La Tomate noire

Tag: tactiques

Idées fausses sur l’action non-violente

by on Mar.28, 2015, under Débats, Général

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J’entends beaucoup de choses sur la violence, la non-violence, la possibilité d’amener les flics « de notre côté » ou les signes de peace dans les manifs. Je ne suis pas une experte de la question, mais je constate qu’il y a une masse de personnes qui ont envie de penser à ces enjeux. De la même manière, je pense que c’est très contre-productif de lever le nez sur des idées que les gens expriment juste parce qu’ils disent « non-violence ». J’ai donc pris la liberté de traduire et d’adapter une partie d’un livre appellé Unarmed Insurrections. People Power Movements in Nondemocracies pour élargir la discussion.

Ce texte ne s’adresse ni à des gens qui trouvent que c’est une bonne idée de faire des câlins à des flics et qui veulent les convaincre « d’être de notre côté », ni à des gens qui ne sont pas capable de voir que les tactiques utilisées par nos mouvements sont majoritairement non-violentes (grèves générales, blocages, occupations…), mais s’adresse plutôt à des gens qui constatent que la diversité des tactiques est essentielle à un mouvement social qui se veut large, inclusif et qui sait que tout mouvement social progressif et anti-oppressif est en opposition avec l’ordre établi.

Source : Kurt Schock, Unarmed Insurrections. People Power Movements in Nondemocracies, University of Minnesota Press, Minneapolis, 2005, p. 6-12.

Voici 19 des idées fausses les plus communes à propos de la non-violence :

1- L’action non-violente n’est pas l’inaction (même si ça peut inclure le refus de porter une action qui est attendue par les oppresseurs), ce n’est pas de la soumission, ce n’est pas l’évitement du conflit et ce n’est pas se résigner de manière passive. Dans les faits, l’action non-violente est un moyen direct pour poursuivre le conflit avec les opposants et est un rejet sans équivoque de l’inaction, de la soumission et de la passivité.

2- Tout ce qui est non-violent n’est pas considéré comme de l’action non-violente. L’action non-violente réfère à des actions spécifiques qui sont risquées et impliquent de la pression non-violente ou des moyens de coercition non-violents dans des interactions conflictuelles entre deux groupes opposés.

3- L’action non-violente n’est pas limitée à des activités politiques sanctionnées par l’État. L’action non-violente peut-être légale ou illégale. La désobéissance civile est une violation délibérée de la loi dans un but social ou politique et est un mode d’action non-violent fondamental.

4- L’action non-violente n’est pas composé d’actions politiques régulées ou institutionnalisées comme écrire des lettres, voter ou faire du lobbying. Contrairement au cas des gens qui s’engagent dans des actions politiques régulées et institutionnalisées, il y a toujours un élément de risque pour les gens qui choisissent l’action non-violente car elle défie les autorités.

5- L’action non-violente n’est pas une forme de négociation ou de compromis. La négociation et le compromis peuvent ou non accompagner les conflits poursuivis par l’action non-violente comme ils peuvent ou non accompagner l’action violente. En d’autres mots, l’action non-violente est un moyen de poursuivre un conflit et doit être distingué d’un moyen de résolution du conflit.

6- L’action non-violente ne dépend pas de l’autorité morale, de la honte des opposants, ou de la conversion de leur point de vue pour promouvoir un changement politique. Si la conversion du point de vue des opposants peut des fois arriver, le plus souvent l’action non-violente promeut le changement politique au travers la coercicion non-violente qui force l’opposant à faire des changements en lui sapant son pouvoir. Bien sûr, la pression morale peut être mobilisée, mais en l’absence de pressions politiques et économique il est improbable qu’un changement se produise.

7- Les gens qui utilisent l’action non-violente ne s’attendent pas à ce que l’État ne réagisse pas avec violence. La réaction violente du gouvernement n’est pas une indication de l’échec de l’action non-violente. En fait, les gouvernements répondent avec violence précisément parce que l’action non-violente est une menace pour leur pouvoir. Éliminer l’utilisation de l’action non-violente parce que des gens meurent ou sont blessés est tout aussi illogique que d’éliminer l’utilisation de résistance armée parce que des gens meurent et sont blessés. Lutte non-violente ne veut pas dire une absence de violence.

8- Ceci étant dit, la souffrance n’est pas une part essentielle de la résistance non-violente. La vision de la souffrance comme étant centrale à la résistance non-violente est basée sur la fausse assomption que l’action non-violente est de la résistance passive et qu’elle essaie de produire du changement en essayant de convaincre les oppresseurs. L’action non-violente est beaucoup plus sophistiquée que la fausse conception qui illustre l’image des activistes acceptant la violence physique des agents de leurs oppresseurs dans l’espoir que leur souffrance va convertir les opposants ou gagner la sympathie publique.

9- L’action non-violente n’est pas une méthode qui s’utilise seulement en dernier recourt, quand les moyens violents ne sont pas disponibles. Comme l’action violente peut être utilisée même quand il n’y a pas d’armes disponibles, l’action non-violente peut aussi être utilisée à la place de méthodes violentes.

10- L’action non-violente n’est pas une méthode d’action politique « bourgeoise » ou « classe moyenne ». Des actions non-violentes ont été, et peuvent être, mises en œuvre par toutes les classes, des esclaves jusqu’aux classes élevées. Pour des raisons évidentes, elles sont utilisées par les gens qui ont le moins de pouvoir, des gens qui n’ont pas accès au pouvoir, plus fréquemment que par des gens en position de pouvoir.

11- L’usage de l’action non-violente n’est pas limitée à la poursuites de but « réformistes » ou « modérés ». Il peut également être utilisé pour atteindre des buts « radicaux ». Par exemple, Anders Corr a documenté l’usage étendu de la non-violence dans les luttes pour la terre et le logement à travers le monde. Les défis au relations découlant de la propriété privée peuvent difficilement être considérées réformistes, modérés ou bourgeoises. De la même manière, le mouvement féministe a défié de manière radicale les rapports patriarcaux presque entièrement par des méthodes qui n’incluaient pas la violence. Les défis à l’ordre établi peuvent être radicaux et non-violents.

12- Si par sa nature même l’action non-violente requiert de la patience, ça ne veut pas dire que la production de changement politique sera lente en soi comparé à l’action violente. Des luttes violentes qui ont servi de modèle pour des générations de révolutionnaires ont pu prendre des décennies pour réussir.

