ». Tu les crois parce que toi t’es jamais vraiment allée ailleurs et tu notes la hiérarchie dans les mots. Une hiérarchie qui ne te plaît pas. Tu sais très bien que pour que toi tu aies le privilège de travailler « dans une bonne place », c’est parce que d’autres filles ailleurs n’ont pas ce privilège. Tu sais que tu es en haut d’une pyramide où les échelons les plus bas se font pas mal plus chier que toi.

Ici t’as des hauts et des bas, mais tu connais tout le staff et le patron qui sont gentils avec toi. Pourtant, le patron, tu l’as déjà vu donner un coup de pied à un itinérant pendant que tu fumais dehors. Alors qu’il est agréable et poli avec toi, tu sais que tu ne dois jamais mentionner ça. Ici, les filles sont gentilles avec toi et tu t’es fait des amies. Assurément, toutes tes amies sont différentes. Certaines vont à l’école ou d’autres ont un travail dans la journée, « une vraie job ». D’autres, sont des mères célibataires qui se disent très contentes d’avoir un travail qui leur permet de s’occuper de leurs enfants de tous âges. Tu constates que certaines d’entre elles ne veulent pas qu’on les associe à ce travail, si on peut le qualifier ainsi, même si les chums, les blondes, les parents ou les enfants savent ce qu’elles font dans les nuits torrides de Montréal. Il est évident qu’elles ne veulent pas que leur expérience, dans l’industrie du sexe, soit connue dans une autre « vraie job » ou à l’école. Pouvons-nous les blâmer ? Elles sont entièrement conscientes de la stigmatisation et des préjugés qui les caractérisent, à l’extérieur du club ou dans leur ou dans la société en général. N’ont-elles pas raison de se protéger, car aucun droit ne leur y est attribué et reconnu ? Seuls leurs « vrais » noms les protègent et encore. Tu trouves ça triste et aberrant.

D’autres amies sont contentes que leur job soit complètement liée à leur mode de vie. Elles font de la promo pour le club, sont dans les rues quand c’est le temps du Grand Prix et disent ouvertement que c’est leur travail dans la vie de tous les jours. Elles te font vivre beaucoup d’émotions avec leurs histoires folles d’amoureux riches qui les font voyager partout dans le monde dans des grands hôtels de luxe en les couvrant de bijoux, pour les flusher trois mois plus tard parce que dans le fond, ils ont une blonde et elle vient d’accoucher.

Il y a aussi d’autres amies qui sont privilégiées de travailler dans ce club, mais dont la couleur de peau devient un obstacle dans ce contexte. On pourrait croire que l’industrie du sexe utilise une palette de filles pour le goût et le choix des clients, mais c’est tout à fait le contraire. Ta meilleure amie est noire et ne s’arrête pas à ça. C’est plus une problématique pour la majorité des patrons. Pourquoi ? Parce qu’ils disent que « les clients aiment pas quand y’a trop de noires ». Parce qu’ils se disent qu’ils connaissent le choix des clients et aussi que certaines filles noires dans le club pourraient se plaindre du nombre. C’est-à-dire qu’il y a un « nombre juste » de filles de couleur dans un univers où ton horaire ne dépend pas juste de tes disponibilités, mais de « ça serait mieux que tu rentres jeudi y’a pas de noires ». Dans le même ordre d’idées, dans certaines agences de placement (i.e. escortes ou danseuses), les agents disent de certains clubs qu’« ils n’engagent pas de noires à cette place-là ». En vérité, on ne limite jamais le stéréotype de la fille blanche, aux yeux bleus et au cheveux blonds, et surtout, très mince. En un mot, c’est du racisme.

Tu le vis comme un travail parce que pour une partie du temps que tu passes à cet endroit tu reviens avec de l’argent. C’est comme un travail, il y a des hauts et des bas. Un patron, d’autres gens qui travaillent, un espace physique connu, t’as même une petite case où mettre tes choses. T’as des collègues : tes amies, des bonnes connaissances, celles avec lesquelles tu n’as que de maladroites tentatives de conversations et celles que tu n’aimes pas. Tu le vis comme un travail.

C’est à des moments particuliers que tu ne te sens plus dans un travail. Comme quand le patron dit que les clients n’aiment pas quand il y « a trop de noires ». Ça cloche parce que tu sais que dans n’importe quel autre travail dire ça aurait été impensable, mais ici, parce que c’est le corps de la fille qui est loué, il devient compréhensible que le patron parle des « goûts » des clients, même s’il y ajoute un racisme crasse. Comme quand tu jases avec une collègue et qu’elle dit, de manière très sincère et empathique, en montrant une autre fille : « Une chance que cette job-là existe pour des filles comme elle. Elle pourrait rien faire d’autre, là au moins elle peut travailler » et que les gens autour hochent unanimement la tête en signe d’accord. Comme quand des clients rechignent à te payer en te disant que les filles à d’autres places font des prix ou qu’ils pensent faire leurs big shots en disant « pour ce prix-là j’aurais eu une Dominicaine pour une semaine! ». Comme quand tu te retrouves face à une table de jeune filles mineures qui « sortent en ville » et, toutes émerveillées, te disent qu’elles aimeraient bien faire ça plus tard, tout en se moquant de la seule qui semble réticente à l’imaginer dans son plan de carrière. Ce sont de petites choses, de petits moments qui te laissent un goût amer en revenant de travailler. Des choses graves arrivent aussi. De la violence physique et des insultes. À chaque fois qu’un truc brasse beaucoup une fille, le patron l’écoute ventiler dans son bureau, lui offre même un drink, ou la laisse repartir à la maison. Mais étrangement, ce ne sont pas les trucs graves qui te font le plus voir que quelque chose cloche dans ce travail. Ce sont ces petits moments, ces petits riens qui sont supposés faire partie de la job.

