Général
Cher Charles
by bakou on Oct.08, 2014, under Général
Publié chez Sabotart, 2014.
L’oeuvre est en fait une lettre qui est écrite par Nicolas sous forme de B.D. et s’adresse à Charles, prisonnier politique. Nicolas et Charles se sont connus dans le cadre des manifestations contre le G20 tenues à Toronto en 2010. Plus précisément, leur première rencontre remonte à leur arrestation commune, alors qu’ils et elles étaient une centaine de militantEs à dormir dans le gymnase de l’université de Toronto. Si Nicolas n’écope pas de charges, Charles s’en tire moins bien avec sept mois de détention. Nicolas nous relate sa relation avec Charles avant l’entrée de ce dernier en prison, se remémorant leurs discussions à propos d’Antonin Artaud, leur visite au Salon du livre anarchiste de Montréal de 2011, les soirées à micro ouvert où Charles lisait des passages de bouquins de manière aléatoire, la récupération de nourriture qu’ils pratiquaient à deux, etc.
Nicolas écrit cette lettre devant le manque de solidarité qu’il constate d’une partie de l’entourage de Charles et du portrait réducteur que les médias ont tracé de l’activiste. La B.D. veut d’abord et avant tout nous montrer qui est véritablement ce prisonnier politique, qu’on ne peut réduire à un simple voyou, si ce n’est pas à un terroriste dans certains cas. C’est donc une réflexion sur la violence que mène Nicolas, soulignant que la violence du système est bien plus grande que les gestes de vandalisme que reconnaît avoir commis Charles à Toronto. C’est cette violence systémique que combattent Charles et l’auteur de la B.D., qui ne saisit pas que des victimes du système financier et de la police peuvent se désolidariser de Charles. Cela amène Nicolas à avoir des discussions fictives avec des personnalités et des personnages qui font leur apparition dans la B.D.
Dans le cas de Gandhi, Nicolas souligne que les imagistes utilisent le célèbre militant de la non-violence afin de jouer la carte de la victimisation pour promouvoir leur cause. L’auteur de la B.D. dénonce également au passage l’hypocrisie des paci-flics qui citent Gandhi tout en faisant la job de bras des policiers en s’en prenant physiquement aux casseurs dans les manifestations, phénomène qui s’est propagé lors de la grève étudiante de 2012. Nicolas nous rappelle également que la résistante en Inde coloniale était loin d’être uniquement pacifique, message que les apôtres de la non-violence ne semblent pas vouloir entendre.
Réfoman fait également une apparition dans la BD., un personnage qui veut «apporter de légers ajustements au système sans le détruire». Celui-ci justifie le travail des policiers qui ne font qu’obéir aux ordres, ordres qui proviennent de nos élus que l’on peut remplacer démocratiquement si l’on prend la peine de voter aux quatre ans. Ce discours rappelle à Nicolas le régime nazi où l’on suivait également les ordres d’un parti qui initialement, a pris le pouvoir par la voie démocratique. Nicolas considère que brûler une voiture de police est légitime, dans la mesure où celle-ci fait partie de l’appareil de répression étatique qui maintient les inégalités en place. Réfoman y voit plutôt une mauvaise façon de s’exprimer dans une société démocratique (il adore ce mot), d’autant plus que ce sont les citoyens et les citoyennes qui paient la facture avec leurs impôts. Contrairement à Réfoman, Nicolas n’accorde pas la même importance au vote et au poids de la majorité, ce processus ne rendant pas l’injustice plus légitime en soi. C’est en somme l’inefficacité du réformisme et du pacifisme qui mènent Nicolas et Charles sur la voie du vandalisme, jugée plus salutaire.
Nicolas nous fait voir un côté de Charles que la population en général ignore quand il est question de militantEs ayant commis du vandalisme, les médias réduisant ces derniers et ces dernières à de simples casseurs. On y découvre son côté altruiste et utopiste, distribuant des fruits et des câlins aux inconnuEs, pratiquant la récupération de nourriture et étant impliqué dans des projets de jardins collectifs. C’est un jeune homme au grand cœur que nous découvrons, amant de la musique, de la danse et de la poésie. Je ne doute pas que Charles a agi ainsi parce qu’il est une bonne personne, mais on retrouve un biais favorable à la casse dans cette B.D. ainsi que l’utilisation d’actions plus violentes et ce aux dépens de méthodes que l’auteur juge moins radicales. J’ai conscience qu’une institution financière ne peut être comparée à mon voisin et qu’il est tout à fait injuste qu’une poignée de dirigeants décident du sort de l’humanité, mais je me pose des questions par rapport à l’efficacité du vandalisme pour faire avancer la cause révolutionnaire (personnellement, je ne considère pas que le bris d’une vitrine constitue de la violence. Au mieux on peut parler de violence symbolique. Le problème est que ce geste sera associé à de la violence par plusieurs et force est d’admettre qu’il émane d’une colère et d’une frustration que je comprends tout à fait, mais qui peut mener à des gestes qui me semblent contre-productifs. Au lieu d’expliquer quel est notre projet de société aux gens, on est pris à expliquer le sens de ces actions à la population, qui autrement pourrait très bien sympathiser avec nos objectifs).
