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Lecture : M9A – Il ne reste plus que les monstres par Bruno Massé
by pwll on Juil.27, 2015, under Général
*Spoiler Alert : Pas de gros punch, mais des indices*
-Ah! Fit l’autre femme en grimaçant. Tu penses que ça se termine ce soir? Chérie ça fait juste commencer… tu m’entends? On sera toujours là quelque part, dans votre dos, dans l’ombre, quand vous dormez. Vous avez déjà enfermé ou fusillé les meilleurs d’entre nous, ceux et celles qui se montraient au grand jour, avec de grand idéaux – ceux qui avaient encore de l’espoir.
Elle dévisagea Amélie d’un rictus béant avant d’ajouter, lèvres luisantes de pus :
– Il ne reste plus que les monstres.
Ça faisait bien longtemps que je ne m’étais pas donné le temps de lire un roman et je suis très bien tombée avec le roman M9A Il ne reste plus que les monstres. Je me suis régalée.
Montréal, dans un futur dystopique. En tant que fan de l’univers cyberpunk, j’étais déjà charmée par le cadre du roman et évidement je n’ai pas été déçue : implants cybernétiques, augmentations génétiques, technologie présente dans tous les détails de la vie quotidienne, drogues sophistiquées, forces de l’ordre à la sauce Robocop. Le tout dans un contexte d’inégalités sociales indécentes et meurtrières. C’est dans le futur, mais un futur reconnaissable dans la continuité de la logique d’accumulation de la richesse dans les mains d’une minorité de privilégié-e-s, de destruction de l’environnement et de l’escalade due à l’obsession sécuritaire. C’est un Montréal dans un Québec qu’on est bien capable d’imaginer.
Dans ce Montréal, ceux et celles qui possèdent le pouvoir et la richesse évoluent dans l’Arcologie, monstrueuse pyramide de lumière trônant au centre-ville. L’Arcologie possède tout ce qui est possible de désirer et tout y est contrôlé; climat, loisirs, médias. Les gens qui y sont n’en sortent jamais. Pourquoi sortir de toute façon? : « Leur monde, même s’il est confiné aux frontières de la pyramide, est un paradis ». Sans faire partie de cette élite, d’autres privilégié-e-s habitent dans les banlieues fortifiées, mais la majorité de la population s’entasse et survit dans des ghettos aux conditions de vie dangereuses.
Nous suivons trois personnages : William Saint-Onge, puissant possédant, à la tête de l’Arcologie, il possède sa propre armée privée et est un psychopate qui fait manger la Première ministre dans sa main. Sergente Amélie Lacroix, vétérante de l’armée, excellente flic, habitant dans la banlieue fortifiée de Beloeil, vivant des problèmes psychologiques que nous devinons dûs à ses expériences de violence armée, dans laquelle elle excelle pourtant. Et finalement Hans, anarchiste. Lui et ses camarades sont désespéré-e-s et acculé-e-s au pied du mur par leurs conditions de vie et la répression qu’illes vivent dans le ghetto de La Pointe. La trame narrative s’entrelace par des chapitres très courts où nous voyons évoluer chacun de ces personnages en rotation, jusqu’au dénouement final.
Le rythme du livre est très rapide. Pas de longueurs, pas de temps pour réfléchir, pas le temps pour réellement avoir des personnages préféré-e-s. Évidement, nous avons une équipe préférée et nous voulons qu’elle gagne, même si ce qu’elle fait n’est pas très clair tout au long de la lecture. Plutôt que de nous confondre par les manques d’information sur les personnages où les actions qu’illes posent, ces manques font plutôt deviner les contour d’une gigantesque trame de fond politico-historique où des événements traumatisants pour les personnages font partie de drames à grande échelle sur le territoire. Ça rend très curieux-se et ça nous fait deviner le contexte de fond pendant que notre attention est plutôt fixée sur les actions immédiate des personnages.