Les trucs graves ne sont pas supposés arriver. Quand ça arrive les gens sont empathiques et les filles considèrent l’événement comme un incident. Par contre, la copine qui est obligée de dire au téléphone qu’elle est noire en appelant dans une nouvelle place pour se faire booker, ça fait partie de la job. Entendre des gens penser que c’est la seule job que certaines filles peuvent avoir, ça fait partie de la job. Entendre des clients faires des jokes d’inceste quand tu leur dis que tu as une fille ado, ça fait partie de la job. Savoir que d’autres filles, ailleurs, font ben plus en faisant ben moins d’argent, juste parce que toi t’as le privilège d’être à une bonne place, ça fait partie de la job. Endurer le staff masculin « taquiner les filles » en disant qu’elles sont « jalouses parce qu’elles s’en viennent vieilles » juste parce qu’elles sont dérangées par le fait que la dernière à être rentrée a le physique d’une jeune fille pré-pubère, ça fait partie de la job. Être obligée de payer des montants considérables juste pour pouvoir essayer de faire de l’argent, ça fait partie de la job. Se faire chier par l’escouade de la moralité de la police qui vient au club une fois de temps en temps pour « s’assurer qu’il n’y a pas de mineures », c’est-à-dire noter les identités des filles et parler d’elles à la troisième personne en faisant des commentaires déplaisants pendant qu’elles sont dans leur face, ça fait partie de la job.

Quand tu te fais frapper, humilier, lancer ton argent par terre en te faisant traiter de bitch, quand tu te fais voler de l’argent ou que tu te fais droguer, ce n’est pas supposé faire partie de la job. Ça arrive quand même. Tu sais que ça doit vous arriver aux amies et à toi bien plus souvent qu’aux caissières du Super C, mais ça reste des incidents isolés. Personne ne trouve ça normal ou correct, même le bouncer cave. Se remettre de ce qui n’est pas supposé arriver te semble beaucoup plus facile que d’effacer le sentiment que te donne tout ce qui fait partie de la job. Quand le client te vole de l’argent en ne te payant pas, tout le monde est gentil avec toi, te console et t’écoute. Quand le client admet qu’il est un peu mal à l’aise avec le concept de payer une fille qui ne l’a pas choisi, en plus d’avoir à dire à d’autres filles qu’il ne les veut pas, qu’il se fait répondre « c’est comme des légumes à l’épicerie, les tomates ne vont pas chialer si t’aimes mieux les concombres » et que ça te dérange, personne ne te console et ne t’écoute.

Tu sens que l’expérience de travail est différente de toutes les autres jobs que t’as faites, même si t’as un horaire stable, un gentil patron et des super collègues. Tu as envie de nouer des liens avec des groupes qui eux aussi trouvent que cette industrie n’est pas émancipatrice, même si l’argent que tu fais de manière autonome peut t’émanciper. Tu regardes les groupes abolitionnistes réglementaristes et tu comprends leur existence. Tu comprends leur existence et tu la trouves importante parce qu’en tant que privilégiée dans l’industrie tu en vois des poquées, des filles qui n’ont pas le choix, qui ont peur, qui consomment trop « parce que sinon chu pas capable d’endurer les esti de clients! ». Tu sais que des filles doivent donner leur argent à la fin de la nuit et tu ne sais pas trop quoi leur dire quand elles pleurent dans le vestiaire en panique parce que « shit j’ai déchiré mon costume neuf, mon chum va capoter il ne voudra pas m’en acheter un autre! », quand tu sais très bien qu’elles font plusieurs centaines de dollars à chaque nuit. Mais ces filles-là ne sont pas tes amies, tu ne sais jamais trop quoi leur dire et de toute façon elles ne restent jamais longtemps. Toi, tu es privilégiée. Toi, le patron trouve que t’es une bonne fille et tes amies aussi sont considérées comme des bonnes filles. Toi, ton argent il t’émancipe, il ne t’enchaîne pas. C’est pour ça que même si tu n’as pas envie de rejoindre les groupes abolitionnistes réglementaristes, tu penses qu’ils sont essentiels. Ils pointent le truc qui cloche dans ce que tu constates de ton expérience. Ils font les liens entre tout ce qui cloche et montrent un tableau d’ensemble. Tu es d’accord avec ces groupes, mais tu ne t’y sens pas à ta place. Tu es contente qu’ils existent mais tu n’es pas d’accord avec la voie légaliste. D’ailleurs, pro-TDS réglementaristes ou abolo réglementaristes, tu en as plein le cul qu’on te dise que la réponse est dans les lois. Toi tu penses que la réponse est dans la solidarité des travailleuses/travailleurs de l’industrie l’un/e envers les autres. Toi tu penses que la réponse est dans l’acceptation de la diversité des expériences et le fait d’ouvrir les yeux sur la pyramide des privilèges des gens qui y sont. Toi tu penses que l’amélioration des conditions de travail de ce milieu-là passe par le rapport de force contre les patrons, pas en devenant des patrons.

