La Tomate noire

Tag: prostitution

Coup d’oeil sur le côté légal de l’industrie du sexe: danser à Montréal

by on Juil.12, 2015, under féminisme

G. Condo_The Mahattan Strip Club

Merci beaucoup à Karell pour sa générosité dans le partage de son expérience

Questions : pwll et Karell

1- Dans l’industrie du sexe, quel est votre pratique ?

Je suis une danseuse nue ou danseuse exotique. Dans l’industrie de sexe, il existe des établissements conçus pour autoriser des filles à exécuter des danses à la fois aux tables et contacts.

2- Cela fait combien de temps que vous êtes danseuse et dans combien de différents clubs avez-vous travaillé à Montréal?

Depuis 2005, je suis danseuse nue. J’ai travaillé dans plus de 10 clubs différents à Montréal et les environs.

3- Combien de danseuses différentes croyez-vous que vous avez rencontré, d’où venaient-elles?

Je dirais que j’ai rencontré environ 5 000 danseuses différentes. Elles viennent de partout dans le monde (i.e. Du Brésil à Granby, De République Dominicaine au Saguenay, De la Roumanie à Victoriaville, etc…)

4- Êtes-vous une consommatrice, allez-vous dans des clubs de danseuses, danseurs, nu-es pour le plaisir?

Je suis consommatrice dans les clubs de danseurs et de danseuses nues pour le plaisir. D’une part, je suis danseuse nue et il y a une certaine zone de confort à être dans ces établissements, car je connais le fonctionnement et les rudiments. Je m’explique. J’amène toujours un certain budget pour contribuer à l’économie de cette industrie. La manière que je le dépense dépend des femmes ou des hommes qui y travaillent, car je sais pertinemment que nous n’aimons pas ou plus que les gens viennent seulement pour nous voir sans rien faire d’autre. Donc, je choisis une femme ou un homme. Par la suite, je donne un montant d’argent en lien avec sa performance sur le stage, sa beauté ou le plaisir érotique et de séduction. D’autre part, le fait que je suis consommatrice, les hommes ne viennent pas m’achaler ou me harceler, car ils y vont pour voir les filles et leurs amis. Au contraire, ils trouvent cela particulier et tentent, tant bien que de mal, de contribuer. D’ailleurs, je les incite à contribuer à l’économie de cette industrie. Je tente tout simplement être un exemple à suivre lorsque nous sommes consommateurs. Est-ce que j’encourage le commerce du sexe ? Je suis contre le commerce du sexe et la traite des femmes, par contre, lorsque les personnes devraient au moins participer par des applaudissements et apprécier toutes les performances dans ces établissements. En effet, mes propos sont à la fois contradictoires et/ou paradoxaux.

5- Quel âge avez-vous?
37 ans, d’origine haïtienne.

Le travail : Danseuse nue

6- Avez-vous besoin de dépenser pour travailler? De quelle manière et combien pensez-vous dépenser mensuellement?

De toute évidence, je dois dépenser pour travailler, car vous comprendrez que l’apparence physique et matérielle sont des moyens de séductions et de fantaisies pour attirer les consommateurs. Certaines dépenses sont utilisées pour mon bien-être personnel et pour travailler, par exemple, le maquillage, les bijoux, les coiffures, les ensembles (vêtements de travail) le conditionnement physique et nutrition. En ce qui a trait aux dépenses en lien avec le travail, je dirais en premier lieu, le service bar c’est-à-dire, le tarif pour travailler dans l’établissement érotique, en deuxième lieu le taxi et troisième lieu, l’alcool. Maintenant, je dois avouer que je dépense en moyenne 800$ pour le service bar par mois et 1000$ pour les vêtements de travail par année.

7- Est-ce que vous pouvez nous dire ce qu’est un service bar et si c’est une pratique courante? Combien croyez-vous qu’un club peut gagner par les services bar des danseuses mensuellement ou dans une année?

Le service bar est le tarif pour travailler dans l’établissement. Il varie avec l’heure d’arrivé (être prête sur le plancher) pour travailler. Je tiens à souligner que cette pratique est courante et augmente avec les années. Il est particulier, car il fut un temps où les gérants de ces établissements payaient les filles qui travaillaient de manière régulières et à raison de 4 à 5 fois semaine. Où est cette tradition de récompenser les filles qui sont soucieuses de travailler et de déclarer leurs revenus ? Dans une approximation, je dirais que les clubs gagnent par mois 50 000$ par mois, pour une moyenne de 40 femmes qui travaillent sur le plancher, soit 537 600$ par année. Ce calcul comprend seulement les filles qui travaillent seulement durant le soir.

8- Avez-vous été, ou êtes-vous présentement, dans un emploi en dehors de l’industrie du sexe? Avez-vous à faire des dépenses pour cet emploi? Comment trouvez-vous la conciliation entre les deux?

Depuis 2005, je suis étudiante universitaire. J’ai des frais scolaires d’environ 1 200$ par session, soit 3 600$ par année. Depuis 2011, je travaille dans un centre médical dans la fonction publique. J’ai des dépenses relatives aux études scolaires (i.e. clé USB, livres, abonnements, etc.) et de ma pratique dans l’industrie du sexe (i.e. vêtements de travail). Je tiens à souligner que j’ai toujours fait ma déclaration de revenu à la fois comme danseuse et mon emploi régulier. En ce qui concerne la conciliation entre le travail régulier et le travail atypique (danser), il est parfois difficile, car les horaires ne correspondent pas. Prenons par exemple, le travail de nuit implique un manque de sommeil, si je dois me présenter à mon cours à 8h30 am. Aujourd’hui, il est plus difficile de concilier, et cela par choix et expérience, en jumelant mon horaire scolaire qui est fixe en fonction de mon horaire de travail atypique qui est variable.