13- Les moyens de l’action non-violente ne sont pas structurellement déterminés. Il y a des relations dans le temps et l’espace entre les contextes politiques et l’usage d’une stratégie, mais les méthodes utilisées pour défier des rapports politiques oppressifs ne sont pas déterminés par le contexte politique. Des processus d’apprentissage, de diffusion et de changements sociaux peuvent conduire à l’instauration d’actions non-violentes dans des contextes ou situations qui ont historiquement été caractérisés par des conflits violents. Certainement, le contexte des conflits et les enjeux influencent les stratégies de résistance, mais pas d’une manière déterministe.

14- L’efficacité de l’action non-violente n’est pas liée à l’idéologie des oppresseurs. Les croyances des oppresseurs peuvent influencer les dynamiques du conflit, mais elles ne sont pas uniquement ce qui détermine les aboutissants des luttes menées au travers de méthodes d’actions non-violentes.

15- De manière similaire, l’efficacité de l’action non-violente n’est pas en fonction de la répression des oppresseurs. Des campagnes d’action non-violente ont été efficaces dans des contextes répressifs brutaux et inefficaces dans des contexte de démocratie plus ouverte. La répression, bien sûr, contraint l’habilité à s’organiser, à communiquer, à mobiliser et à s’engager dans l’action collective et élargit les risques à participer à des actions collectives. Néanmoins, la répression est seulement un des facteurs qui influencent les trajectoires des luttes basées sur l’action non-violente.

16- La mobilisation de masse de gens dans des campagnes d’actions non-violentes dans des contextes dit «non-démocratiques » ne dépend pas de l’obligation qu’ont les gens à y participer. Si des campagnes d’actions non-violentes ont inclus la coercition pour mobiliser, la coercition n’est pas une caractéristique des mobilisations de masse. Des exemples démontrent que quand les communautés étaient vivement divisées ou que les campagnes n’étaient pas assez publicisées la coercition avait plus de risques d’être utilisé. Au contraire, quand des solidarités étaient construites entre les communautés et que les gens étaient bien au courant des campagnes, la coercition avait le moins de chance d’arriver.

17- Contrairement aux idées populaires et universitaires, les personnes qui décident de s’engager dans l’action non-violente sont rarement des pacifistes. Les personnes qui s’engagent dans l’action non-violente ont différentes idées, dont le pacifisme peut faire partie, mais le pacifisme n’est pas ce qui ressort chez les gens qui font le choix de l’action non-violente.

18- De manière similaire, les gens qui s’engagent dans l’action non-violente n’ont pas à savoir que c’est ce qu’ils font. Ainsi, l’implantation de méthodes non-violentes ne sont pas nécessairement reconnues comme « non-violentes » par les gens qui les pratiquent et ces personnes n’ont certainement pas à adhérer à une théorie de la non-violence ou à un code moral pour réussir et diffuser leurs stratégies.

19- Les campagnes d’actions non-violentes n’ont pas besoin d’un leader charismatique pour réussir même si certaines en ont eu. En fait, elles n’ont pas besoin du tout de leaders.

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Une autre manif que celle du COBP pour le 15 mars? Quelle bonne idée!

by on Fév.26, 2015, under Général

15 mars 2015

On veut toute la gang être dans la rue pour la Journée contre la brutalité policière. On veut, mais ça devient de moins en moins motivant à chaque année. S’il y a 10 ans c’était pas mal risqué (de se faire blesser ou arrêter), je trouve que c’est devenu carrément impossible (de ne pas se faire blesser ou arrêter) de manifester avec la manif du COBP le 15 mars. Y’en a à qui ça dérange moins, qui peuvent et qui veulent prendre un niveau plus élevé de risques, mais y’en a d’autres qui ne peuvent pas ou qui ne le veulent pas. Les personnes sans citoyenneté, les parents avec ou sans leurs enfants, les gens avec des handicaps, les gens qui ont vécu des traumatismes à cause de la brutalité policière, ou juste les gens qui ne le sentent pas; il y a toutes sorte de raisons pour ne pas vouloir s’exposer à un niveau élevé de risques mais de vouloir manifester quand même.

Il me semble que le 15 mars est une journée assez consensuelle pour qu’on puisse facilement mettre en pratique la diversité des tactiques. Diviser la ville par nos différentes actions directes en permettant à des gens différents de se joindre à des actions à leur goût ça me semble possible à une date où tout les militant-e-s veulent exposer la même chose : que la police est une machine d’une extrême violence (qui tue!!!) qui carbure à l’arbitraire et aux préjugés dans l’impunité la plus totale. En fait, d’un point de vue tactique il faudrait multiplier les actions. Dans un monde parallèle, j’imagine des manifs, des manifs différentes avec une différente énergie et des gens différents, mais aussi des vigiles à la mémoire des victimes, des activités d’éducation populaire et pourquoi pas des actions artistiques? Moi un 15 mars avec une gang qui peint une fresque sur une longueur de rue, pendant que la manif du COBP est ailleurs, que la manif féministe est plus loin, que le rassemblement familial est là-bas et la vigile en souvenir des disparu-e-s s’installe ici, je trouverais ça pas mal génial.

Le choix d’une manif féministe mixte, née d’une volonté d’un « safer space » sans agresseur-e-s et d’une ambiance familiale me semble très intéressante. Les discussions sur les agressions dans les cercles militants prennent, heureusement, de plus en plus de place et il me semble sain de commencer à ouvrir ce genre d’espaces dans nos manifs et de l’écrire clairement dans l’invitation. La volonté d’en faire un événement familial me semble aussi intéressante et nécessaire. Je pense que c’est important que tout le monde puisse se réapproprier cette date et une ouverture envers les familles me semble être essentielle à cette inclusivité féministe. Aussi, les femmes subissent une brutalité spécifique quand elles subissent de la brutalité policière et attirer l’attention là-dessus me semble essentiel :

La police est une profession marquée par une forte misogynie, et par un fort machisme ; les policiers sont en général sexistes à l’endroit de leurs collègues féminins, ou des femmes en général. Les policiers peuvent aussi être violents contre les femmes. En fait, leur formation et les outils dont ils disposent (ressources d’identification, armes, etc.) les transforment en redoutables prédateurs. (Francis Dupuis-Déri, La violence des policiers contre des femmes, pour le COBP)

Justement, je viens de relire le petit document du COBP appelé La violence des policiers contre des femmes qui est toujours d’actualité et que je vous conseille vivement de lire, de relire et de diffuser :

Cette recherche a pour objectif de documenter et d’analyser quelques formes de violences policières contre des femmes, principalement au Québec, et de déconstruire le mythe qui présente les policiers comme de généreux protecteurs de la veuve et de l’orphelin. Nous avons documenté des cas de violence de policiers contre des policières, considérant que les services de police sont empreints d’une ambiance fortement machiste et misogyne; des cas de négligence lors d’interventions en matière de violence conjugale ; des cas de violence de policiers contre des femmes qu’ils ne connaissaient pas; des cas de violence de policiers contre leur conjointe et ex-conjointe ; des cas de violence policière contre des militantes de gauche et d’extrême gauche.