Je pense entre autres à cette image de magicien qui tente de détruire le capitalisme et l’État en récitant des formules magiques devant son chaudron. Hors du vandalisme, point de salut? En quoi le vandalisme serait-il une menace pour le capitalisme et l’État? Au contraire, celui-ci ne pourrait-il pas justifier la répression étatique et éloigner les foules des messages plus radicaux? L’auteur laisse entendre que sa B.D. n’est pas qu’une œuvre, mais bien un appel aux armes. Pourquoi pas un appel à l’action à la suite d’une prise de conscience? L’État est très bien positionné pour faire face à une lutte armée, qui ne risque pas de rallier les foules. La non coopération avec le système et une résistance plus réfléchie me semblent davantage porteuses d’espoir. L’auteur de la B.D. est ambigu en ce qui concerne la non coopération envers le système. Il reconnaît une certaine validité à la philosophie de Gandhi qui prônait aux gens d’être le changement qu’ils désirent voir dans le monde, mais il semble juger que cette méthode ne peut avoir d’emprise si elle n’est pas reprise par un nombre significatif d’individus. On sent une certaine impatience chez l’auteur qui l’amène à rejeter cette option, mais c’est pourtant la non coopération et la désobéissance civile qui auraient permis de freiner le régime nazi. C’est sur ce terrain que semble amené l’auteur au moment de sa discussion avec Réfoman, personnage prônant pour sa part le respect des lois et des institutions. Dans le contexte du régime nazi, qui nierait que la désobéissance civile aurait pu être efficace afin d’éviter l’horreur? Le vandalisme et la lutte armée n’auraient vraisemblablement rien changé, bien que certains et certaines pourraient juger que la prise des armes dans ce cas précis était louable, voir nécessaire.
Il est clair que la désobéissance civile doit rejoindre un nombre significatif d’individus, mais n’est-ce pas le cas pour n’importe quelle méthode employée par les révolutionnaires? Et si l’on désire que cette méthode devienne un jour populaire, ne devons-nous pas commencer à la prôner soi-même dans notre vie, ce qui est l’essentiel du message de Gandhi? J’ai conscience que son message a été détourné de son sens originel et qu’il est bien mal représenté par les paciflics et les imagistes de ce monde, mais nous devrions réfléchir davantage avant de rejeter toute forme de résistance non-violente, surtout si ces méthodes sont associées à des caricatures de ce qu’elles pourraient être dans les faits.
La saison des pommes
by Umzidiu Meiktok on Sep.23, 2014, under Général
Depuis quelques automnes, il est de bon ton de se moquer méchamment des gens qui vont aux pommes à chaque année. C’est souvent vu comme une activité quétaine, démodée, plate, et qui surtout manquerait de raffinement. Assez souvent, des blagues machistes et classistes viennent même se mêler au déluge de mépris démontré à l’égard des cueilleurs/euses, mais aussi à l’égard des pomiculteurs/trices. Ainsi, comme le résume sans originalité d’ailleurs un article d’Urbania, « aucun gars » n’aimerait sincèrement aller aux pommes, et les pomiculteurs/trices seraient des méchant-e-s «overlords» qui profiteraient des cueilleurs/euses naïfs et naïves[1].
Aller aux pommes n’est pas forcément démodé et pénible
Avec une grande ignorance, Nightlife, respectant la tendance généralisée chez les snobinards jet-set de Montréal, proposait de troquer la journée des pommes pour la route des vins, et d’instagrammer des photos de vignobles plutôt que des photos d’enfants jouant dans les arbres (je pense pourtant pouvoir exprimer la pensée de plusieurs: dans tous les cas, on s’en câlisse de vos photos).
C’est d’autant plus stupide qu’il est possible de tout faire. Cueillir des pommes peut se faire après la visite d’une cidrerie, et il est possible de s’arrêter ensuite dans d’autres petites boutiques et d’acheter d’autres types de produits régionaux et saisonniers. Remplir un sac de pommes, ça prend cinq minutes. Si c’est fait sur une petite terre familiale, il n’y a pas de queue, on ne vous fait pas monter dans la boîte d’un tracteur pour aller cueillir des pommes à deux kilomètres en montagne, et vous avez en prime accès directement aux pomiculteurs/trices plutôt qu’à un-e étudiant-e de la région déguisé-e en clown et éreinté-e par son travail.