Avec les gens de gauche tu te sens seule parce que sur le sujet de l’industrie du sexe, il n’y a qu’un seul mantra qui est accepté « les pro-TDS savent de quoi elles parlent! C’est leur job!». Tu fermes donc ta gueule en buvant ta dernière bière. C’est ta dernière bière parce que t’as pu envie d’être là. Tu trouves ça excessivement violent que des gens te disent, en se servant d’expériences d’autres personnes, que ton expérience est invalide, que tes observations sont de la marde. Tu sais que tu n’as aucune légitimité parce que toi tu ne peux pas t’afficher publiquement. Tu es déçue de voir des gens d’habitude critiques, faire un amalgame grossier entre sexe-positif et industrie du sexe. Tu ravales, tu fermes ta gueule et tu quittes ces espaces.

Avec les féministes tu te sens seule pour les mêmes raisons. En plus ça te fait doublement mal parce que tu penses toujours que les espaces féministes vont te laisser respirer un peu. Tu penses toujours que les espaces féministes vont être plus sensibles au fait qu’une majorité écrasante de filles dans l’industrie, du côté réglementé ou non, ne peuvent pas s’afficher publiquement. Tu penses que les féministes d’une grande ville comme la tienne, où l’industrie du sexe est florissante, vont être capables d’avoir la sensibilité de penser que statistiquement, si une travailleuse pro-TDS se trouve dans leur espace, d’autres qui ne peuvent pas s’afficher sont aussi présentes.

Mais ça n’arrive pas. Ça n’arrive jamais.
Tu ravales donc, tu baisses la tête et tu fermes ta gueule.
Et tu te trouves dont niaiseuse de leur avoir fait confiance à ces féministes.

Puis, tu prends sur toi. Tu relèves la tête et tu trouves la force de réaffirmer (à toi-même vu que ça n’intéresse personne d’autre) que NON, personne ne te forcera à t’afficher publiquement avec ton expérience, tu ne céderas pas à cette violence. OUI ton expérience et ton vécu sont quand même valides même si tu ne peux pas les afficher dans l’espace public. NON tu ne te laisseras pas mener par cette fausse idée de la réglementation comme celle d’une recette magique. NON te ne feras pas partie de ces gens qui pensent que t’es « avec ou contre eux ». OUI tu vas continuer à parler de l’expérience de la légalité de cette industrie. Tu veux le faire pour toi, mais aussi pour désinvisibiliser les expériences de toutes ces filles, ces amies. Vous toutes, rendues muettes par des gens qui monopolisent la parole et les expériences. Tu vas continuer à nouer des liens avec d’autres filles comme toi. Elles existent, tu en rencontre de plus en plus. Elle viennent te voir en privé sur les réseaux sociaux pour te remercier de ce que t’as commenté, elles t’approchent discrètement juste avant de partir d’un party pour te remercier d’avoir tenu ton bout contre la personne qui commençait toutes ses phrases en disant « moi je connais une travailleuse du sexe et elle dit que c’est une job normale ».

Et ça te fait sentir plus forte contre tous/tes ces gauchistes, ces féministes, ces conservateurs, ces étatistes, ces légalistes, ces insensibles, ces clients et ces patrons.

Et là, tu te sens moins seule.

Deux filles de l’industrie, dont l’une qui remercie sa meilleure amie pour tout et plus encore.

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Lire Malatesta. Pensées sur les tactiques, la violence et la révolution – Reading Malatesta. Thoughts on tactics, violence and revolution

by on Déc.09, 2014, under anarchie

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Par: Sebastian Kalicha
Traduction: pwll

-English version below-

Errico Malatesta (1853 – 1932) est un de ces anarchistes du 19e/20e siècle que nous lisons en constatant que les problèmes auxquels les anarchistes font face aujourd’hui n’ont pas vraiment changés depuis cette époque. Malatesta discutait de problèmes et d’idées qui sont vraiment pertinentes pour le mouvement anarchiste contemporain, comme les questions de tactiques et d’organisation. Ainsi, il ne devrait pas être traité comme un “vieux barbu” sans pertinence (que quelques anarchistes contemporains déclarent sans pertinence dans une tentative désastreuse de mettre de côté leur propre histoire), mais devrait être lu et discuté de manière critique.

L’anarchisme de Malatesta peut grossièrement être décrit comme situé quelque part entre le collectivisme de Bakounine et l’approche communiste de Kropotkine. Il était situé tant dans les tendances anarchistes “classiques”, qu’entre-elles. Malatesta rejetait l’anarchisme individualiste, hésitait à clairement s’aligner avec l’anarcho-syndicalisme – affirmant que les syndicats avaient toujours tendance à être réformistes, pas révolutionnaires – et a eu sa part de problèmes avec des parties du courant anarcho-communiste – notamment les plateformistes, dont il pensait que la structure organisationnelle était trop rigide. Il voulait un mouvement anarchiste qui soit un mouvement de la classe ouvrière, un mouvement de masse. Ni crypto-élitiste, de culture clandestine (comme Bakounine l’envisageait des fois ), ni une potentiellement condescendante “avant-garde”.