9- Avez-vous déjà vu ou vécu des situations de violence dans votre milieu de travail, soit dans l’industrie du sexe?

En effet, j’ai déjà vécu et je vis des situations de violence verbale dans mon milieu de travail en tant que danseuse nue. Elle se manifeste au niveau des gérants des établissements en exerçant leur droit de gérance. De toute évidence, il n’a pas de syndicat ou d’association, la Commission des normes du travail, la Commission de la santé et de la sécurité du travail, la Charte des droits et de la liberté de la personne, la Chambre de la jeunesse, une ligne-ressource sans frais pour les victimes d’agression sexuelle, et bien d’autres, qui défendent et protègent les danseuses nues de ces derniers de manière adéquate et équitable. Donc, les gérants peuvent faire du harcèlement psychologique et sexuel auprès des filles par rapport à leur éthique de travail, leur horaire de travail, mais aussi, à leurs origines ethniques. La violence s’exprime au niveau des clients qui fréquentent ces établissements en exerçant leur droit de consommateur. On entend par consommation que les personnes, en général, s’estiment en droit de faire ou de dire des choses qu’on n’entendrait pas en dehors de l’industrie du sexe. Prenons par exemple, un client qui se dit qu’il paye pour avoir des danses contacts. Celui-ci s’attribue le droit de donner des claques sur les fesses ou sur le visage, sous prétexte, qu’il peut tout faire, car il a payé, et cela, arrive bien souvent à un montant médiocre, soit 15$ en raison de 4 minutes. Il se donne aussi le droit de dire des choses qu’en temps normal, on n’entendrait pas en dehors de l’industrie du sexe. Par exemple, un client se dit qu’il peut exprimer ses fantasmes ou de demander les positions sexuelles que la fille aiment, sous prétexte, qu’il voudrait joindre ses fantasmes et ses positions sexuelles avec cette dernière.

10- Dirigez-vous vos clients dans la manière de vous toucher? Quelle est leur réaction?

Depuis 2009, la majorité des établissements érotiques à Montréal offrent aux clients des danses contacts. Il y a seulement le Club Wanda’s qui ne s’est pas transformé. Il y a deux raisons où je dirige les clients dans la manière de me toucher. La première est en raison de mes chirurgies mammaires et la deuxième est dans ma période prémenstruelle, mes seins sont ultras sensibles. Il est évident que tout se dit, mais c’est de la manière qu’on le dit. Donc, je réussis à me faire respecter parce que je ne suis pas agressive et impulsive lorsque je donne mes explications.

11- Vous sentez-vous en sécurité à l’intérieur du club? Avez-vous l’impression que des employés(es) sont là pour assurer votre sécurité?

En théorie, ces établissements érotiques engagent des hommes qui doivent assurer la sécurité et veiller à ce que l’ambiance dans les clubs ne soit pas interrompue par les clients, par exemple, les batailles. En pratique, il arrive que les clients tentent de prendre avantage des femmes concernant le nombre de chansons et les montants. Dans ces situations, les clients n’ont pas nécessairement l’argent sur eux ou ne veulent pas ou plus dépenser, même après avoir caressé, touché, palpé etc. Certains agents de sécurité accuseront rapidement et brusquement la femme, sous prétexte, qu’elle nuit à la réputation du club et fait atteinte à la dignité du client. À mon avis, lorsqu’on explique clairement et précisément, nous évitons ce genre de situation. Dans tous les cas, j’assure moi-même ma propre sécurité.
* Il est important que cette explication ne s’applique pas à tous les agents de sécurité. Tout dépend de la considération et du respect que les gérants accordent à l’égard des filles. Dans la même veine, les agents de sécurité assureront la sécurité en fonction du gérant.

12- Est-ce que vous avez déjà vu ou vécu des situations de discrimination, d’inégalité ou d’injustice face aux danseuses ou entre elles?
J’ai déjà vécu des situations de discrimination, d’inégalité ou d’injustice face aux danseuses. J’appellerais une discrimination systématique en raison de mon origine ethnique. La première discrimination se situe lorsque je tente de travailler dans les établissements érotiques, les gérants me disent systématiquement que je peux travailler, mais tout dépend du quota des filles de la même origine ethnique qui travaillent ce soir-là, par exemple. La deuxième discrimination se manifeste lorsque les gérants me demandent si je suis pimpée. En d’autres termes, ils désirent savoir si j’ai des liens avec certains des personnes d’origine ethniques, et plus majoritairement, noires qui peuvent faire le recrutement pour de la prostitution dans l’établissement.

13- Avez-vous, ou connaissez-vous des danseuses, qui ont cotisé à du chômage, qui ont fait des demandes de congé de maternité ou qui ont fait des réclamations à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) après une blessure?

Non, ces mécanismes de sécurité d’emploi n’existent pas dans l’industrie du sexe. Donc, les femmes assurent les dépenses de leurs temps d’arrêt de travail (i.e. congé de maternité ou blessure physique).