Vous aurez pleinement le temps de déguster les produits dérivés et discuter avant de reprendre le chemin de la route des vins.
Pourquoi c’est important
Ben oui, pourquoi me mets-je à défendre une industrie récréo-touristique? Pas mon genre? Les raisons sont cependant fort simples, du moment qu’on y réfléchit. Mais elles deviennent encore plus claires quand on connaît un peu la campagne et l’agriculture, ce qui n’est généralement pas le cas des détracteurs/trices de ce genre d’activités.
Pour aider les petit-e-s producteurs/trices (bio ou pas)
Entre le verger et l’épicerie, il y a des intermédiaires à plus finir – c’est dans la nature de l’exploitation capitaliste. Ce qui fait que le producteur et la productrice, qui fournissent l’essentiel de l’effort (et c’est pas un travail saisonnier, il y a toujours quelque chose à faire) se retrouvent avec souvent moins de 5% de la valeur de la pomme à la vente dans leurs poches. Et à ça, il faut encore enlever le coût de production. Quand vous allez directement cueillir, 100% des revenus vont aux pomiculteurs/trices. Et vous aurez des pommes fraîches (parfois, les pommes prennent plus d’une semaine à parvenir sur les étalages, même en saison), sans cire (ce sont les emballeurs qui enduisent les pommes), mûries à point, choisies une par une, et assez souvent moins chères.
Je pourrais vous parler pendant des semaines de la misère des pomiculteurs/trices. Ça vous remplirait le coeur de révolte. Mais disons simplement qu’inciter les gens à abandonner ça, c’est comme s’opposer au recyclage ou à l’eau potable. Les (petit-e-s) producteurs/trices ont BESOIN des cueilleurs/euses pour survivre. Difficile à accepter pour certain-e-s, mais les familles quétaines et les couples en perdition qui vont cueillir sur une petite terre familiale à l’automne contribuent à sauver le Québec rural comme on l’a toujours connu, tout en brisant son isolement.
Que vous achetiez ou pas des pommes en épicerie ou au Marché Jean-Talon le reste du temps, à l’automne, quelques kilos de pommes directement du verger, ça donne un beau gros coup de main.
Paur sauvegarder le paysage
Pour augmenter leur production, les proprios des vergers ont souvent tendance à mettre de côté les arbres de taille standard pour faire pousser des pommiers nains et semi-nains. Résultat: le paysage change petit à petit. Plus de grands arbres aux multiples branches, aux échelles colorées, mais des petits arbustes maigrichons et rabougris, aux branches surchargées.
Plus le verger transfère ses activités de jeu vers des activités de pure production industrielle, plus il sera laid, adapté aux machines plutôt qu’aux êtres humains.
Pour améliorer sa consommation et mieux connaître le produit
Les produits transformés en industrie, comme la compote et les tartes contiennent beaucoup trop de sucre, trop de sel, trop de gras, trop d’additifs, etc. En revanche, transformer des pommes à la maison exige très peu d’efforts et de connaissances. C’est un des fruits disponibles sur le marché qui se cuisine le mieux, et de très nombreuses recettes locales la mettent en valeur. La pomme se conserve également très bien: certaines sortes sont encore très fermes après plusieurs semaines passées au frigo. Quand on veut ramener des kilos et des kilos de pommes à la maison, il suffit, pour éviter le gaspillage, de les consommer de façon intelligente: gardez les Empire pour la fin!
Ce n’est pas démodé, c’est dans l’intérêt de tout le monde!
En résumé: du moment qu’on aime les pommes, qu’on veuille sortir de la ville (s’il y a lieu) et qu’on en a l’occasion (ce qui n’est malheureusement pas donné à tout le monde), il n’y a pas de bonne raison de ne pas faire un arrêt au verger cet automne, et surtout pas si c’est pour éviter de déplaire aux snobs de Nightlife et d’Urbania! Dans tous les cas, dites-vous que la pomme que vous mangerez (bio ou pas) sera toujours moins vieille et bien meilleure pour la santé que le déchet chimique dont vous ferez l’acquisition (par le vol ou la récupération j’espère, mais il paraît qu’on peut aussi les acheter) au Maxi ou au IGA.
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[1] Je l’ai déjà dit, et je le redis: tout est politique, incluant l’humour le plus gras, le plus insignifiant, le plus « deuxième degré ». Aucun type de discours ne mérite son univers parallèle dans lequel les critiques seraient de facto rejetées comme étant non-pertinentes.
L’humour a des fonctions sociales précises. Figurent parmi elles: ridiculiser ou même stigmatiser les comportements perçus comme nocifs, et souvent encourager les comportements perçus comme positifs. Ce peut être un instrument de liberté, quand il est utilisé contre le pouvoir, comme de contrôle social, peu importe l’intelligence de l’humour, peu importe le second degré, quand il est par exemple utilisé d’une certaine manière par des privilégié-e-s contre d’autres groupes.