Les mystères sont entretenus jusqu’à la fin et les rebondissements sont bien réussis. L’espèce d’étrange course à la montre entre les personnages nous garde en suspend jusqu’à la fin, ce qui m’a fait pardonner une partie du dénouement final que j’ai trouvé un peu cheesy.
C’est un excellent roman d’aventure cyberpunk, dark à souhait. Dans cette ombre d’un futur qui sera peut-être, on oublie le quotidien le temps de quelques heures en espérant que les enfoiré-e-s ne gagnent pas cette fois-ci. Juste pour faire changement de la vraie vie…
M9A Il ne reste que les monstres
Bruno Massé
Éditions Sabotart, 2015, 192p.
Cher Charles et « violence » politique – (1)
by Umzidiu Meiktok on Oct.24, 2014, under anarchie
I – Télé intérieure et jouissance
« Il y avait un temps où les fleurs avaient le droit d’éclore
Les pétales jaunes et rouges se tendaient comme des voiles
Partout ils claquaient dans une lumière vive et
Leurs couleurs détonnaient dans la grisaille
Boum.
Toi tu as fait pousser de la dent-de-lion
Aux reflets glacés et à la corolle pointue
Devant un Starbucks où tout le monde va
Délicatement tu as planté un tuteur fait avec
Un manche de pancarte
Il tenait enfoncé profond dans celui qui avait
Voulu désherber […]»
-La série des poèmes violents
Introduction
Condamner ce que les médias et gouvernements décrivent comme de la violence politique se fait difficilement sans adopter une position privilégiée. Car quand on participe à un débat en dénonçant un comportement décrit par la loi comme criminel et illégal, on ne peut faire face qu’à un parti affaibli et marginalisé, de par sa condition justement potentiellement judiciarisable. Un parti qu’on peut légitimement suspecter d’avoir peur d’exprimer le fond de sa pensée, en raison de la répression brutale que cette libre-expression peut provoquer. Avons-nous réellement besoin de le spécifier? Tous les médias, tous les individus ne peuvent se permettre de publier un texte réellement subversif. Dans un débat sur des actes illégaux, il y a donc un parti qui débute avec un réel avantage, et il serait temps de le reconnaître. Les dés sont pipés en faveur des gens qui condamnent la violence.
C’est dans ce contexte qu’a été publiée la BD Cher Charles. Elle défend ouvertement l’action directe, le vandalisme, la « joie armée ». Évidemment, tout le monde n’a pas apprécié le ton presque naïf de l’oeuvre vis-à-vis de la violence, dont la définition serait d’ailleurs à revoir en profondeur. Je fais donc état ici de mes propres remarques sur le sujet débattu.
Diversité des tactiques, perturbation de la routine
Parmi les postures militantes les plus largement partagées depuis plus d’une décennie, il y a le respect de la diversité des tactiques. Cela signifie grossièrement que l’on doit accepter, autant que possible, le mode de contestation choisi par une mosaïque d’activistes. Évidemment, je suis pour. La diversité des tactiques ne peut pas tout justifier, mais il me semble qu’une solidarité minimale est requise.
Je suis également en faveur des actions qui perturbent la routine. Je ne suis pas de ceux et celles qui cherchent nécessairement des perturbations économiques de grande ampleur, tout simplement parce que je n’y crois pas beaucoup. Cela dit, si ces mêmes actions visant la perte de capital et le ralentissement de la production troublent par le fait même le train-train quotidien du bétail humain, cela me rend heureux.
On parle souvent de la prison intérieure, qui survit dans notre psyché et nous enferme dans une autodiscipline grillagée. Elle nous pousse à ne jamais dévier de notre chemin, à toujours se surveiller, à avoir la trouille de sortir. On devrait tout autant parler de télé intérieure. Celle qui nous pousse à lever le son de nos outils de divertissement mentaux, à considérer tout stimulus extérieur de la même manière qu’on perçoit l’achalant bruit du frigidaire, ou la vision d’une mouche qui se pose sans arrêt sur l’écran pendant une game de hockey. Avec une immobile et silencieuse irritation.