Le senti

15- Avez-vous déjà arrêté ou pensé à arrêter ou à prendre une pause, pour quelles raisons?

J’ai arrêté pour 2 ans et demi en raison d’une maladie inflammatoire touchant la peau. De toute évidence, j’utilise mon corps pour solliciter les clients. Donc, il m’était inconcevable de poursuivre dans l’industrie du sexe. J’ai recommencé à travailler, seulement, en juin 2013. Je ne prévois pas arrêter de danser, mais lorsque je prends une pause, c’est durant la période de mes études ou examens.

16- Avez-vous remarqué des changements au travers le temps dans les pratiques et la clientèle des clubs?

En 10 ans, j’ai remarqué divers changements au travers le temps dans la pratique incluant la clientèle dans les clubs.

Tout d’abord, il fut un temps où travailler dans un club était un privilège et une exclusivité, pour les femmes. En aucun temps, les gérants des clubs ne devaient les retrouver dans un autre club. Voilà la clause de l’exclusivité. Dans le même ordre d’idées, les femmes étaient recrutées non seulement pour leurs charmes et leurs attributs physiques, mais pour leur intelligence et leurs compétences (savoir-être, savoir-faire et surtout savoir-relationnel). À l’époque, la moyenne d’âge des femmes était de 25-30 ans. Les femmes s’assuraient que les conversations, l’ambiance et le divertissement soient à la hauteur de la réputation du club et à la noblesse de la femme. À l’intérieur du club, il y avait un code d’éthique au niveau de l’apparence, soit par des robes élégantes jusqu’aux chevilles, bijoux, manucure et pédicure, etc… Nulle femme ne devait danser devant les clients avec des positions explicites. Gare à celles qui voulaient bifurquer des lois non écrites. Dans un autre ordre d’idées, l’image de la femme était dans la distinction, la séduction, l’élégance, et surtout, la beauté. Autrefois, les femmes n’avaient pas à quémander ou à solliciter les clients pour faire des danses non-contacts. Dans le même ordre d’esprit, les danses non-contacts étaient 8$ et/ou 10$ dollars. Saviez-vous qu’à l’époque les danses non-contacts étaient avec un petit banc où les hommes pouvaient admirer les femmes comme si elles étaient sur un piédestal? De plus sur la scène, les femmes faisaient des spectacles incroyables, voire à couper le souffle. Bref, c’était du vrai divertissement !

En ce qui a trait aux changements au travers le temps auprès de la clientèle des clubs, ils se retrouvent au niveau des attitudes et des comportements ainsi que dans le code vestimentaire. Auparavant, les attitudes des clients étaient plus respectueuses, raffinées, et surtout, courtoises. Étant donné que la sollicitation était interdite auprès des hommes, ces derniers prenaient le temps de se présenter et de nous séduire afin de nous faire faire des prestations à la table. Ensuite, les comportements des clients se qualifiaient en termes de la fidélisation. Les hommes venaient en grand nombre pour voir leurs effeuilleuses préférées et défrayaient des sommes faramineuses à titre d’appréciation. De plus, ils étaient attentionnés, complaisants et compréhensifs. En guise de reconnaissance, lorsque les clients venaient au club c’était un événement, car ils applaudissaient, ils ovationnaient les prestations des filles sur le stage et dépensaient largement. Je tiens à souligner que la situation économique de l’époque favorisait l’utilisation des cartes de crédit et les client déclaraient le tout sur les dépenses de leurs compagnies de travail. Évidemment, l’ambiance du club était plus festive et agréable. Enfin, les clients étaient soumis à un code vestimentaire dans le club. Ils étaient habillés en costard (veston et cravate) et la majorité étaient des hommes d’affaires. Il y a 10 ans, les hommes d’affaires venaient manger à l’heure du midi afin de conclure des opportunités d’affaires. D’ailleurs, c’est de cette façon que les clubs de Montréal ont bâti leur réputation et leur notoriété. Ces rencontres entre hommes d’affaires supportaient l’économie de l’industrie du sexe.

Ensuite, le service bar est le mécanisme pour les femmes de travailler et pour les gérants de clubs de s’assurer de la ponctualité des femmes sur le plancher. Donc, cette pratique a toujours été une pratique courante, mais moins dispendieuse, voire une cotisation de 5$ de jour, par exemple en 2005. Auparavant, les gérants de club géraient l’administration de paye à raison de 4 à 5 jours de travail par semaine. Selon une source sûre, les payes ont arrêté en 2002, Chez Parée et en 2004, au Super Sex. C’est terminé, ce beau temps-là ! En somme, cette transformation me porte à réfléchir sur la reconnaissance aux conditions de travail des femmes à travailler pour le club. Auparavant, les gérants de club s’assuraient de l’exclusivité des femmes dans leurs clubs. Cela était le principal moyen de rétention du personnel. En plus, les femmes n’avaient pas à solliciter les clients, car elles avaient une contribution financière à la semaine par le club. En conséquence, la compétition entre les femmes était moindre et l’ambiance était à son paroxysme. N’est-il pas particulier de constater que l’argent conduit la majorité des consommateurs à être avare en face des femmes qui exercent leurs pratiques ? Parce qu’il faut le dire, sans elles, les clubs n’existeraient pas !