La mauvaise utilisation d’archétypes par un groupe privilégié est une manière particulièrement dévastatrice de faire de l’humour. Par exemple, rire des assisté-e-s sociaux/ales et/ou des détenu-e-s en mettant de l’avant leur situation prétendument confortable peut faire partie d’un processus de légitimation de leur mise à l’écart. Idem quand on dit que les pomiculteurs/trices profitent des cueilleurs/euses pour s’en mettre plein les poches.
Je suis fatigué de le répéter et de le répéter, mais c’est comme ça. Il faut arrêter de répondre aux critiques en disant: « oui mais c’est rien qu’une joke ». Une joke, c’est juste une joke, mais c’est déjà tout à fait suffisant.
Ce n’est pas illogique d’espérer
by bakou on Août.20, 2014, under Général
Les problèmes que l’humanité doit affronter s’accumulent et la montage qui se trouve devant nous peut parfois nous sembler insurmontable. Il n’est pas surprenant dans ce cas qu’il soit si difficile pour ceux et celles qui rêvent d’un monde meilleur de garder espoir. Que l’on pense à l’occupation israélienne de la Palestine, aux politicien-ne-s corrompu-e-s (c’est presque un pléonasme), à l’appauvrissement généralisé de l’ensemble de la population, aux nombreux viols qui surviennent chaque jour dans le monde et aux nombreux problèmes environnementaux qui menacent sérieusement la survie de l’espèce humaine sur cette Terre, ce ne sont pas les raisons de broyer du noir qui manquent à l’individu conscient. Pourtant, il est nécessaire de poursuivre la lutte et de ne pas abandonner devant l’adversité. Autrement, la vie perdrait son sens et les raisons de quitter le navire en emporteraient plus d’unE. Plusieurs nous ont quitté déjà, ne faisant ainsi qu’ajouter leur propre démission à la misère globale du monde.
Garder espoir est donc nécessaire, si ceux et celles voulant transformer radicalement cette société malade aspirent à la victoire. Les échecs et les défaites se comptent par milliers dans notre camp, mais le passé n’est pas toujours garant de l’avenir. Déjà, l’information circule de plus en plus librement dans notre société et ce grâce à l’arrivée puis au développement d’Internet. Les gens se mobilisent un peu partout dans le monde et prennent conscience de leur exploitation. On peut penser ici au printemps arabe, aux mouvements occupons ou plus près de nous, à la grève étudiante que nous avons connu au Québec en 2012. Certes, ces mouvements de protestation ne sont pas sans reproche et les gains obtenus peuvent sembler très minces, voir inexistants. Toutefois, ils témoignent d’un éveil politique chez la population et ils constituent une base à partir de laquelle nous pouvons fonder l’espoir d’un avenir meilleur pour les prochaines générations.
Voir les choses de manière positive n’est pas chose aisée en ce début de XXIe siècle, mais le pouvoir qui nous oppresse ne tient pas toutes les meilleures cartes dans ses mains. Nous avons le nombre de notre côté et plus nous le réaliserons, plus notre victoire sera non seulement possible, elle sera inévitable. Et ça, nos dirigeants le savent très bien. Ce n’est pas pour rien que l’État militarise sa police à une vitesse aussi vertigineuse. La classe dirigeante voit bien que les gens se réveillent peu à peu et sa seule option est d’écraser le soulèvement du peuple avant qu’elle ait complètement perdu son emprise. Pensez-y bien. Plus de 99% de la population subit l’exploitation et le contrôle venant de moins d’1% des habitants et des habitantes de la planète. Lorsqu’un nombre significatif de gens en auront pris conscience et qu’ils cesseront de coopérer avec la construction de leur propre prison, la partie sera terminée pour les exploiteurs de ce monde.
Personne n’a dit que changer le monde était chose facile. Il ne faudrait pas non plus tomber dans la naïveté et les romans à l’eau de rose. Le portrait que je dresse de la société est assez sombre en général et me semble aussi assez réaliste. Mais si la route vers la victoire est parsemée d’embûches et que le chemin à parcourir s’annonce pénible, je suis sincère quand j’écris que je pense réellement que nous pouvons gagner notre combat historique envers nos tortionnaires. Ils ne sont après tout qu’une poignée de parasites. C’est parce que nous oublions facilement tout cela que nous songeons à jeter l’éponge. Et franchement, si moi je peux en arriver à voir les choses de cette façon, envisager des jours meilleurs est quelque chose qui devrait être accessible à tous et toutes.