En fait, je ne vois qu’un seul problème à la multiplication des actions pour le 15 mars : pour certaines personnes ça va être plus dur de décider quoi faire… Je pense qu’on peut vivre avec ça comme inconvénient 😉

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Lire Malatesta. Pensées sur les tactiques, la violence et la révolution – Reading Malatesta. Thoughts on tactics, violence and revolution

by on Déc.09, 2014, under anarchie

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Par: Sebastian Kalicha
Traduction: pwll

-English version below-

Errico Malatesta (1853 – 1932) est un de ces anarchistes du 19e/20e siècle que nous lisons en constatant que les problèmes auxquels les anarchistes font face aujourd’hui n’ont pas vraiment changés depuis cette époque. Malatesta discutait de problèmes et d’idées qui sont vraiment pertinentes pour le mouvement anarchiste contemporain, comme les questions de tactiques et d’organisation. Ainsi, il ne devrait pas être traité comme un “vieux barbu” sans pertinence (que quelques anarchistes contemporains déclarent sans pertinence dans une tentative désastreuse de mettre de côté leur propre histoire), mais devrait être lu et discuté de manière critique.

L’anarchisme de Malatesta peut grossièrement être décrit comme situé quelque part entre le collectivisme de Bakounine et l’approche communiste de Kropotkine. Il était situé tant dans les tendances anarchistes “classiques”, qu’entre-elles. Malatesta rejetait l’anarchisme individualiste, hésitait à clairement s’aligner avec l’anarcho-syndicalisme – affirmant que les syndicats avaient toujours tendance à être réformistes, pas révolutionnaires – et a eu sa part de problèmes avec des parties du courant anarcho-communiste – notamment les plateformistes, dont il pensait que la structure organisationnelle était trop rigide. Il voulait un mouvement anarchiste qui soit un mouvement de la classe ouvrière, un mouvement de masse. Ni crypto-élitiste, de culture clandestine (comme Bakounine l’envisageait des fois ), ni une potentiellement condescendante “avant-garde”.

Malatesta, la guerre et le “Ravacholisme”

Un thème aussi historiquement important que pertinent aujourd’hui est l’idée de Malatesta par rapport aux tactiques (i.e. la question de la violence). Encore ici, nous retrouvons Malatesta entre différentes approches, sans spécifiquement en adopter une. Avant de parler de tactiques, de révolution, de violence et de non-violence, il doit être mentionné que Malatesta est un des anarchistes qui, de manière passionnée et publique, a confronté le (petit) groupe d’anarchistes qui supporta l’Entente durant la Première Guerre mondiale. Le fameux Manifeste des seize, pro-guerre et signé par des anarchistes comme Peter Kropotkine et Jean Grave, qui a mené à un désaccord dans le mouvement anarchiste avec des gens comme Emma Goldman, Rudolf Rocker, Ferdinand Domela Nieuwenhuis, Lilian Wolfe et Alexander Berkman qui argumentaient contre les “anarchistes pro-guerre”.

Malatesta était aussi en complète opposition avec la dite “propagande par le fait”, i.e., contre les anarchistes qui pensaient gagner les masses à des causes révolutionnaires par des assassinats, des attentats et des bombes qui viseraient les représentants haïs du système oppressif. À ce moment, Malatesta connaissait déjà la toxicité de ces tactiques pour le mouvement anarchiste et à quel point cela était contre-productif pour tout ce pourquoi les anarchistes luttent. Il a une fois décrit comme un de ses meilleurs souvenir l’échec du phénomène anarchiste de courte durée qu’il appelait le “Ravacholisme”.

Malatesta et la violence

Malatesta avait des idées contradictoires en ce qui touchait à la violence et le rôle qu’elle devait jouer dans l’action anarchiste, ou idéalement dans la révolution. D’un côté, il était très clair dans son avertissement aux anarchistes sur les conséquences destructives que la violence peut avoir – et a toujours eu – et à quel point cela est incompatible avec l’idéal anarchiste. D’un autre côté, il ne préconisait rien de moins que la lutte armée comme moyen d’une révolution victorieuse. Il voulait armer la classe ouvrière en entier (en comparaison avec un petit groupe pratiquant la guérilla armée), afin que les travailleurs-euses puissent renverser la bourgeoisie par la force. C’est paradoxal: d’un côté Malatesta sonne comme un fidèle anarcho-pacifiste non violent, qui est capable d’expliquer de manière très convaincante pourquoi la violence est un outil oppressif et réactionnaire qui trahit et travaille contre le but anarchiste d’une société libre, progressiste et non-répressive; de l’autre côté, sa conclusion n’est pas de renoncer à la violence comme un moyen révolutionnaire, mais de préconiser l’inverse: la lutte armée. Il n’est jamais venu à la même conclusion que l’anarchiste néerlandais Bart de Ligt qui disait: plus il y a de violence, moins il y a de révolution.

Les moyens et les fins

Nous discutons ici du principe central à la théorie et la praxis anarchiste: la relation entre les fins et les moyens. Les anarchistes ont toujours su que les moyens déterminent et définissent les fins. Si les moyens sont répressifs, violents et réactionnaires, la fin ne sera rien d’autre. Les anarchistes, incluant Malatesta, prennent cette règle très au sérieux, notamment dans leur querelle avec les marxistes; ils savent bien que l’État ne va pas s’évanouir tranquillement, mais qu’il doit être renversé complètement immédiatement, sinon il ne va jamais disparaître. Il savent que si les révolutionnaires utilisaient des moyens répressifs comme l’État, la révolution ne va pas finir en une société non répressive, libre et sans État. Il est intéressant de noter que la question de la violence a toujours été la grosse “exception” dans cette relation entre moyens et fins. Malatesta a très clairement exprimé que le but pour lequel il luttait était celui d’une société en paix, non violente et libre. Il n’y a pas de place pour la violence et la coercition (qui vont inévitablement causer d’autres violences et actes coercitifs) dans l’anarchie. Tout de même, Malatesta pensait aussi que ce but de paix et de non-violence pouvait être atteint au travers les moyens les plus violents et coercitifs possibles: la lutte armée, la guerre civile, la révolution militarisée. Simone Weil a dit que “la guerre révolutionnaire est la mort des révolutions”. Pendant que les anarchistes ont toujours été très prudent-e-s dans leur poursuite de la relation entre moyens et fins dans tous les aspects de leurs politiques, encore aujourd’hui plusieurs d’entre eux/elles l’ignorent quand arrive la question de la violence.