À l’heure actuelle, les femmes travaillent dans divers club en raison de la baisse de l’économie dans l’industrie du sexe. Ce qui conduit les femmes à ne plus considérer le club comme un endroit privilégié. L’exclusivité est devenue inexistante dans les clubs en lien avec divers facteurs tels que le taux de roulement des femmes dans les clubs, le faible rétention du recrutement, la moyenne d’âge des filles de 18-25 ans. À mon avis, le fait que les gérants des clubs ne paient plus les femmes à travailler ce qui conduit à la précarisation du travail. En conséquence, les gérants de clubs abusent de leur droit de gérance en menaçant les femmes à travailler dans des horaires insensées, des conditions de travail exécrables et surtout, en leur demandant un service bar hors de prix. Ces derniers servent un mauvais traitement aux femmes sous prétexte qu’il aura toujours des femmes qui se plieront à leurs exigences en raison de la notoriété du club. Force est de constater qu’ils entretiennent cette logique et qu’ils ont raison.

Actuellement, les femmes ne soucient plus des longues conversations, de l’ambiance et du divertissement. De toute évidence, l’apparence demeure la source la plus importante pour la pratiquante et le consommateur. Serait-ce les effets pervers de notre société de consommation ? À mon humble avis, l’avènement, en 2008-2009, des danses contacts dans la majorité dans les établissements érotiques sur l’Île-de-Montréal a amené les femmes à ne pas ou plus se soucier des lois non écrites, car tout ce qui compte est la consommation pour le client (i.e. faire danser les filles et de leur demander plus d’option à la danse) et pour les danseuses (i.e. faire le plus de danses contacts afin de faire plus d’argent). Il n’y a plus de contrôle, dans le sens commun, du sens classique du mot morale. De plus, les danses contacts mènent à la fois une compétition entre les filles et à la sollicitation. En général, cela suggère aux consommateurs de faire des propositions alléchantes afin que les femmes acceptent de se prostituer. Acceptent-elles en raison du manque d’argent amassé durant son quart de travail ou acceptent-elles parce qu’elles sont forcées de recueillir un certain montant tous les soirs ? Il est particulier de comparer que les femmes qui faisaient des danses non-contacts avant, faisaient plus d’argent que celles qui font des danses contacts d’aujourd’hui.

En ce qui a trait aux attitudes et aux comportements ainsi que dans le code vestimentaire des clients, on y remarque que ces derniers parcourent des distances incroyables (i.e. Boston, New York, Washington DC, Miami, etc…) sur la route afin de découvrir le night life de la ville de Montréal. Les clubs de danseuses sont des attractions incontournables pour ceux-ci. En réalité, lorsqu’ils sont dans le club, ils manquent de respect ou de tact. Par exemple, je me présente à un groupe de Boston. Ces derniers viennent célébrer le bachelor de leurs amis. Le bachelor a l’autorisation d’avoir des danses à 15$, mais les autres qui occupent l’espace dans le club s’abstiennent, sous prétexte, qu’ils sont extrêmement fatigués en raison de la distance parcourue pour venir à Montréal. J’ai un autre exemple qui me vient à l’esprit. Il arrive que les hommes se rencontrent dans les bars de danseuses pour célébrer leur amitié ou pour souligner l’anniversaire d’un d’entre eux. Lorsque j’arrive à leur table pour me présenter, ils me disent immédiatement : « excuse-nous nous parlons ou bien hein, ça fait longtemps que nous nous ne sommes pas parlés [rencontrés], peux-tu revenir dans dix minutes ? » De toute évidence, ça m’emmerde de voir qu’ils nous manquent de respect.

La fidélisation des clients s’est transformée, au fil des années et/ou des soirées, en termes de prostitution. Sans même se présenter ou nous séduire, aujourd’hui, les hommes ne se contentent plus des prestations des filles. À l’intérieur d’une brève conversation, il arrive fréquemment que les hommes nous demandent si nous serions prêtes à participer à des partys privés dans leur chambre d’hôtel. Peut-on dire que la normalisation de la pratique amène le consommateur à éliminer le plaisir du divertissement aux dépens de la consommation immédiate ? Sommes-nous dans une restauration rapide du corps de la femme? Autant on exigeait de la femme d’avoir une apparence sophistiquée (i.e. robes élégante jusqu’aux chevilles, bijoux, manucure et pédicure) et on exigeait aux hommes de se vêtir de vestons et cravates. Ce code vestimentaire amenait, selon moi, un prestige et un standard de fréquenter ce genre d’institutions érotiques. Aujourd’hui, les hommes sont habillés en jeans, t-shirt et casquette de baseball. Les femmes se contentent de faire des chirurgies esthétiques, sans prendre le temps de prendre soin de leurs corps (i.e. conditionnement physique et nutrition), du moins, c’est mon opinion de la nouvelle génération. Y a-t-il un laisser-aller de la part de tous en ce qui concerne la fierté de se réunir dans un bar de danseuses? Aujourd’hui, la raison principale de visiter les établissements érotiques se cristallise dans une banalisation. Les clubs de danseuses sont-ils devenus les tavernes de notre société moderne ?

17- Comment choisissez-vous le club où travailler, quels sont vos critères? Est-ce que toutes les danseuses ont accès à tous les clubs?