Ce n’est pas du délire et ce n’est pas une fausse promesse. Tout part d’une attitude. Et de cette attitude, le reste suivra. Ensuite, chacun et chacune est libre de contribuer à notre future victoire à sa façon. Mais une chose est sûre : nous verrons la lumière au bout du tunnel. Ensemble, nous abattrons ces maîtres qui nous tordent le cou et nous reprendrons le contrôle de ce navire qui vogue à la dérive.
Ensemble.
La saga AFPC-FTQ vs SETUE-UQAM: quand un syndicat a des réactions de patron
by La Tomate noire on Juil.05, 2014, under Général
Nous sommes des membres du SETUE. Nous sommes des membres qui allons à nos assemblées générales quand nous le pouvons, qui lisons le SETUE l’info quand nous avons le temps et qui nous intéressons vivement aux questions des négociations de notre future convention collective. Nous sommes attaché-es à ce syndicat. Nous avons l’impression qu’il est rendu vivant par le temps que ses membres y mettent ainsi que par le souci de tous les conseils exécutifs que nous avons connu de respecter les décisions démocratiquement prises en assemblée générale. De la même manière, nous sommes également heureux-ses de faire partie du contexte uqamien et universitaire qui nous permet de tisser des solidarités avec d’autres luttes.
Or, voilà que depuis déjà quelque temps, nous sommes confronté-es, avec un mélange d’étonnement et de colère, à une évidence : l’AFPC-FTQ, notre centrale syndicale, ne nous a jamais considérés de la même manière que nous, les membres, nous nous imaginons.
Nous croyons qu’un syndicat démocratique doit être redevable de ses actions en assemblée générale, et que le syndicat local doit assurer son autonomie en représentant et en défendant les membres et les positions prises en assemblée générale. Cependant, nous avons eu la désagréable surprise de constater que l’AFPC ne considère pas l’autonomie d’un syndicat local, en ne reconnaissant pas la légitimité des décisions prises en assemblée générale. Le respect de la démocratie est à leur bon vouloir.
Ainsi, nous constatons que dans le langage, les méthodes et le respect accordés aux membres, nous sommes face à deux mondes complètement opposés :
D’un côté, nous. Nous qui pensions que le syndicat local était autonome et indépendant dans nos décisions. Nous qui savons que pour qu’une organisation soit démocratique, la décision doit passer par ses membres. Seulement ses membres, parce que qui de mieux que les membres pour juger et prendre des décisions sur des enjeux qui les touchent directement.
Et eux, l’AFPC. Dans notre cas ce eux est représenté par l’AFPC, mais nous ne sommes pas dupes. Quand nous parlons du “eux“ nous parlons d’une culture syndicale centralisatriste, autoritaire et homogène. Nommez la grande centrale que vous voulez, elles sont coupables. Une culture syndicale où les décisions sont prises par le haut, et où les décisions locales et les volontés des assemblées générales sont accessoires.
Cette culture syndicale qui use de violence et invisibilise des syndicats plus marginaux, ou plus autonomes, ou simplement où les membres sont très actifs et veulent avoir leur mot à dire. Ces immenses machines en sont rendues à écraser des travailleurs juste parce qu’elles veulent garder le contrôle. Et tout ce mépris, cette infantilisation et ces menaces sont tellement banalisés que nos solidarités passées s’effritent. Comme si ce que nous partageons, en dehors du syndicalisme, n’avait jamais existé.
Mais vous qui vous disiez “camarades“ par le passé, si vous êtes capables de penser que “c’est ça la game syndicale“ non seulement vous n’êtes pas nos allié-es dans la défense de notre autonomie, mais en plus vous montrez votre visage de syndicaliste, avalé par les grandes machines, qui n’ose plus réfléchir ou s’opposer. Mais si votre carrière dépend de votre silence quand votre employeur menace et méprise, vous n’êtes pas mieux que n’importe quel carriériste. Votre grosse centrale-patron le sait bien, elle. Et quand vous visez des gens qui ont besoin d’un travail en leur présentant un coup de force comme un travail quelconque et bien vous devenez l’outil crapuleux de votre patron.
Ce n’est pas pour ça que nous partageons des valeurs syndicalistes.
En ce moment, nous aimerions beaucoup penser à nos négociations et à notre convention collective à venir. Nous avons fait beaucoup d’assemblées générales et nous avons réfléchi collectivement à ce que nous voulions, à ce que nous ne voulions pas, et à nos priorités. Mais nous ne pouvons pas aller de l’avant, car l’AFPC a décidé que les négociations étaient suspendues. Ainsi, l’AFPC nous démontre que toutes les décisions prises par l’assemblée générale à ce propos sont accessoires. En constatant cette suspension ainsi que les démissions d’éxécutant-es, élus par l’assemblée générale, forcé-es par les menaces de tutelle, nous n’avons pas le choix d’en venir à une conclusion : l’AFPC ne se soucie guère des réflexions et des décisions prises pour défendre le groupe de travailleuses et de travailleurs que nous sommes, mais veut simplement asseoir leur autorité. Ainsi nous comprenons, en tant que membres, que l’AFPC nous méprise et préfère nous voir mal outillé-es qu’autonomes et responsables de nos décisions.