Comme Malatesta, les anarchistes de notre temps ne semblent pas s’attarder à une analyse anarchiste et une critique de la violence. Les anarchistes ont toujours critiqué la “violence organisée de l’État”, mais au lieu de critiquer et de rejeter la violence comme étant un outil fondamentalement étatiste et oppressif, ils ont souvent fait une chose troublante: légitimer leur propre usage de la violence en référant à la violence de l’État. En d’autres mots, ils utilisent l’État comme une excuse pour leurs propres actions. Essentiellement, ils et elles laissent l’État déterminer leurs actions quand ils disent: “l’État est violent, nous devons/pouvons/devrions donc répondre de la même manière.” La violence est le seul sujet où les anarchistes utilisent de manière répétitive et ouverte les comportements de l’État comme une justification et un point de référence pour leur propre praxis. Ce n’est plus l’anarchie et les principes anarchistes qui déterminent les moyens, mais l’État! Il est presque comique de constater que ceci ne cause pas plus de débats dans un mouvement anarchiste qui souligne légitimement l’importance de politiques préfiguratives. Certain/es oublient souvent que si, comme anarchistes, nous voulons abolir l’État, c’est justement parce qu’il est coercitif, répressif et, oui, violent! La lutte contre la violence, peu importe sa forme (structurelle et directe/physique) et par qui elle est utilisé, est un des fondements de ce que les anarchistes combattent avec beaucoup de passion- la coercition, la domination, la hiérarchie, les inégalités. Donc, une précondition pour une critique fondamentale de la domination et des inégalités doit aussi être une critique radicale de la violence. Une critique anarchiste de la domination semble incomplète sans une telle critique – elles sont reliées.

L’anarchiste britannique Nicolas Walter a dit que la violence (tout comme l’État!) n’est pas une force neutre qui fait ce qui est bon parce qu’elle est entre de bonnes mains. Ceci est vrai même si nous reconnaissons qu’il y a une différence entre la violence de l’oppresseur et celle de l’oppressé/e. Comme dans le cas de Malatesta, il semble y avoir un manque de compréhension des alternatives aux moyens de lutte violents dans l’anarchisme contemporain. Malatesta a écrit que renoncer à la violence veut dire renoncer à l’activité révolutionnaire. C’était faux au 19e/20e siècle (des groupes et des individus anarchistes non violent révolutionnaires existaient en même temps que Malatesta) comme c’est faux aujourd’hui. L’action non violente n’est ni réformiste ni passive (même si elle peut l’être); ce n’est pas seulement une praxis qui arrête avant d’user de violence contre les humains. C’est un large et complet répertoire de modes d’actions (directes) subversifs, ancrés dans une riche histoire, qui peuvent être utilisés. Ainsi, dans l’histoire du mouvement anarchiste, il est possible de trouver des groupes et des individus qui ont pris la relation entre les moyens et les fins de manière sérieuse, également dans le cas de la violence. Ils/elles y ont vu la relation entre violence et domination, et donc rejeté les moyens violents hors de leurs principes anarchistes – préconisant plutôt une révolution non-violente

“Quel sera le résultat de la Révolution?”

Malatesta n’était pas un révolutionnaire non-violent, même s’il semble des fois surprenant qu’il ne soit pas arrivé à cette conclusion quand nous lisons des parties de son travail où il apparaît comme un critique anarchiste, passionné et avisé en ce qui concerne les moyens violents:

“Violence, i.e., physical force, used to another’s hurt, which is the most brutal form the struggle between men can assume, is eminently corrupting. It tends, by its very nature, to suffocate the best sentiments of man, and to develop all the anti-social qualities: ferocity, hatred, revenge, the spirit of domination and tyranny, contempt of the weak, servility towards the strong. And this harmful tendency arises also when violence is used for a good end. […] How many men who enter on a political struggle inspired with the love of humanity, of liberty, and of toleration, end by becoming cruel and inexorable proscribers. How many sects have started with the idea of doing a work of justice in punishing some oppressor whom official « justice » could not or would not strike, have ended by becoming the instruments of private vengeance and base cupidity. And the Anarchists who rebel against every sort of oppression and struggle for the integral liberty of each and who ought thus to shrink instinctively from all acts of violence which cease to be mere resistance to oppression and become oppressive in their turn also are liable to fall into the abyss of brutal force. […] Thus the danger of being corrupted by the use of violence, and of despising the people, and becoming cruel as well as fanatical persecutors, exists for all. And if in the coming revolution this moral degradation of the Anarchists were to prevail on a large scale, what would become of Anarchist ideas? And what would be the outcome of the Revolution?” (1)

Pour être clair: il ne s’agit pas ici d’avoir “tort” ou “raison”, d’avoir la “bonne” interprétation de l’anarchisme, étant donné que je ne crois pas en la “vérité anarchiste”. C’est plutôt en lien avec la réflexion sur la théorie et la praxis anarchiste, ainsi que sur le fait d’aborder les contradictions qui devraient être discutées et débattues. Pour le sujet de ce texte, Errico Malatesta semble être un très bon exemple historique, étant donné qu’il était un critique, en même temps qu’un défenseur, de ce qu’il appelait “la violence révolutionnaire”. Et ce sujet est – comme nous le savons tous/tes – encore pertinent pour nous aujourd’hui.

(1) Errico Malatesta: „Violence as a Social Factor“. In: Robert Graham (ed.): Anarchism: A Documentary History of Libertarian Ideas. Volume One. From Anarchy to Anarchism (300 CE to 1939). Black Rose Books, Montreal/New York/London 2005, p. 160

Reading Malatesta. Thoughts on tactics, violence and revolution

by Sebastian Kalicha

Errico Malatesta (1853 – 1932) is one of those 19th/20th-century anarchists, where you notice while reading that the problems that anarchists are facing today haven’t really changed that much since then. In fact, Malatesta discussed problems and ideas that seem very relevant to the contemporary anarchist movement like tactics and organising. Hence, he shouldn’t be treated as an irrelevant „old man with beard“ (who some contemporary anarchists declare irrelevant in a disastrous attempt to ditch their own history), but he should be read and critically discussed.