Perturber constamment cette contemplation béate du spectacle me semble être de première nécessité. C’est une des seules manières d’amener les autres à se déconnecter. Et plus la perturbation est audacieuse, brutale, théâtrale, bruyante, plus les excuses pour retard au travail ou à l’école seront bonnes. Et au final, du moment qu’on décroche un peu, on peut constater qu’arriver à l’heure au travail n’est en fait pas si important. Ni même arriver du tout, d’ailleurs.
Casser une vitrine d’une entreprise capitaliste dans un quartier commercial, mettre le feu aux autopatrouilles et danser autour, c’est une manière improvisée mais très efficace de perturber le quotidien. Elle ne me semble ni meilleure ni pire, a priori, que de participer à une action non-violente, en faisant une chaîne humaine devant un Wal-Mart ou en gueulant l’hymne national du Djibouti pendant une conférence de presse de Steven Blaney. Seulement, cette manière de faire frappe mieux l’imaginaire, et avec elle l’univers des possibles explose. Non seulement l’exploiteur est humilié – c’est bien ce que c’est, une humiliation – mais les normes, qui servent de barreaux à notre prison intérieure, sont (du moins temporairement) complètement balayées. C’est ce qui s’est passé au G20 de Toronto, en 2010. Plusieurs l’ont constaté: après le passage des Black Blocs, la rue Yonge s’est transformée en foire carnavalesque. Les habitant-e-s et curieux/euses ont réoccupé leurs rues zébrées par les éclats de vitrines fracassées et les voitures de flics abandonnées. C’était l’euphorie. Les témoins n’en revenaient pas.
De la même manière, la manif du 22 mai 2012 a créé un chaos monumental, résultat de vitrines de banques pétées mêlées à la marche désordonnée et festive de toute une population à l’assaut de normes tyranniques. Au minimum deux personnes ont en outre décidé de se mettre totalement à poil (pas à moitié comme dans les manufestations), défiant ainsi le Code Criminel et commettant, pourquoi pas, une sorte d’acte violent contre la décence.
La magie n’existe pas. L’illusion: oui. On ne peut pas faire sortir une révolution d’un chapeau, par l’action radicale ou modérée. Mais on peut orchestrer le lever du rideau. Si nos chaînes sont imaginaires et volontaires, il faut briser tout ce qui fait mur à notre imagination. Parfois, ça passe par le fait de darder le dragon impuissant avec un bâton pour montrer à tout le monde qu’il n’est pas aussi dangereux qu’on le croit.
L’intérêt à long terme
L’intensité de ces moments de chaos – et parfois réellement d’anarchie[1] – est difficile à déterminer, principalement en raison de l’impossibilité de mesurer l’expérience individuelle de chaque participant-e et de chaque témoin. Il est difficile également d’en évaluer les conséquences sur les moyen et long termes, mais elles ne sont peut-être pas celles que l’on croit, ni aussi importantes qu’on le dit. Il y a quelques années, j’ai demandé à I… ce qu’il avait ressenti en cassant des vitres au G20. Il m’a répondu: « je me suis senti vivre, pour la première fois. » Ces actions ou manifestations n’ont pas besoin d’avoir d’effets à long terme, elles se suffisent à elles-mêmes : elles ont eu lieu, et c’est tout. C’est d’ailleurs à peu près l’une des positions défendues dans Cher Charles. Sans être l’orgasme perpétuel, elles sont comme l’orgasme multiple dans une société où toute jouissance serait proscrite. Elles ne durent pas éternellement mais laissent un souvenir délicieux et donnent envie de recommencer.
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[1] Et non, je ne pense pas que l’anarchie soit nécessairement caractérisée par « l’Ordre ». Dans ce cas-ci, la solidarité émeutière suffit tout à fait.