Je choisis le club où je veux travailler en lien avec l’achalandage, l’ambiance et la réputation du club.

18- Comment croyez-vous qu’un client moyen décrirait une danseuse parfaite?

Actuellement, le client moyen décrirait la danseuse parfaite comme étant prête à exhausser tous ses caprices, ses fantaisies, voire la sollicitation à la prostitution.

19- Comment croyez-vous qu’un patron moyen décrirait une danseuse parfaite?

Actuellement, un patron moyen décrirait une danseuse parfaite en termes qu’elle respecte son horaire, qu’elle paye son service bar, mais surtout, qu’elle n’ait jamais de problèmes auprès des clients.

20- Comment décririez-vous votre travail idéal en tant que danseuse?

Actuellement, la danseuse décrirait son travail idéal : d’avoir fait plus de 500$ par chaque quart de travail, d’avoir une prestation financière hebdomadaire offerte par les gérants des clubs, d’avoir des clients qui ont de l’argent à dépenser et qui ont envie d’avoir du plaisir avec les femmes, d’avoir des clients qui ont le potentiel d’assurer plus d’une heure et plus de travail aux femmes quand ils les choisissent, d’avoir des clients réguliers afin de combler les soirées où l’achalandage est moindre. Tels sont mes fantasmes en tant qu’effeuilleuse.

Arrière-plan

23- Que pensez-vous de l’expression « travail du sexe »?

Dans le cas qui nous occupe, les danseuses aux danses contacts exercent des relations sexuelles en termes de préliminaires (i.e. toucher des parties du corps intimes, les seins). Les consommateurs ont des relations sexuelles en termes de réactions physiques en touchant les parties intimes du corps de la femme. Premièrement, on associe le terme « travail », car il permet la reproduction des biens (i.e. matériels) et la production des services (i.e. services tertiaires). Deuxièmement, on confond le terme « travail », car il fournit un salaire. Troisièmement, dans son ensemble, le travail se caractérise par l’offre et la demande sur le marché du travail. En premier lieu, à ces énoncés, je répondrai que le terme « travail » porte à confusion, car il comprend le terme « service ». Certains diront que les femmes servent au divertissement dans l’industrie du sexe. Pour ce faire, les consommateurs donnent une rémunération. En second lieu, les danseuses nues doivent se soumettre à la pratique courante du bar service. Il y a bien longtemps que les femmes ne reçoivent plus de salaire des gérants des clubs. En plus de participer obligatoirement à cette pratique, on ne mentionne jamais à quel point les femmes doivent rester dans le club, même s’il y a aucun client qui s’y présente. Non seulement, elles paient pour exercer leur pratique, mais elles passent des longues heures avant de faire, parfois, 30$. Donc, le salaire n’est pas systématique et automatique, mais il varie selon l’achalandage et la générosité de clients. En troisième lieu, le terme « travail » se définit par le processus d’entrée et de sortie de l’emploi se faisant par le marché du travail. Pour une danseuse, il est facile d’entrer dans la pratique, mais énormément difficile d’en sortir. Admettons que nous parlons du marché du travail, pourriez-vous m’expliquer que danser dans les bars de danseuses nues mène directement à une discrimination, une exclusion et une stigmatisation à l’égard de la femme ? Une chance que ce n’est pas socialement accepté par la société civile ! Pouvons-nous arrêter dire que c’est un « travail comme les autres ». Je ne connais aucun autre travail qui implique une forme d’exploitation ou d’aliénation sexuelle auprès des femmes et des enfants. De plus, il y a aucun club de danseuses qui assure un programme d’aide aux employés et à leurs familles (P.A.E.) afin veiller à mon capital humain par les moyens suivants : interventions en situation de crise ou post-traumatique, coaching de gestion, soutien et accompagnement lors de problèmes de dépendances, accompagnement en cas de plaintes pour harcèlement, médiation et résolution de conflits, consolidation d’équipes, diagnostics organisationnels, conférences et formations sur mesure, etc…Voilà ce que je réponds à ceux et celles qui disent que c’est un travail.

24- Quel est le portrait que vous aimeriez laisser de vous et/ou de l’industrie du sexe avec cette entrevue?

Mon ambition ou mon rêve serait de contribuer aux sciences sociales en écrivant un mémoire ou un recueil sur mon expérience de 10 ans dans l’industrie du sexe.

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Les 15 mars se suivent… et ne se ressemblent pas toujours

by on Mar.16, 2015, under Général

En fait je dis ça, mais je ne parle pas pour tout le monde. Pour beaucoup de gens malheureusement, le 15 mars a encore fini avec un ticket (l’article 500.1) après une attente interminable dans la slush frette, pris en souricière par le SPVM équipé pour aller en guerre.

Récapitulons :

15mars 01

Je suis passée au rassemblement du COBP coin Berri/Ontario un peu avant 15h. Il y avait déjà au moins 8 fois le nombre de flics que de personnes qui voulaient se réunir pour dénoncer la brutalité policière : des poussins, des antiémeutes, des autos, des vans, allouette! Je suis restée quelques minutes puis j’ai pris le chemin de la manif féministe où j’avais décidé d’aller cette année. Surprise! Plein de gens contre la brutalité policière, mais une seule voiture de flic sur le côté de la Place Philip.