Malatesta’s anarchism can roughly be described as somewhere between Bakunin’s collectivist and Kropotkin’s communist approach. Malatesta rejected individualist anarchism, hesitated to fully align with anarcho-syndicalism – claiming that unions always have the tendency to be reformist, not revolutionary – and had his problems with parts of the anarcho-communist current – notably with the platformists, who he thought had an organisational structure that was too rigid. He wanted the anarchist movement to be a movement of the working class, a mass movement, neither a krypto-elitist, clandestine subculture (like Bakunin sometimes envisioned), nor a potentially patronising “vanguard”.

Malatesta, war and “Ravacholism”

A topic that is both historically important as well as relevant for us today are Malatesta’s ideas about tactics (i.e. the question of violence). Again, we find Malatesta between different approaches, not fully aligning himself with a specific one. Before talking about the question of tactics, revolution, violence and non-violence, it first should be mentioned that Malatesta was one of the anarchists who publicly and passionately confronted the (small) group of anarchists who supported the Entente during World War 1. The famous pro-war Manifesto of the Sixteen, signed by anarchists like Peter Kropotkin and Jean Grave, led to a rift in the anarchist movement, with people like Emma Goldman, Rudolf Rocker, Ferdinand Domela Nieuwenhuis, Lilian Wolfe and Alexander Berkman arguing against the “pro-war-anarchists”.

Malatesta was also in complete opposition to the so-called “propaganda of the deed”, i.e., to anarchists who thought they could win the masses for the revolutionary cause through assassination attempts and bombings targeting the hated representatives of the oppressive system. Malatesta knew already back then how toxic such a tactic was to the anarchist movement and how counter-productive it is for everything anarchists push for. He once described it as one of his nicest memories that he added to the failure of the short-lived anarchist phenomenon of “Ravacholism”, as he called it.

Malatesta on violence

Concerning violence, and what role it should play in anarchist action or, ideally, revolution, Malatesta was quite contradictory. On the one hand, he was very vocal in warning anarchists of the destructive consequences violence can have – and always has had! – and how incompatible it was with the anarchist ideal. On the other hand, he was advocating nothing less than armed struggle as the means for a successful revolution. He wanted to arm the entire working class (in contrast to just a small armed guerilla army), so that the workers could overthrow the bourgeoisie by force. It is paradoxical: on the one hand, Malatesta sounds like a staunch non-violent anarcho-pacifist, who is able to explain very convincingly why violence is an oppressive and reactionary tool that betrays and works against the anarchist goal of a free, progressive and non-repressive society; on the other hand, the conclusion for him is not to renounce violence as a means for the revolution, but to advocate the direct opposite: armed struggle. He never came to the conclusion of Dutch anarchist Bart de Ligt who said: the more violence, the less revolution.

Means and ends

What we have to discuss here is one principle that is central and crucial to anarchist theory and praxis: the relation of ends and means. Anarchists always knew that the means determine and define the ends. Are the means repressive, violent and reactionary, the end will be exactly the same and nothing else. Anarchists, including Malatesta, were very committed to this rule, most notably in their quarrel with the Marxists; they argued that the state won’t “wither away” at some point, but that it has to be overthrown immediately, otherwise there’s no turning back. They knew that if revolutionaries used repressive means in the same way the state did, the revolution wouldn’t end in a non-repressive, free and stateless society. Interestingly enough, the question of violence was always the big “exception” in this relation of means and ends. Malatesta made it very clear that the goal he was fighting for was a peaceful, non-violent and free society. There is no place for violence and coercion (which inevitably cause one another) in anarchy. Still, Malatesta thought that the peaceful and non-violent goal could be reached through the most violent and coercive means possible: armed struggle, civil war, militarised revolution. Simone Weil said that “revolutionary war is the death of revolutions”. While anarchists were always very cautious in following the relation of means and ends in all aspects of their politics, to this day many of them ignore it when it comes to the question of violence.

Just like Malatesta, anarchists these days don’t seem to pay a lot of attention to a fundamental anarchist analysis and critique of violence. Anarchists have always criticised the “organised violence of the state”, but instead of criticising and rejecting violence as a fundamentally statist and oppressive tool, anarchists have often done something quite unsettling: they have legitimated their own use of violence by referring to the violence of the state; in other words, they have used the state as an excuse for their own actions. Basically, they let the state determine their actions when stating: “The state is violent, so we have to/can/should respond in the same fashion.” Violence is the only topic where anarchists repeatedly and openly use the state’s behaviour as a justification and a point of reference for their own praxis. It is no longer anarchy and anarchist principles determining the means, but the state! It is almost comical that this does not cause more debate in an anarchist movement that is rightfully pointing to the importance of prefigurative politics. Anarchists often seem to forget that we as anarchists want to abolish the state exactly because it is coercive, repressive and, yes, violent! A precondition and a fundamental root of things that anarchists fight with great passion – coercion, domination, hierarchy, inequality – is violence, regardless of how it exactly appears (structurally or directly/physically) and who is using it. Therefore, a precondition for a fundamental critique of domination and inequality has to be a radical critique of violence. An anarchist critique of domination seems incomplete without such a critique – they have to come together.

The British anarchist Nicolas Walter said that violence (just like the state!) is not a neutral force that does the right things just because it’s in the right hands. This is even true if we acknowledge that there is a difference between the violence of the oppressor and that of the oppressed. Just like in the case of Malatesta, there seems to be a lack of understanding of the alternatives to violent means of struggle in contemporary anarchism. Malatesta once wrote that renouncing violence means renouncing revolutionary activity. That was wrong in the 19th/20th century (there were explicit revolutionary non-violent anarchist groups and individuals existing at the time of Malatesta) just like it is wrong today. Non-violent action is neither reformist nor passive (even though it can be); it is not just a praxis that stops at the point of using violence against humans. There is a wide range and a whole repertoire of subversive modes of (direct) action that can be used, not to mention the rich history that it has. As mentioned, even in the historical anarchist movement one can find groups and individuals, which took the relation of means and ends also in the case of violence seriously, who saw the relation of violence and domination, and therefore rejected violent means out of their anarchist principles – advocating for non-violent revolution.

“What would be the outcome of the Revolution?”