De là notre grande surprise à lire les derniers messages de l’AFPC. Selon eux, ils sont sur la défensive pour une question de maraudage quand nous savons, parce que nous assistons à nos assemblées générales, parce que nous lisons la documentation disponible, et parce que nous refusons cette culture du silence qui ne sert qu’à baillonner les syndicats plus autonomes ou marginaux, que les tensions et les menaces datent de bien avant. Il y a de cela des mois, nous avons vu notre comité externe se faire infantiliser suite à leur version d’un congrès AFPC-FTQ et des gens de l’AFPC pousser sur des lignes précises par rapport à nos négociations, en assemblée générale ou en conseil syndical, pour nous dire que certaines de nos décisions “ne se font pas“ sans jamais aucune explication.
Ainsi, si nous sommes unanimement d’accord sur le fait que nous ne trouvons pas que la CSN semble avoir une culture syndicale plus respectueuse, ou ouverte, nous comprenons tout à fait le sentiment des gens qui veulent changer d’affiliation. En effet, de ce que nous avons compris, très concrètement, nous serons les seul-es responsables de notre convention collective (présentement l’AFPC est la propriétaire de cette convention, qu’elle peut signer sans nous), et notre argent sera à nous qui devrons en donner une part à la centrale (tandis que maintenant l’AFPC reçoit nos cotisations et nous en donne une partie). De manière très concrète, nous gagnons de l’autonomie, nous nous débarrassons d’une emprise qui pèse de plus en plus lourd.
Nous ne croyons pas que les gens qui ont accepté de signer des cartes CSN ou de participer au maraudage se sont fait convaincre. Ce sont tout simplement des gens qui sont allé-es à leurs assemblées générales, qui ont lu les lettres ouvertes et les SETUE l’info et qui se sont fait une idée par eux-mêmes. Mais bien sûr, c’est facile pour l’AFPC de croire que ces personnes sont manipulées par la CSN, parce qu’elle n’est pas capable d’imaginer l’action syndicale autrement que par un mouvement venant du haut vers le bas.
De la même manière, nous croyons que ce n’est pas parce que les gens signent des cartes CSN que nous allons nous fondre dans l’ombre de cette centrale si affiliation il y a. Le SETUE est et a toujours été autonome, très vivant de par ses membres, et a surtout toujours eu un souci et un respect des membres qui commence par le respect de l’assemblée générale. Et si la CSN se tient tranquille pendant ce maraudage, elle ne devrait pas oublier que présentement les gens ne font pas nécessairement signer des cartes CSN parce qu’ils et elles sont pro CSN, mais parce qu’ils et elles sont avant tout pro-SETUE.
Nous avons des négociations importantes à mener, une lutte à continuer. L’AFPC s’est opposée à notre autonomie, des membres s’opposent donc à l’AFPC.
Dommage pour ceux et celles qui voulaient croire aux complots…
Des membres du SETUE qui se sentent prêt-es à se défendre.
La police au service des flics et de la police
by Umzidiu Meiktok on Juin.21, 2014, under Général
J’ai parlé il y a un peu plus d’un an de ce que je perçois comme un délabrement de pouvoir civil au profit du pouvoir policier. Dans ce cadre, la police – et en particulier le SPVM – ne se comporte plus comme une police politique classique, dont le rôle serait de soutenir le régime en place. Au contraire, elle se soutient elle-même, en tant que l’incarnation d’un levier de pouvoir qui s’oppose à celui des élu-e-s. Deux séries d’évènements parallèles ont peut-être encouragé ce pouvoir: la grève étudiante de 2012, qui a donné à la flicaille toute la latitude dont elle avait besoin pour devenir plus brutale et surtout agir en toute impunité; puis les divers scandales de collusion. Mais il peut tout aussi bien s’agir d’un mouvement global d’investissements monstrueux dans les institutions répressives et la sécurité, et de ce phénomène qu’on désigne souvent (et pas depuis peu) par le terme de militarisation de la police, sans que les agissements de la population aient réellement quelque chose à voir là-dedans.
La désobéissance civile et la collusion pourraient donc simplement servir d’arguments coïncidant par un malheureux hasard avec un contexte plus large de renforcement de la police. Des relations publiques, nécessairement, mais pas nécessairement de lien de causalité!