C’est n’importe quoi! Des gens au SPVM prennent des décisions complètement arbitraires et sont payé-e-s et récompensé-e-s pour ça (moi aussi des fois j’ai envie de crier « mes taxes! »). La manif féministe était affichée comme une « manif contre la brutalité policière » et n’a pas donné son trajet. Le rassemblement du COBP était affiché comme un rassemblement, donc n’a pas à donner son trajet. Que les flics prennent un plaisir dégoûtant à s’habiller en GI Joe pour aller réprimer du monde pas armé, pas équipé en nous faisant croire que c’est parce que « la manif n’a pas donné son itinéraire » pour finalement l’arrêter pour cause d’« action concertée destinée à entraver la circulation des véhicules routiers  » (Criss c’est 2 articles différents! Nous prenez-vous pour des caves?!) est encore une preuve à placer dans la grande liste de « les flics font ce qu’y veulent quand y veulent pis APRÈS y trouvent un article pour se justifier ».

15mars 02

15mars 03

Le rassemblement pour la manif féministe était agréable, plein de gens différents, de ballons et j’ai vu quelques enfants. J’ai aussi eu l’agréable surprise de voir une bannière abolitionniste (mais wtf la barre du A en Kalachnikov?!), ça m’a surpris parce qu’on n’entend pas les abolos dans la gauche radicale (gauche radicale ou juste gauche comme nous le faisaient remarquer deux filles de l’industrie il y a quelques mois). Juste avant le départ de la manif, un groupe qui s’était tenu en retrait du reste des gens a décidé de ne pas faire partie de la manifestation et a crié que c’était à cause de la bannière abolo. Je me suis fait le commentaire que je n’avais jamais assisté au départ de gens à cause de malaises causés par la position abolitionniste pendant que j’ai assisté à beaucoup de départs à cause de l’inverse. Pourtant gang il va bien falloir trouver un moyen de se parler un jour, ça serait dommage de laisser les lignes de la CLÉ et de Stella diriger nos réflexions féministes et nos choix d’alliances dans la gauche radicale.

15mars 04

Nous avons donc pris la rue! Oui oui! La rue!

Je souligne ici l’absurdité totale de vivre dans un « État de droit » qui se gargarise aux mots « droits fondamentaux » et « Constitution » et de se rendre compte que maintenant, à chaque fois que nous décidons de prendre la rue de la même manière que les manifs l’ont fait des années durant, on s’expose à de la violence et de la répression policière.

15mars 05

15mars 06

15mars 07

On a marché sur Ste-Catherine jusqu’à St-Laurent puis monté St-Laurent vers le Nord. C’était très libérateur de crier « FLICS, MACHISTES, ASSASSINS! » en marchant. La manif était de bonne humeur, les gens étaient content-e-s de marcher. Wow on a marché presque une heure! Les flics nous suivaient en auto mais j’en ai pas vu beaucoup… On était très très loin de la gang à l’allure paramilitaire que j’avais vue coin Berri/Ontario. La manif s’est tout de même fait disperser près de la rue Rachel… Comme quoi… Mais je suis quand même plus qu’heureuse d’avoir été capable de marcher dans une manif féministe pour le 15 mars!

De retour vers la maison, en apprenant que le rassemblement du COBP était sur Berri (à 50 mètres d’où je les avais vus quelques heures auparavant!), pris en souricière, j’ai décidé de passer par là. Il y avait quelques personnes et quelques bannières. Les gens, même les gens qui ne faisaient que passer, étaient complètement renversés quand on leur racontait pourquoi les flics bloquaient le carré Sherbrooke-Ontario-Berri au complet, avec un armement et un équipement qui leur serait plus utile pour combattre Daesh en Syrie, mais qu’illes utilisaient pourtant pour mater un rassemblement pacifique.

15mars 08

15mars 09

15mars 10

15mars 11

15mars 12

Il y a eu quelques discours et des bannières. On a rit des flics et on a essayé de faire du bruit pour s’encourager et encourager la gang en bas. À moment donné la flicaille s’est tannée de nous et nous a poussé-e-s sur le trottoir en nous disant de nous en aller.

On a changé de bord de rue.

15mars 13

Les pieds mouillés, j’ai fini par partir, non sans plusieurs pensées pour les gens dans la souricière.

J’espère que vous allez bien.

NO JUSTICE NO PEACE, SMASH THE POLICE!

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Des questions pertinentes pis moé

by on Sep.05, 2014, under Ce qui nous concerne, féminisme

smash patriarchy

J’aurais aimé dire quelque chose d’intelligent ou de profond en introduisant ici cet interview auquel j’ai répondu ailleurs.

Ça arrivera pas, mais je vous mets un vidéo de consolation.

Et j’en profite pour dire un gros merci à jesuisfeministe.com et à leur série Dialogues. Les questions m’ont beaucoup fait réfléchir et de m’arrêter comme ça, quelques heures, pour penser au féminisme et aux féministes au Québec ça m’a refait penser à la richesse de cette pensée politique et la force que je ressens à m’organiser avec d’autres féministes dans ce combat contre le patriarcat.

On lâche rien!