Malatesta was not one of them, even though it seems sometimes surprising that he did not draw this conclusion if you read the parts of his work where he appears as a passionate and clear-sighted anarchist critic of violent means:

“Violence, i.e., physical force, used to another’s hurt, which is the most brutal form the struggle between men can assume, is eminently corrupting. It tends, by its very nature, to suffocate the best sentiments of man, and to develop all the anti-social qualities: ferocity, hatred, revenge, the spirit of domination and tyranny, contempt of the weak, servility towards the strong. And this harmful tendency arises also when violence is used for a good end. […] How many men who enter on a political struggle inspired with the love of humanity, of liberty, and of toleration, end by becoming cruel and inexorable proscribers. How many sects have started with the idea of doing a work of justice in punishing some oppressor whom official « justice » could not or would not strike, have ended by becoming the instruments of private vengeance and base cupidity. And the Anarchists who rebel against every sort of oppression and struggle for the integral liberty of each and who ought thus to shrink instinctively from all acts of violence which cease to be mere resistance to oppression and become oppressive in their turn also are liable to fall into the abyss of brutal force. […] Thus the danger of being corrupted by the use of violence, and of despising the people, and becoming cruel as well as fanatical persecutors, exists for all. And if in the coming revolution this moral degradation of the Anarchists were to prevail on a large scale, what would become of Anarchist ideas? And what would be the outcome of the Revolution?” (1)

Just to be clear: this is not about being “right” or “wrong”, if someone has the “right” interpretation of anarchism or not, since I don’t believe in “the anarchist truth”. This is about reflection on anarchist theory and praxis and about tackling aspects of it, where I see contradictions that need to be addressed and debated. For the questions discussed, Errico Malatesta seems to be a very good historical example, since he was both a critic and an advocate for what he called “revolutionary violence”. And this topic is – as we all know – still very relevant for us today.

(1) Errico Malatesta: „Violence as a Social Factor“. In: Robert Graham (ed.): Anarchism: A Documentary History of Libertarian Ideas. Volume One. From Anarchy to Anarchism (300 CE to 1939). Black Rose Books, Montreal/New York/London 2005, p. 160

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SyndiquéEs SEUQAM, je vous salue!

by on Oct.12, 2014, under Général

L'UQAM qui fait du déni. Photo de Claire Bouchard

L’UQAM qui fait du déni.
(photo: Claire Bouchard, tirée du site seuqam.org  )

 

Je voudrais saluer les syndiquéEs du Syndicat des employées et employés de l’UQAM (SEUQAM) pour leur journée de grève de jeudi. Ça fait deux ans que vous n’avez plus de convention collective, que vous avez 0 % d’augmentation de salaire. La totale : les cadres se sont donnés une dernière augmentation de salaire de 6 %.

J’ai trouvé votre piquetage et l’énergie que vous y avez mis magnifique! Je suis agréablement surprise de constater à quel point vous êtes mobiliséEs. Même votre exécutif semble un peu surpris.

Pis je trouve ça génial que vous surpreniez votre exécutif.

Votre exécutif je le trouve un peu … euh… meh…

Tout d’abord de rejeter de la solidarité… Je trouve que c’est un drôle de choix de la part de votre exécutif. Les syndiquéEs SÉTUE sont prêtEs à vous aider dans les actions que vous décidez, de la manière dont vous le décidez. Des associations étudiantes ont voté, en assemblé générale, des mandats d’appui à votre lutte. Un appui ça veut dire respecter et suivre la manière dont le syndicat en lutte (c’est vous ça) décide de mener sa lutte. Quand votre exécutif rejette tout ça du revers de la main je m’interroge sur comment il voit la défense de vos intérêts en rejetant les appuis internes. Par contre, à voir la bonne humeur avec laquelle des syndiquéEs SEUQAM se sont joint à des étudiantEs qui ont voulu passer dans les cours au moment de votre piquetage, je me dis que ce n’est peut-être pas vous, en assemblée générale, qui avez décidé de tasser ces appuis (très pratiques en plus, nous on sait il y a combien de portes à bloquer 😛 ), c’est peut-être votre exécutif qui prend des aises. Je n’en sais rien.

Ensuite, que votre exécutif tente de vous faire peur avec des injonctions pour ne pas faire de piquetage dur, je trouve ça moche. La centrale syndicale à laquelle vous être affiliéEs a énormément d’argent (en plus de ce que vous lui donnez), et sert à s’occuper de ce genre de questions. Je comprends l’argument de la hausse graduelle des moyens de pression, mais ce n’est pas le même argument que « Oh non ! Si on fait un piquetage dur l’UQAM va nous faire mettre une injonction et on n’a pas les moyens de la payer ! ». Mener une lutte dans laquelle tous les membres sont inclusES serait de vous présenter les risques exacts, les solutions à ces risques et de vous demander quel genre d’action vous avez envie de faire une fois que vous avez pensé aux risques. Mener une lutte dans laquelle tous les membres sont inclusES serait de planifier votre plan d’action avec vous, ou par un comité que vous pourrez choisir, pas en cachette en vous avertissant par courriel deux jours avant. Quand votre exécutif s’improvise « professionnels des moyens de pressions » avec la bénédiction de votre centrale, vous êtes dépossédéEs de vos propres modes d’actions. Mais vous êtes peut-être à l’aise avec ça. Qu’est-ce-que j’en sais ?

Finalement, dans la même veine, que votre comité de négociation signe une entente de confidentialité avec l’employeur, ce qui vous empêche de savoir quoi que ce soit sur vos propres négos, je trouve ça très très moche…

Mais je sais bien que ce n’est pas propre au SEUQAM, ces exemples sont très ordinaires dans le monde syndical québécois. Dans une logique d’être les interlocuteurs privilégiés de l’État, la majorité des syndicats québécois se retrouve prise entre un État pro-patronat, un droit du travail abrutissant et un enlisement dans des pratiques corporatistes douteuses. C’est pourquoi je m’émeus quand je vois des syndiquéEs motivéEs et en colère. C’est pourquoi je vous ai trouvé belles et beaux. Parce que vous avez raison d’être en colère et que vous avez toute la légitimité pour l’exprimer.

… Et bon, c’est mon petit côté uqamien, mais j’ai un faible pour les blocages 🙂

Évidement, la journée de  jeudi a aussi apporté son lot de laideur :
Heille le dude avec de l’eau en push push qui en pitchait sur les gens qui passaient dans les cours : stu fais avec un push push d’eau à l’école ?! C’est pour tes cheveux ? Faire peur aux chats ?
Heille le dude en gestion – leader de demain – qui s’est servi de violence physique pour démontrer son profond attachement à son cours : c’est une voie de fait ça.
Heille la prof qui a passé la ligne de piquetage avec une excuse cheap en bouche quand elle est passée devant une gréviste qui travaille dans son propre département : c’est cheap, dégueulasse et ça manque complètement de classe. Après ça tu vas la regarder dans les yeux dans le département ? (Et lol si je te vois parader dans le futur avec un foulard orange SPUQ)
Heille le douchebag qui s’est senti investi de la mission de dire de manière très agressive vendredi, à des gens qui travaillaient, qu’il leur « venait dans la face » pour leur grève de jeudi : t’est crrrrrrrissment laitte !!!