Malatesta, la guerre et le “Ravacholisme”

Un thème aussi historiquement important que pertinent aujourd’hui est l’idée de Malatesta par rapport aux tactiques (i.e. la question de la violence). Encore ici, nous retrouvons Malatesta entre différentes approches, sans spécifiquement en adopter une. Avant de parler de tactiques, de révolution, de violence et de non-violence, il doit être mentionné que Malatesta est un des anarchistes qui, de manière passionnée et publique, a confronté le (petit) groupe d’anarchistes qui supporta l’Entente durant la Première Guerre mondiale. Le fameux Manifeste des seize, pro-guerre et signé par des anarchistes comme Peter Kropotkine et Jean Grave, qui a mené à un désaccord dans le mouvement anarchiste avec des gens comme Emma Goldman, Rudolf Rocker, Ferdinand Domela Nieuwenhuis, Lilian Wolfe et Alexander Berkman qui argumentaient contre les “anarchistes pro-guerre”.

Malatesta était aussi en complète opposition avec la dite “propagande par le fait”, i.e., contre les anarchistes qui pensaient gagner les masses à des causes révolutionnaires par des assassinats, des attentats et des bombes qui viseraient les représentants haïs du système oppressif. À ce moment, Malatesta connaissait déjà la toxicité de ces tactiques pour le mouvement anarchiste et à quel point cela était contre-productif pour tout ce pourquoi les anarchistes luttent. Il a une fois décrit comme un de ses meilleurs souvenir l’échec du phénomène anarchiste de courte durée qu’il appelait le “Ravacholisme”.

Malatesta et la violence

Malatesta avait des idées contradictoires en ce qui touchait à la violence et le rôle qu’elle devait jouer dans l’action anarchiste, ou idéalement dans la révolution. D’un côté, il était très clair dans son avertissement aux anarchistes sur les conséquences destructives que la violence peut avoir – et a toujours eu – et à quel point cela est incompatible avec l’idéal anarchiste. D’un autre côté, il ne préconisait rien de moins que la lutte armée comme moyen d’une révolution victorieuse. Il voulait armer la classe ouvrière en entier (en comparaison avec un petit groupe pratiquant la guérilla armée), afin que les travailleurs-euses puissent renverser la bourgeoisie par la force. C’est paradoxal: d’un côté Malatesta sonne comme un fidèle anarcho-pacifiste non violent, qui est capable d’expliquer de manière très convaincante pourquoi la violence est un outil oppressif et réactionnaire qui trahit et travaille contre le but anarchiste d’une société libre, progressiste et non-répressive; de l’autre côté, sa conclusion n’est pas de renoncer à la violence comme un moyen révolutionnaire, mais de préconiser l’inverse: la lutte armée. Il n’est jamais venu à la même conclusion que l’anarchiste néerlandais Bart de Ligt qui disait: plus il y a de violence, moins il y a de révolution.

Les moyens et les fins

Nous discutons ici du principe central à la théorie et la praxis anarchiste: la relation entre les fins et les moyens. Les anarchistes ont toujours su que les moyens déterminent et définissent les fins. Si les moyens sont répressifs, violents et réactionnaires, la fin ne sera rien d’autre. Les anarchistes, incluant Malatesta, prennent cette règle très au sérieux, notamment dans leur querelle avec les marxistes; ils savent bien que l’État ne va pas s’évanouir tranquillement, mais qu’il doit être renversé complètement immédiatement, sinon il ne va jamais disparaître. Il savent que si les révolutionnaires utilisaient des moyens répressifs comme l’État, la révolution ne va pas finir en une société non répressive, libre et sans État. Il est intéressant de noter que la question de la violence a toujours été la grosse “exception” dans cette relation entre moyens et fins. Malatesta a très clairement exprimé que le but pour lequel il luttait était celui d’une société en paix, non violente et libre. Il n’y a pas de place pour la violence et la coercition (qui vont inévitablement causer d’autres violences et actes coercitifs) dans l’anarchie. Tout de même, Malatesta pensait aussi que ce but de paix et de non-violence pouvait être atteint au travers les moyens les plus violents et coercitifs possibles: la lutte armée, la guerre civile, la révolution militarisée. Simone Weil a dit que “la guerre révolutionnaire est la mort des révolutions”. Pendant que les anarchistes ont toujours été très prudent-e-s dans leur poursuite de la relation entre moyens et fins dans tous les aspects de leurs politiques, encore aujourd’hui plusieurs d’entre eux/elles l’ignorent quand arrive la question de la violence.