 

https://www.youtube.com/watch?v=o_w2ysN4A5o

 

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Le projet de loi C-36 ou la preuve que les Conservateurs ne peuvent être alliés de personne sauf de la droite catho

by on Juin.09, 2014, under féminisme, Général

vg arles

Je me considère abolitionniste, et pour les passionné-e-s de constitution : non, je ne crois pas que le projet de loi passerait en Cour suprême (mais bon…je ne suis ni juriste ni constitutionnaliste). Et parce que cette question devrait être de l’ordre du politique et non de l’interprétation des lois existantes, je crois que les abolitionnistes devraient continuer à faire pression partout pour exposer leurs témoignages et leur analyses. Les Conservateurs et la droite chrétienne ne sont pas nos allié-e-s… pour plein de raisons.

Tout d’abord une parenthèse… Bien sûr que j’ai un malaise à admettre que mon abolitionnisme doit, dans notre contexte, aussi passer des actions de l’État. Mais comme pour ma lutte pour l’éducation en particulier et pour une meilleure justice sociale en général, je reconnais que l’État s’accapare les ressources et la légitimité nécessaires, donc oui, comme pour de meilleurs logements sociaux, pour des soins de santé gratuits et/ou pour permettre à des personnes de l’industrie du sexe de s’en sortir si elles le veulent je pense que faire pression sur l’État peut être nécessaire.

Ceci étant dit… Le projet de loi C-36 me fait quand même froncer le nez. Je suis d’accord qu’il s’attaque aux clients et aux proxénètes et non plus aux personnes de l’industrie, et qu’il permet de penser la prostitution comme de l’exploitation. Mais les Conservateurs n’auront pas une médaille de ma part pour ne pas pénaliser les personnes prostituées, je trouve que c’est la moindre des choses. D’ailleurs, j’aime bien le préambule, ça utilise des mots comme exploitation, violence, dommages sociaux, et chosification du corps humain. Ça peut être bien dans un futur, ou dans un monde judiciaire, mais dans un espace temps plus concret ce n’est pas une garantie suffisante de changement social. Et c’est peut-être dû au milieu militant duquel je viens, mais les considérants ne font pas partie de la proposition, et bien que le préambule mette la table à une autre vision de la prostitution qu’un simple exercice marchand entre deux personnes libres et égales, il me semble que c’est les articles de loi qui sont importants et performatifs. Et même le sommaire est très clair : le projet de loi C-36 crée des infractions, plein d’infractions, et pas d’ouvertures.

À mon avis, l’esprit dans lequel est créé ce projet de loi, la partie sur les enfants, et la somme ridicule investie dans un flou « pour aider les femmes à sortir de la prostitution » sont des aspects inquiétants de ce nouveau tournant, et je suis déçue de voir que des camarades féministes abolitionnistes se contentent de voir les bon côté du C-36 en laissant de côté la construction moraliste et puritaine que ça exprime. Si je suis abolitionniste c’est parce que je vise à plus de justice sociale et d’égalité des chances, pas parce que je veux « sauver la dignité » de certaines personnes.

Le titre même me fait tiquer: « Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation. » La protection des collectivités ? Vraiment ? Keeping our streets and communities safe ? Les rues ? Pas les personnes ? Protéger la collectivité de la prostitution ? Comme d’une maladie ? Protect those who are most vulnerable by going after the perpetrators, the perverts, those who are consumers of this degrading practice. Les pervers ? Sérieux ? Les pervers ?! There will always be an inherent danger in this degrading activity. Euh quoi ?! Autant ça me fait vomir et hurler quand je vois des gens de l’industrie commander à d’autres qu’elles n’ont pas à se sentir dégradée, malheureuses ou violentées, autant je ne vais JAMAIS accepter qu’on oblige des gens qui se sentent bien à se sentir dégradés. De la même manière, tous les passages qui parlent d’endroits publics, d’interférence à la circulation, ou de vue du public, me lèvent le cœur. Il est question ici de cacher la prostitution, parce que dans la morale conservatrice il ne faut pas permettre plus d’égalité, mais simplement cacher ce qu’ils ne veulent pas voir. Vous êtes laids les Conservateurs !!!

Ce que je constate, c’est des interdictions, mais absolument rien pour accueillir les personnes – femmes ou hommes- qui voudront faire le choix de ne plus faire partie de l’industrie. Bien sûr que tout le monde est contre l’exploitation des gens, mais juste l’écrire ça ne donne rien si ce n’est pas accompagné par des mesures sociales (et de l’argent pour ces mesures), ainsi qu’un changement de mentalités pour ne plus permettre de stigmatiser, de rabaisser, et d’invisibiliser. Acquiescer au fait que la violence sertest intrinsèque à la prostitution c’est pas mal, mais ne rien faire, ne pas nommer, ne pas dénoncer cette violence économique, cette culture machiste, et cette libéralisation du marché des corps humains, qui permettent l’exploitation sexuelle c’est rester dans une logique moraliste qui n’est utile en rien à la « dignité » des gens de l’industrie.

Non les Conservateurs, vous n’êtes pas mes alliés.

Je trouve que le discours est important, non la fin ne justifie pas les moyens. Et ce qui me dérange aussi, au delà du flou artistique sur le comment cette loi va permettre une meilleure qualité de vie à des gens et une ouverture à plus de choix, c’est que ce discours moraliste invisibilise totalement la volonté de justice sociale du militantisme abolitionniste. En acceptant ce projet de loi sans aucune critique de fond car il rend enfin visibles les clients (enfin oui il était temps!), il nous fait nous allier avec des gens avec qui nous n’avons pas grand-chose en commun et mettre de côté des allié-e-s potentiel-le-s.