Une chance que j’ai pu t’engueuler en pleine face.

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Actions non-violentes et glorification machiste

by on Août.27, 2014, under anarchie

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Pizzeria Anarchia et résistance non-violente

À Vienne, Pizzeria Anarchia, un squat qui coopérait avec des habitantEs du même immeuble pour résister aux deux enfoirés de spéculateurs qui se servaient (et se servent encore) de toutes sortes de méchancetés pour se débarrasser des locataires qui possédaient des baux, dans le but de rénover l’immeuble au complet et de louer les appartements beaucoup plus cher, s’est fait évincer à la fin juillet. Je vous passe les détails de cette lutte locale qui touche aux écrasants problèmes de logements abordables à Vienne pour plutôt vous parler d’un aspect qui m’a particulièrement frappée en tant que Montréalaise nourrie au grain de la-non-violence-c-est-dont-ben-pas-radical-ta-yeule-toé-pis-tes-signes-de-peace.

Pendant l’éviction, une personne a crié par la fenêtre que le groupe avait un consensus de résister de manière non-violente, et illes l’ont répété en entrevue après les événements. Les gens ont résisté pendant toute la journée, mais ça faisait longtemps qu’illes se préparaient, de manière aussi courageuse qu’ingénieuse (soudures et béton inclus), pour finalement se faire sortir de force. Illes étaient 19 à l’intérieur et ça a pris plus de 1500 flics, un canon a eau, les forces spéciales de la police, leur petit tank, un complet blocage de 3 coins de rues de chaque côté de la bâtisse et toute la journée pour les sortir. Ce qui a paru dans les médias mainstream à été des questionnements sur la compétence de la police ainsi que d’autres questionnements sur qui étaient ces enfoirés de propriétaires et comment une telle escalade avait pu arriver.

Je pense que personne ne peut ici nier que les gens qui squattaient étaient non seulement super bien organiséEs, mais que leurs méthodes d’action directe sont on ne peut plus radicales. Une fois la poussière des émotions retombée, la petite montréalaise que je suis est restée avec une question : pourquoi avoir souligné, de manière insistante, le consensus sur la non-violence de leur action ?

Dans notre contexte montréalais, on a un problème de définition. Les paciflics sont dangereuxSES pour notre sécurité parce que la violence symbolique de péter des fenêtre leur fait plus de peine que d’essayer de casser la gueule des gens qui pètent des vitrines, les imagistes sont plus intéresséEs à bien paraître qu’à faire des gains ou à se défendre, et certaines personnes pensent que protéger les voitures de flics en cas d’émeute est plus important que de faire front commun. À cause de toutes ces expériences nous avons tendance à placer toute la non-violence dans le même panier de la passivité ou de la collaboration avec les flics.

Nous nous trompons, comme le montrent les camarades de Vienne. L’action directe non-violence n’est pas passive, ou sans confrontation, et aucune lutte anti-oppressive qui utilise l’action directe ne peut jamais collaborer avec les autorités. À mon avis il faut faire une différence entre les actions qui collaborent avec les autorités et celles qui restent dans un mode confrontationnel, ça me semble beaucoup plus porteur que d’affirmer que toute action qui refuse de tirer des roches sur des gens lourdement équipés est niaiseuse. Dans ma tête, une action non-violente n’est pas nécessairement pacifiste: Pacifism is hugely influenced by conflict aversion. It really shows its middle classness in that way. There is a tremendous level of yearning for harmony because many pacifists see conflict itself as the problem. On the other hand, nonviolent revolutionaries welcome conflict, depend on it, and see polarization as absolutely essential. Whereas most pacifists hate polarization, we welcome it as long as polarization happens in such way that we’re on the winning side ! And then, of course, lots of pacifists are OK with capitalism, and nonviolent revolutionaries are not. They are strongly anticapitalist, and often antistate.*

Grève de 2012 et actions non violentes

Rendue là, j’en profite pour vous rappeler notre grève de 2012. J’en parle parce que c’est notre expérience la plus intense et la plus longue d’organisation et de coordination d’actions. J’en profite donc pour rappeler que toutes les actions imaginées ont été non-violentes, et je ne parle pas des flash mobs, des créations artistiques ou des Ma-nue-festations. Je parle des blocages de ponts et du port. Je parle de trashage de réunion d’actionnaires de banques, d’occupation du bureau d’une ministre et même de floodage de sites web de la police et du gouvernement, mais je parle aussi des manifs de soir qui n’arrêtaient pas malgré les attaques des flics. Je parle de tous ces matins à se rejoindre à 6h sans trop savoir ce qui allait se passer, comme je parle aussi de l’arrêt du métro et des blocages de cégeps et d’universités pour faire respecter les votes de grève. Ce qui a été imaginé, planifié, organisé n’a pas été imaginé dans le but d’affronter physiquement les flics et leurs bébelles meurtrières, même si c’était toujours dans un esprit de confrontation. Ce n’est pas parce que c’est non violent que ce choix d’action directe évite le conflit, au contraire il y participe activement. De la même manière, ces actions n’étaient pas passives, faciles, ou sans risques. Elles demandaient beaucoup de courage, et demandaient au gens de se mettre en danger physique et/ou de courir le risque de se faire arrêter. J’en profite aussi pour vous rappeler le gear que nous avions sur nous en partant de la maison chaque jour : un casque, des lunettes protectrices, une solution de Maalox, et notre foulard rouge. C’est un gear de protection. On protégeait notre tête et nos yeux. On se protégeait des gaz et du poivre, et quand quelqu’unE en avait besoin, on partageait, souvent avec des gens qu’on avait jamais vu de notre vie. Ce n’était pas de l’équipement d’attaque, c’était de l’équipement de défense.