Comme Malatesta, les anarchistes de notre temps ne semblent pas s’attarder à une analyse anarchiste et une critique de la violence. Les anarchistes ont toujours critiqué la “violence organisée de l’État”, mais au lieu de critiquer et de rejeter la violence comme étant un outil fondamentalement étatiste et oppressif, ils ont souvent fait une chose troublante: légitimer leur propre usage de la violence en référant à la violence de l’État. En d’autres mots, ils utilisent l’État comme une excuse pour leurs propres actions. Essentiellement, ils et elles laissent l’État déterminer leurs actions quand ils disent: “l’État est violent, nous devons/pouvons/devrions donc répondre de la même manière.” La violence est le seul sujet où les anarchistes utilisent de manière répétitive et ouverte les comportements de l’État comme une justification et un point de référence pour leur propre praxis. Ce n’est plus l’anarchie et les principes anarchistes qui déterminent les moyens, mais l’État! Il est presque comique de constater que ceci ne cause pas plus de débats dans un mouvement anarchiste qui souligne légitimement l’importance de politiques préfiguratives. Certain/es oublient souvent que si, comme anarchistes, nous voulons abolir l’État, c’est justement parce qu’il est coercitif, répressif et, oui, violent! La lutte contre la violence, peu importe sa forme (structurelle et directe/physique) et par qui elle est utilisé, est un des fondements de ce que les anarchistes combattent avec beaucoup de passion- la coercition, la domination, la hiérarchie, les inégalités. Donc, une précondition pour une critique fondamentale de la domination et des inégalités doit aussi être une critique radicale de la violence. Une critique anarchiste de la domination semble incomplète sans une telle critique – elles sont reliées.

L’anarchiste britannique Nicolas Walter a dit que la violence (tout comme l’État!) n’est pas une force neutre qui fait ce qui est bon parce qu’elle est entre de bonnes mains. Ceci est vrai même si nous reconnaissons qu’il y a une différence entre la violence de l’oppresseur et celle de l’oppressé/e. Comme dans le cas de Malatesta, il semble y avoir un manque de compréhension des alternatives aux moyens de lutte violents dans l’anarchisme contemporain. Malatesta a écrit que renoncer à la violence veut dire renoncer à l’activité révolutionnaire. C’était faux au 19e/20e siècle (des groupes et des individus anarchistes non violent révolutionnaires existaient en même temps que Malatesta) comme c’est faux aujourd’hui. L’action non violente n’est ni réformiste ni passive (même si elle peut l’être); ce n’est pas seulement une praxis qui arrête avant d’user de violence contre les humains. C’est un large et complet répertoire de modes d’actions (directes) subversifs, ancrés dans une riche histoire, qui peuvent être utilisés. Ainsi, dans l’histoire du mouvement anarchiste, il est possible de trouver des groupes et des individus qui ont pris la relation entre les moyens et les fins de manière sérieuse, également dans le cas de la violence. Ils/elles y ont vu la relation entre violence et domination, et donc rejeté les moyens violents hors de leurs principes anarchistes – préconisant plutôt une révolution non-violente

“Quel sera le résultat de la Révolution?”

Malatesta n’était pas un révolutionnaire non-violent, même s’il semble des fois surprenant qu’il ne soit pas arrivé à cette conclusion quand nous lisons des parties de son travail où il apparaît comme un critique anarchiste, passionné et avisé en ce qui concerne les moyens violents:

“Violence, i.e., physical force, used to another’s hurt, which is the most brutal form the struggle between men can assume, is eminently corrupting. It tends, by its very nature, to suffocate the best sentiments of man, and to develop all the anti-social qualities: ferocity, hatred, revenge, the spirit of domination and tyranny, contempt of the weak, servility towards the strong. And this harmful tendency arises also when violence is used for a good end. […] How many men who enter on a political struggle inspired with the love of humanity, of liberty, and of toleration, end by becoming cruel and inexorable proscribers. How many sects have started with the idea of doing a work of justice in punishing some oppressor whom official « justice » could not or would not strike, have ended by becoming the instruments of private vengeance and base cupidity. And the Anarchists who rebel against every sort of oppression and struggle for the integral liberty of each and who ought thus to shrink instinctively from all acts of violence which cease to be mere resistance to oppression and become oppressive in their turn also are liable to fall into the abyss of brutal force. […] Thus the danger of being corrupted by the use of violence, and of despising the people, and becoming cruel as well as fanatical persecutors, exists for all. And if in the coming revolution this moral degradation of the Anarchists were to prevail on a large scale, what would become of Anarchist ideas? And what would be the outcome of the Revolution?” (1)

Pour être clair: il ne s’agit pas ici d’avoir “tort” ou “raison”, d’avoir la “bonne” interprétation de l’anarchisme, étant donné que je ne crois pas en la “vérité anarchiste”. C’est plutôt en lien avec la réflexion sur la théorie et la praxis anarchiste, ainsi que sur le fait d’aborder les contradictions qui devraient être discutées et débattues. Pour le sujet de ce texte, Errico Malatesta semble être un très bon exemple historique, étant donné qu’il était un critique, en même temps qu’un défenseur, de ce qu’il appelait “la violence révolutionnaire”. Et ce sujet est – comme nous le savons tous/tes – encore pertinent pour nous aujourd’hui.

(1) Errico Malatesta: „Violence as a Social Factor“. In: Robert Graham (ed.): Anarchism: A Documentary History of Libertarian Ideas. Volume One. From Anarchy to Anarchism (300 CE to 1939). Black Rose Books, Montreal/New York/London 2005, p. 160

Reading Malatesta. Thoughts on tactics, violence and revolution

by Sebastian Kalicha

Errico Malatesta (1853 – 1932) is one of those 19th/20th-century anarchists, where you notice while reading that the problems that anarchists are facing today haven’t really changed that much since then. In fact, Malatesta discussed problems and ideas that seem very relevant to the contemporary anarchist movement like tactics and organising. Hence, he shouldn’t be treated as an irrelevant „old man with beard“ (who some contemporary anarchists declare irrelevant in a disastrous attempt to ditch their own history), but he should be read and critically discussed.