La manifestation syndicale (et également corporatiste, jusqu’à un certain point) de mardi dernier et la réaction du pouvoir civil sont une preuve de plus de l’augmentation du rapport de force de la police face aux élu-e-s. D’une part, Montréal a totalement perdu le contrôle déjà assez faible qu’elle avait sur le SPVM. Que des policiers/ères, à l’extérieur de leur shift, participent à des actions de perturbation, ça se peut, avec ou sans feu de poubelles. Mais qu’illes participent au même évènement en uniforme, avec leurs armes, c’est autre chose. On a parlé énormément de l’importance de la « neutralité de l’État », au cours du dernier mandat du PQ. L’État ne perd pas sa « neutralité » quand un-e de ses représentant-e-s prend position avec le port d’un signe religieux quelconque. Il la perd quand ses représentant-e-s et figures d’autorité utilisent leurs privilèges pour servir leurs propres intérêts, ou dans ce cas-ci les intérêts de leur corporation.
Le pouvoir civil, dont la légitimité et la force sont de plus en plus boiteuses, peine à se faire respecter. Est-ce que les objections et enquêtes de Denis Coderre vont réellement mener à quelque chose? Peu probable. Si c’est le cas, du moins, il est fort peu probable que des flics soient blâmé-e-s au point de mettre des individus en réelle difficulté, ou bien qu’un règlement vienne empêcher la même chose de se reproduire plus tard.
Rappelons aussi qu’alors que se déroulait ce rassemblement, un policier déjà poursuivi au civil arrêtait la demanderesse impliquée dans cette même poursuite, Jennifer (Bobette) Paquette, qui était présente au Palais de Justice de Montréal pour une autre cause (le règlement P-6). Cette activiste avait été ciblée, puis brutalisée sauvagement lors de la marche du 1er mai dernier. Elle avait subi des blessures graves. Assez abusif, vous trouvez pas?
Volontairement ou non, la journée du 17 juin 2014 fut donc une démonstration de force de la part des forces policières montréalaises. Quand sa corporation perd des privilèges, elle est prête à participer à des actes de perturbation (assez insignifiants, quand même, c’était pas super dangereux comme feu) que dans un autre contexte, elle punirait sévèrement. De plus, quand un de ses membres doit subir une poursuite judiciaire et donc en théorie répondre de ses actes (et je dis bien: en théorie[1]), il est en droit de mettre sa victime en état d’arrestation et de la détenir pour n’importe quelle broutille.
Cela montre bien que la police est devenue incontrôlable. Et lentement, elle s’éloigne du modèle Gestapo – la police du régime – pour se rapprocher d’un service d’ordre dont les actions sont moins contrôlées, comme les SA (les chemises brunes), ou même n’importe quel gang criminalisé, et dont les desseins sont plus autonomes.
La crétinerie arrogante des flics, l’idiotie manipulatrice des policitien-ne-s.
Les flics ne sont pas des lumières. S’illes avaient été intelligent-e-s, illes n’auraient pas paradé en uniforme et en véhicule, avec les autres syndiqué-e-s de la ville. Illes auraient employé plus de discrétion, de subtilité. Mais les flics n’ont pas besoin de faire preuve de finesse pour tromper des tas ahuris de citoyen-ne-s crédules. La sélection naturelle et les luttes de pouvoir n’avantagent pas nécessairement un QI élevé. Disons donc que leurs mensonges et exactions sont manifestes, sans toutefois nuire considérablement à leur position. Pourquoi? Sans doute parce que l’arme de prédilection des flics, c’est leur brutalité, pas l’intelligence. Et que la brutalité savamment appliquée est efficace.
En revanche, l’idiotie des politicien-ne-s finira par leur être fatale. Ce sont les politicien-ne-s qui ont accordé ce pouvoir aux flics. En 2012, mais aussi bien avant, illes ont lâché les chiens sur nous. La classe politique croyait sincèrement que les flics resteraient leurs ami-e-s fidèles et obéissant-e-s, qu’illes reviendraient s’asseoir dès qu’on leur crierait: au pied! Mais lâchée lousse, la police en a profité et se retourne maintenant contre elle (on se souvient entre autres de la querelle entre Hébert et Parent, encore une fois je vous réfère à mon texte de 2013), se servant du prétexte de la corruption[2] ou sincèrement préoccupée par le fond de pension de ses membres. Et les politicien-ne-s, profondément abruti-e-s, continuent de leur accorder de l’équipement neuf, des budgets élargis, et d’appuyer des règlements liberticides[3]. Normal, d’un certain point de vue: étant non-armé-e-s et ne possédant pas le monopole d’une violence physique directe, les élu-e-s ont profondément besoin des flics, beaucoup plus que l’inverse. Qu’aurait fait le maire de Mascouche si sa police avait refusé d’évacuer les dissident-e-s lors de ses conseils, jugeant qu’illes ne commettaient pas d’infraction?