Bien sûr, il y a aussi eu des moment où les gens, tannéEs de se faire casser la gueule, ont voulu répliquer à la violence de l’État et de ses goons armés pour nous tuer et ayant l’impunité pour le faire. Nous avons constaté les mini feux d’artifices en direction des flics dans certaines manifs, mais nous avons surtout constaté les balles de neige molles sur les flics, et leurs mensonges éhontés qui voulaient faire croire aux gens qui n’étaient pas là que nous lancions des briques d’en haut pour atteindre les voitures qui passaient sur l’autoroute Ville-marie. Je ne veux pas vous faire croire que j’ai plein d’empathie envers des flics en uniforme. Si les flics se font lancer des morceaux de pavé, des roches, de la glace, ou de la haine parce qu’ils répriment des gens non arméEs juste parce qu’ils le peuvent, mon niveau d’empathie est… non. Mais les épisodes de Victoriaville et du Plan nord me font aussi dire que bien que je comprenne complètement le sentiment des gens qui décident de lancer des roches et que jamais je ne vais les arrêter, la violence physique envers les goons de l’État n’est pas ce que nous faisons de mieux. Ce n’est pas là où nous avons été efficaces, même si je comprends tout à fait que ces pitchages de roches ont aussi une autre utilité que l’efficacité tactique. Rendu là je crois qu’une discussion s’impose sur le quand et comment utiliser chacune des tactiques plutôt que de continuer à faire une dichotomie : affrontements directs avec les flics vs collaboration avec les flics. Cette dichotomie n’existe pas dans la vraie vie parce que la collaboration avec les flics et l’État est contraire à ce pourquoi nous luttons et résistons, et parce que en dehors de l’affrontement direct avec les flics il y a de très nombreuses formes d’actions directes qui existent. Qui plus est, l’affrontement direct peut avoir plein d’utilités symboliques, de catharsis, ou d’expérimentation, mais de la manière dont il est mené ici, il n’est pas de taille à faire plier pour plus que quelques minutes les forces de l’ordre équipées et entraînées.

Le héros romantique qui lance du pavé : un homme d’action et du moment présent

Ce qui m’amène à la romantisation machiste de la violence physique que je croise des fois dans la gauche radicale montréalaise. Je répète que nous avons une expérience de mois d’actions non-violentes qui ont assez perturbés pour que la classe économique québécoise démontre son inquiétude et son exaspération au gouvernement. Une expérience de plusieurs mois à imaginer et à concrétiser des actions directes pour tous les goûts, où tout le monde, à un moment donné, pouvait participer. Plein de gens pouvaient participer, c’était plutôt inclusif, et ça ne demandait pas nécessairement des action heroes (bien que pouvoir courir était le plus souvent nécessaire). Alors elle vient de où cette espèce de glorification de la violence physique et du super-héros (je ne féminise pas, c’est comme pour les flics, c’est voulu) militant-sans-peur-qui-pitche-vaillament-des-roches ? Pourquoi je lis ou j’entends des amalgames douteux entre protéger des chars de flics et faire des actions non-violentes ?

Faire arrêter le métro vous trouvez que c’est collaborer avec l’ordre établi ?

Bloquer des cégeps et des universités en faisant face à la SQ en antiémeute vous trouvez que c’est passif?

Bloquer le pont Champlain vous trouvez que c’est non-confrontationnel?

Et d’un point de vue militant plus global, les gens qui sabotent du matériel militaire, qui font des grèves générales, qui s’enchaînent à des arbres ou bloquent des pipelines, qui pètent les pneus de voitures de flics dans un parking pendant que ceux-ci avancent vers une manif, qui hackent des sites web de gouvernements ou de militaires, ou bien qui font face, en masse tranquille non armée, à des flics/militaires armés et dangereux, vous ne trouvez pas ça organisé ? Créer et imprimer des tracts avec des idées qui sont punies par de la prison dans le régime où vous habitez vous ne trouvez pas que c’est une prise de risque ? Vous trouvez que c’est de la collaboration comme les paciflics ? Vous trouvez que ça manque de courage ? Vous trouvez que c’est comme voter social-démocrate ou comme faire une flash-mob dans un centre d’achat ?

Les critiques, dont les critiques féministes, par rapport à cette idéalisation du héros militant dont-ben-cool-parce-qu’il-lance-du-pavé sont déjà bien connues. Ce n’est pas juste macho dans son idéalisation d’une certaine masculinité, c’est aussi sexiste dans le sens où ça ne valorise absolument pas les tâches invisibles, qui sont pourtant partie prenante du militantisme, et ça fait preuve d’exclusion parce que dans ce modèle il ne faut pas être judiciarisé, il faut être capable d’être dans une certaine forme physique, il ne faut pas avoir d’enfants pour qui rentrer à la maison, et il ne faut pas avoir peur de perdre son statut légal par rapport à l’État. Ça romantise et ça met sous les projecteur une seule occupation, celle de la violence physique contre les goons de l’État, pour complètement dévaloriser d’autres actions qui peuvent être tout aussi risquées, ou non, et qui trouvent leur place dans un mouvement diversifié, inclusif, et horizontal.

Un jour, une femme militante, qui est allée en prison, parlait de ses réflexions en disant : « tsé les gens, les gars, disent souvent « feu au prisons ! » mais y pensent pas à après. Après avoir mit le feu et détruit la prison on fait quoi avec tous les gens et les problèmes bien réels qu’ils et elles vivent? ». Je trouve que ça représente bien ce fétichisme de la violence physique contre les goons de l’État : l’important pour les héros c’est le moment présent, le moment où ils se donnent le privilège de sortir leur rage et leur colère pendant qu’ils brillent sous les projecteurs, pendant que le reste de nous, gang d’invisibles, on pense au avant et au après. On imprime des tracts, on envoie des emails, on call des réunions, on call les avocatEs, on forme des groupes de soutien et on quête de l’argent.

Je ne suis pas une adepte de la non-violence à tout prix, et je ne pense pas que les action-heroes ne font rien d’autre que d’attendre la prochaine « manif qui pète » sans jamais participer à d’autre chose. Par contre, je pense que pour le bien de l’horizontalité de la manière dont on s’organise ainsi que pour la pratique de l’antisexisme qui est supposé être tellement importante, on mérite d’arrêter de coller sur la non-violence les étiquettes de collaboration avec les flics, de passivité, et de manque de courage. Il y a plein de manières de créer et de participer à des actions, nous l’avons déjà prouvé. Et tous les gens, leur créativité, et leur choix politiques méritent d’être pris en compte. Jasons plutôt de comment et quand utiliser nos tactiques plutôt que de les hiérarchiser pour créer des héros.

*George Lakey, interviewé par Andrew Cornell dans Oppose and Propose!, 2011, AK Press, p.64

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