Malatesta’s anarchism can roughly be described as somewhere between Bakunin’s collectivist and Kropotkin’s communist approach. Malatesta rejected individualist anarchism, hesitated to fully align with anarcho-syndicalism – claiming that unions always have the tendency to be reformist, not revolutionary – and had his problems with parts of the anarcho-communist current – notably with the platformists, who he thought had an organisational structure that was too rigid. He wanted the anarchist movement to be a movement of the working class, a mass movement, neither a krypto-elitist, clandestine subculture (like Bakunin sometimes envisioned), nor a potentially patronising “vanguard”.

Malatesta, war and “Ravacholism”

A topic that is both historically important as well as relevant for us today are Malatesta’s ideas about tactics (i.e. the question of violence). Again, we find Malatesta between different approaches, not fully aligning himself with a specific one. Before talking about the question of tactics, revolution, violence and non-violence, it first should be mentioned that Malatesta was one of the anarchists who publicly and passionately confronted the (small) group of anarchists who supported the Entente during World War 1. The famous pro-war Manifesto of the Sixteen, signed by anarchists like Peter Kropotkin and Jean Grave, led to a rift in the anarchist movement, with people like Emma Goldman, Rudolf Rocker, Ferdinand Domela Nieuwenhuis, Lilian Wolfe and Alexander Berkman arguing against the “pro-war-anarchists”.

Malatesta was also in complete opposition to the so-called “propaganda of the deed”, i.e., to anarchists who thought they could win the masses for the revolutionary cause through assassination attempts and bombings targeting the hated representatives of the oppressive system. Malatesta knew already back then how toxic such a tactic was to the anarchist movement and how counter-productive it is for everything anarchists push for. He once described it as one of his nicest memories that he added to the failure of the short-lived anarchist phenomenon of “Ravacholism”, as he called it.

Malatesta on violence

Concerning violence, and what role it should play in anarchist action or, ideally, revolution, Malatesta was quite contradictory. On the one hand, he was very vocal in warning anarchists of the destructive consequences violence can have – and always has had! – and how incompatible it was with the anarchist ideal. On the other hand, he was advocating nothing less than armed struggle as the means for a successful revolution. He wanted to arm the entire working class (in contrast to just a small armed guerilla army), so that the workers could overthrow the bourgeoisie by force. It is paradoxical: on the one hand, Malatesta sounds like a staunch non-violent anarcho-pacifist, who is able to explain very convincingly why violence is an oppressive and reactionary tool that betrays and works against the anarchist goal of a free, progressive and non-repressive society; on the other hand, the conclusion for him is not to renounce violence as a means for the revolution, but to advocate the direct opposite: armed struggle. He never came to the conclusion of Dutch anarchist Bart de Ligt who said: the more violence, the less revolution.

Means and ends

What we have to discuss here is one principle that is central and crucial to anarchist theory and praxis: the relation of ends and means. Anarchists always knew that the means determine and define the ends. Are the means repressive, violent and reactionary, the end will be exactly the same and nothing else. Anarchists, including Malatesta, were very committed to this rule, most notably in their quarrel with the Marxists; they argued that the state won’t “wither away” at some point, but that it has to be overthrown immediately, otherwise there’s no turning back. They knew that if revolutionaries used repressive means in the same way the state did, the revolution wouldn’t end in a non-repressive, free and stateless society. Interestingly enough, the question of violence was always the big “exception” in this relation of means and ends. Malatesta made it very clear that the goal he was fighting for was a peaceful, non-violent and free society. There is no place for violence and coercion (which inevitably cause one another) in anarchy. Still, Malatesta thought that the peaceful and non-violent goal could be reached through the most violent and coercive means possible: armed struggle, civil war, militarised revolution. Simone Weil said that “revolutionary war is the death of revolutions”. While anarchists were always very cautious in following the relation of means and ends in all aspects of their politics, to this day many of them ignore it when it comes to the question of violence.

Just like Malatesta, anarchists these days don’t seem to pay a lot of attention to a fundamental anarchist analysis and critique of violence. Anarchists have always criticised the “organised violence of the state”, but instead of criticising and rejecting violence as a fundamentally statist and oppressive tool, anarchists have often done something quite unsettling: they have legitimated their own use of violence by referring to the violence of the state; in other words, they have used the state as an excuse for their own actions. Basically, they let the state determine their actions when stating: “The state is violent, so we have to/can/should respond in the same fashion.” Violence is the only topic where anarchists repeatedly and openly use the state’s behaviour as a justification and a point of reference for their own praxis. It is no longer anarchy and anarchist principles determining the means, but the state! It is almost comical that this does not cause more debate in an anarchist movement that is rightfully pointing to the importance of prefigurative politics. Anarchists often seem to forget that we as anarchists want to abolish the state exactly because it is coercive, repressive and, yes, violent! A precondition and a fundamental root of things that anarchists fight with great passion – coercion, domination, hierarchy, inequality – is violence, regardless of how it exactly appears (structurally or directly/physically) and who is using it. Therefore, a precondition for a fundamental critique of domination and inequality has to be a radical critique of violence. An anarchist critique of domination seems incomplete without such a critique – they have to come together.