Les féministes abolitionnistes ne devraient pas avoir honte de dire haut et fort que la pensée qui sous-tend ce projet de loi n’est pas féministe. Les motivations du gouvernement sont minablement basées dans une droite chrétienne. La pensée qui sous-tend cette motivation est réactionnaire, moraliste et puritaine, et tout le monde s’en rend compte. Continuer à s’associer au projet de loi c-36 parce que certains aspects vont dans le sens qu’on aimerait c’est mettre de côté la base fondamentale sur laquelle notre idéal abolitionniste évolue : celui de la justice et de l’équité sociale. Je pense que le calcul politique de s’associer ou se dissocier totalement du projet de loi ne doit pas perdre de vue la possibilité que celui-ci ne finisse jamais par être une loi et que le gouvernement conservateur le sait. Platement ça pourrait être un calcul politique sachant que les élections arriveraient assez vite. Alors pourquoi dire qu’on s’associe à des idées conservatrices, qui ne deviendront très probablement pas des lois, quand nous voulons en fait quelque chose de différent des conservateurs. Quelque chose qui vient toucher d’autres acteurs et permet de nouer des solidarités.

D’un autre côté, je tiens à dire que je suis aussi déçue (et terrifiée) par le traitement médiatique que ce projet de loi a eu. Ainsi, Le Devoir, l’Actualité, et des groupes pro-travail du sexe, s’étendent sur la ridicule consultation en ligne que le gouvernement conservateur a commandée en disant que c’est là-dessus que celui-ci se base pour son projet de loi et ce nouveau vocabulaire. Heille gang ! Une méthodologie de marde ne vous donne aucun droit de faire preuve de mauvaise foi et de passer outre le fait que beaucoup de groupes de femmes, certaines qui se considèrent elles-même comme survivantes de l’industrie, sont contre la vision de la prostitution comme étant d’une activité économique banale entre deux adultes consentants. Que leurs témoignages, leurs voix, leurs expériences et leur désir de mobilisation sur cette question soient invisibilisés et amenuisés juste parce que le gouvernement conservateur est, lui, moraliste, puritain, et laid, je trouve ça cheap shot rare.

Les arguments que je lis depuis quelques jours me font sortir les yeux de la tête. Tout le monde acquiesce que les contacts avec les clients peuvent être très dangereux, même mortels. Il semble donc y avoir un consensus comme quoi les clients peuvent être dangereux, tellement dangereux que de base, on ne fait pas confiance à ceux qui veulent acheter du sexe dans la rue (l’argument de « il faut que la prostituée puisse jaser avec son client pour se rendre compte que ce n’est pas un psycho qui va la couper en morceaux » est celui qui revient le plus pour attaquer le fait qu’elles/ils ne pourront plus prendre du temps dans la rue parce que les conservateurs ne veulent pas que ça se voit). Mais on ne relie pas le fait que, collectivement, nous n’avons pas confiance en ces potentiels « acheteurs » et le fait que c’est un travail particulier qui amène des demandeurs particuliers ?! On s’attend à ce que cette activité fasse rencontrer des personnes dangereuses, mais on n’est pas capable de se dire que ces gens-là ont été socialisés de manière à permettre ça et qu’il y aurait donc sûrement des choses à changer dans notre manière de voir le corps des femmes, ou sur le droit d’accès marchand à celles-ci ?

Et le pire du pire: This sort of “screening,” the ruling said, might have “prevented one woman from jumping into Robert Pickton’s car. Ainsi, si une femme se fait tuer, c’est parce qu’elle n’a pas assez eu de temps pour « gager » son client ??? Ainsi, la responsabilité de sa sécurité est encore sur ses épaules à elle ? À la place de viser les gens, les comportements et les discours qui permettent la violence sur les personnes prostituées, on va leur dire d’être « plus prudentes » ?

C’est dégueulasse, et pourtant ce ne sont pas des Conservateurs qui disent ça.

C’est pour ça que je suis encore pleine d’espoir. Parce que des aspects fondamentaux qui relient les féministes abolitionnistes et les pro-travail du sexe c’est la sécurité des femmes et des hommes ainsi que leur libre choix de faire partie de l’industrie. Et ce n’est pas ça que les conservateurs visent, mais ce n’est pas non plus ce que nous allons accomplir si nous nous cachons la tête dans le sable par rapport aux risques inhérents à une mentalité qui banalise l’utilisation et la marchandisation des corps.

Les Conservateurs ne sont pas nos alliés. Nos allié-e-s sont du côté des gens et des groupes qui visent à transformer les mentalités et les pratiques sociales. Mes allié-e-s sont du côté des gens qui veulent plus d’ouvertures et de possibilités pour les gens qui sont dans la prostitution. Je veux des programmes sociaux, un salaire minimum plus élevé, de l’intégration à l’emploi, de l’éducation à tous les niveaux, des garderies gratuites avec des horaires différents, des centres de repos et d’écoute, ainsi que des rencontres selon les besoins avec d’autres qui ont décidé de sortir de l’industrie mais aussi avec celles/ceux qui décident d’y rester et de s’organiser de manière autonome. Et ça, ça sera seulement possible si on continue a tisser des solidarités avec des allié-e-s objectives oui, mais qui visent à une transformation sociale, pas à un camouflage esthétique.

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