The British anarchist Nicolas Walter said that violence (just like the state!) is not a neutral force that does the right things just because it’s in the right hands. This is even true if we acknowledge that there is a difference between the violence of the oppressor and that of the oppressed. Just like in the case of Malatesta, there seems to be a lack of understanding of the alternatives to violent means of struggle in contemporary anarchism. Malatesta once wrote that renouncing violence means renouncing revolutionary activity. That was wrong in the 19th/20th century (there were explicit revolutionary non-violent anarchist groups and individuals existing at the time of Malatesta) just like it is wrong today. Non-violent action is neither reformist nor passive (even though it can be); it is not just a praxis that stops at the point of using violence against humans. There is a wide range and a whole repertoire of subversive modes of (direct) action that can be used, not to mention the rich history that it has. As mentioned, even in the historical anarchist movement one can find groups and individuals, which took the relation of means and ends also in the case of violence seriously, who saw the relation of violence and domination, and therefore rejected violent means out of their anarchist principles – advocating for non-violent revolution.

“What would be the outcome of the Revolution?”

Malatesta was not one of them, even though it seems sometimes surprising that he did not draw this conclusion if you read the parts of his work where he appears as a passionate and clear-sighted anarchist critic of violent means:

“Violence, i.e., physical force, used to another’s hurt, which is the most brutal form the struggle between men can assume, is eminently corrupting. It tends, by its very nature, to suffocate the best sentiments of man, and to develop all the anti-social qualities: ferocity, hatred, revenge, the spirit of domination and tyranny, contempt of the weak, servility towards the strong. And this harmful tendency arises also when violence is used for a good end. […] How many men who enter on a political struggle inspired with the love of humanity, of liberty, and of toleration, end by becoming cruel and inexorable proscribers. How many sects have started with the idea of doing a work of justice in punishing some oppressor whom official « justice » could not or would not strike, have ended by becoming the instruments of private vengeance and base cupidity. And the Anarchists who rebel against every sort of oppression and struggle for the integral liberty of each and who ought thus to shrink instinctively from all acts of violence which cease to be mere resistance to oppression and become oppressive in their turn also are liable to fall into the abyss of brutal force. […] Thus the danger of being corrupted by the use of violence, and of despising the people, and becoming cruel as well as fanatical persecutors, exists for all. And if in the coming revolution this moral degradation of the Anarchists were to prevail on a large scale, what would become of Anarchist ideas? And what would be the outcome of the Revolution?” (1)

Just to be clear: this is not about being “right” or “wrong”, if someone has the “right” interpretation of anarchism or not, since I don’t believe in “the anarchist truth”. This is about reflection on anarchist theory and praxis and about tackling aspects of it, where I see contradictions that need to be addressed and debated. For the questions discussed, Errico Malatesta seems to be a very good historical example, since he was both a critic and an advocate for what he called “revolutionary violence”. And this topic is – as we all know – still very relevant for us today.

(1) Errico Malatesta: „Violence as a Social Factor“. In: Robert Graham (ed.): Anarchism: A Documentary History of Libertarian Ideas. Volume One. From Anarchy to Anarchism (300 CE to 1939). Black Rose Books, Montreal/New York/London 2005, p. 160

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Cher Charles et « violence » politique – (1)

by on Oct.24, 2014, under anarchie

I – Télé intérieure et jouissance

« Il y avait un temps où les fleurs avaient le droit d’éclore
Les pétales jaunes et rouges se tendaient comme des voiles
Partout ils claquaient dans une lumière vive et
Leurs couleurs détonnaient dans la grisaille
Boum.

Toi tu as fait pousser de la dent-de-lion
Aux reflets glacés et à la corolle pointue
Devant un Starbucks où tout le monde va

Délicatement tu as planté un tuteur fait avec
Un manche de pancarte
Il tenait enfoncé profond dans celui qui avait
Voulu désherber […]»

-La série des poèmes violents

 

Introduction

Condamner ce que les médias et gouvernements décrivent comme de la violence politique se fait difficilement sans adopter une position privilégiée. Car quand on participe à un débat en dénonçant un comportement décrit par la loi comme criminel et illégal, on ne peut faire face qu’à un parti affaibli et marginalisé, de par sa condition justement potentiellement judiciarisable. Un parti qu’on peut légitimement suspecter d’avoir peur d’exprimer le fond de sa pensée, en raison de la répression brutale que cette libre-expression peut provoquer. Avons-nous réellement besoin de le spécifier? Tous les médias, tous les individus ne peuvent se permettre de publier un texte réellement subversif. Dans un débat sur des actes illégaux, il y a donc un parti qui débute avec un réel avantage, et il serait temps de le reconnaître. Les dés sont pipés en faveur des gens qui condamnent la violence.

C’est dans ce contexte qu’a été publiée la BD Cher Charles. Elle défend ouvertement l’action directe, le vandalisme, la « joie armée ». Évidemment, tout le monde n’a pas apprécié le ton presque naïf de l’oeuvre vis-à-vis de la violence, dont la définition serait d’ailleurs à revoir en profondeur. Je fais donc état ici de mes propres remarques sur le sujet débattu.

Diversité des tactiques, perturbation de la routine

Parmi les postures militantes les plus largement partagées depuis plus d’une décennie, il y a le respect de la diversité des tactiques. Cela signifie grossièrement que l’on doit accepter, autant que possible, le mode de contestation choisi par une mosaïque d’activistes. Évidemment, je suis pour. La diversité des tactiques ne peut pas tout justifier, mais il me semble qu’une solidarité minimale est requise.

Je suis également en faveur des actions qui perturbent la routine. Je ne suis pas de ceux et celles qui cherchent nécessairement des perturbations économiques de grande ampleur, tout simplement parce que je n’y crois pas beaucoup. Cela dit, si ces mêmes actions visant la perte de capital et le ralentissement de la production troublent par le fait même le train-train quotidien du bétail humain, cela me rend heureux.

On parle souvent de la prison intérieure, qui survit dans notre psyché et nous enferme dans une autodiscipline grillagée. Elle nous pousse à ne jamais dévier de notre chemin, à toujours se surveiller, à avoir la trouille de sortir. On devrait tout autant parler de télé intérieure. Celle qui nous pousse à lever le son de nos outils de divertissement mentaux, à considérer tout stimulus extérieur de la même manière qu’on perçoit l’achalant bruit du frigidaire, ou la vision d’une mouche qui se pose sans arrêt sur l’écran pendant une game de hockey. Avec une immobile et silencieuse irritation.

Perturber constamment cette contemplation béate du spectacle me semble être de première nécessité. C’est une des seules manières d’amener les autres à se déconnecter. Et plus la perturbation est audacieuse, brutale, théâtrale, bruyante, plus les excuses pour retard au travail ou à l’école seront bonnes. Et au final, du moment qu’on décroche un peu, on peut constater qu’arriver à l’heure au travail n’est en fait pas si important. Ni même arriver du tout, d’ailleurs.

Casser une vitrine d’une entreprise capitaliste dans un quartier commercial, mettre le feu aux autopatrouilles et danser autour, c’est une manière improvisée mais très efficace de perturber le quotidien. Elle ne me semble ni meilleure ni pire, a priori, que de participer à une action non-violente, en faisant une chaîne humaine devant un Wal-Mart ou en gueulant l’hymne national du Djibouti pendant une conférence de presse de Steven Blaney. Seulement, cette manière de faire frappe mieux l’imaginaire, et avec elle l’univers des possibles explose. Non seulement l’exploiteur est humilié – c’est bien ce que c’est, une humiliation – mais les normes, qui servent de barreaux à notre prison intérieure, sont (du moins temporairement) complètement balayées. C’est ce qui s’est passé au G20 de Toronto, en 2010. Plusieurs l’ont constaté: après le passage des Black Blocs, la rue Yonge s’est transformée en foire carnavalesque. Les habitant-e-s et curieux/euses ont réoccupé leurs rues zébrées par les éclats de vitrines fracassées et les voitures de flics abandonnées. C’était l’euphorie. Les témoins n’en revenaient pas.

De la même manière, la manif du 22 mai 2012 a créé un chaos monumental, résultat de vitrines de banques pétées mêlées à la marche désordonnée et festive de toute une population à l’assaut de normes tyranniques. Au minimum deux personnes ont en outre décidé de se mettre totalement à poil (pas à moitié comme dans les manufestations), défiant ainsi le Code Criminel et commettant, pourquoi pas, une sorte d’acte violent contre la décence.

La magie n’existe pas. L’illusion: oui. On ne peut pas faire sortir une révolution d’un chapeau, par l’action radicale ou modérée. Mais on peut orchestrer le lever du rideau. Si nos chaînes sont imaginaires et volontaires, il faut briser tout ce qui fait mur à notre imagination. Parfois, ça passe par le fait de darder le dragon impuissant avec un bâton pour montrer à tout le monde qu’il n’est pas aussi dangereux qu’on le croit.

L’intérêt à long terme

L’intensité de ces moments de chaos – et parfois réellement d’anarchie[1] – est difficile à déterminer, principalement en raison de l’impossibilité de mesurer l’expérience individuelle de chaque participant-e et de chaque témoin. Il est difficile également d’en évaluer les conséquences sur les moyen et long termes, mais elles ne sont peut-être pas celles que l’on croit, ni aussi importantes qu’on le dit. Il y a quelques années, j’ai demandé à I… ce qu’il avait ressenti en cassant des vitres au G20. Il m’a répondu: « je me suis senti vivre, pour la première fois. » Ces actions ou manifestations n’ont pas besoin d’avoir d’effets à long terme, elles se suffisent à elles-mêmes : elles ont eu lieu, et c’est tout. C’est d’ailleurs à peu près l’une des positions défendues dans Cher Charles. Sans être l’orgasme perpétuel, elles sont comme l’orgasme multiple dans une société où toute jouissance serait proscrite. Elles ne durent pas éternellement mais laissent un souvenir délicieux et donnent envie de recommencer.

_____________

[1] Et non, je ne pense pas que l’anarchie soit nécessairement caractérisée par « l’Ordre ». Dans ce cas-ci, la solidarité émeutière suffit tout à fait.

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