Conclusion
Si le pouvoir civil était clairvoyant et dynamique, il chercherait ailleurs que chez la police le moyen de se faire respecter par la population, et lui retirerait une série de privilèges (par exemple, le règlement P-6!) tout en coupant son budget – et pas ses fonds de pension. Mais ceci n’arrivera pas. On ne peut pas compter sur les politicien-ne-s pour nous sauver de l’État policier, que celui-ci leur nuise ou pas. L’État est junkie de flics. Il augmente les doses petit à petit pour encore avoir son buzz. Et il y aura pas de désintox; juste une surdose, juste la mort.
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[1] Si les flics étaient jugé-e-s au criminel avec une cruauté équivalente à celle que subissent les activistes de gauche, il y en aurait eu des dizaines, voire des centaines en prison. Mais je ne la leur souhaiterai pas, parce que je suis contre la prison.
[2] Et en terme de corruption et de mafia, la police n’est pas en reste. Souvenons-nous du cas de Benoît Roberge, mais aussi de Philippe Paul. Deux grosses pointures. Et il y a aussi l’histoire trouble de Peter de Castris, (SQ), qui avait intimidé (et fait tabasser?) un fonctionnaire de Beaconsfield pour obtenir un permis. Ce ne sont que des exemples.
[3] Et que dire du choix de Poëti au sein du conseil des ministres? Ayant minimisé les gestes des flics du SPVM mardi dernier, il prend bien soin de rester fidèle à son ancienne carrière de casseur de gueules.
Le projet de loi C-36 ou la preuve que les Conservateurs ne peuvent être alliés de personne sauf de la droite catho
by pwll on Juin.09, 2014, under féminisme, Général
Je me considère abolitionniste, et pour les passionné-e-s de constitution : non, je ne crois pas que le projet de loi passerait en Cour suprême (mais bon…je ne suis ni juriste ni constitutionnaliste). Et parce que cette question devrait être de l’ordre du politique et non de l’interprétation des lois existantes, je crois que les abolitionnistes devraient continuer à faire pression partout pour exposer leurs témoignages et leur analyses. Les Conservateurs et la droite chrétienne ne sont pas nos allié-e-s… pour plein de raisons.
Tout d’abord une parenthèse… Bien sûr que j’ai un malaise à admettre que mon abolitionnisme doit, dans notre contexte, aussi passer des actions de l’État. Mais comme pour ma lutte pour l’éducation en particulier et pour une meilleure justice sociale en général, je reconnais que l’État s’accapare les ressources et la légitimité nécessaires, donc oui, comme pour de meilleurs logements sociaux, pour des soins de santé gratuits et/ou pour permettre à des personnes de l’industrie du sexe de s’en sortir si elles le veulent je pense que faire pression sur l’État peut être nécessaire.
Ceci étant dit… Le projet de loi C-36 me fait quand même froncer le nez. Je suis d’accord qu’il s’attaque aux clients et aux proxénètes et non plus aux personnes de l’industrie, et qu’il permet de penser la prostitution comme de l’exploitation. Mais les Conservateurs n’auront pas une médaille de ma part pour ne pas pénaliser les personnes prostituées, je trouve que c’est la moindre des choses. D’ailleurs, j’aime bien le préambule, ça utilise des mots comme exploitation, violence, dommages sociaux, et chosification du corps humain. Ça peut être bien dans un futur, ou dans un monde judiciaire, mais dans un espace temps plus concret ce n’est pas une garantie suffisante de changement social. Et c’est peut-être dû au milieu militant duquel je viens, mais les considérants ne font pas partie de la proposition, et bien que le préambule mette la table à une autre vision de la prostitution qu’un simple exercice marchand entre deux personnes libres et égales, il me semble que c’est les articles de loi qui sont importants et performatifs. Et même le sommaire est très clair : le projet de loi C-36 crée des infractions, plein d’infractions, et pas d’ouvertures.
À mon avis, l’esprit dans lequel est créé ce projet de loi, la partie sur les enfants, et la somme ridicule investie dans un flou « pour aider les femmes à sortir de la prostitution » sont des aspects inquiétants de ce nouveau tournant, et je suis déçue de voir que des camarades féministes abolitionnistes se contentent de voir les bon côté du C-36 en laissant de côté la construction moraliste et puritaine que ça exprime. Si je suis abolitionniste c’est parce que je vise à plus de justice sociale et d’égalité des chances, pas parce que je veux « sauver la dignité » de certaines personnes.
Le titre même me fait tiquer: « Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation. » La protection des collectivités ? Vraiment ? Keeping our streets and communities safe ? Les rues ? Pas les personnes ? Protéger la collectivité de la prostitution ? Comme d’une maladie ? Protect those who are most vulnerable by going after the perpetrators, the perverts, those who are consumers of this degrading practice. Les pervers ? Sérieux ? Les pervers ?! There will always be an inherent danger in this degrading activity. Euh quoi ?! Autant ça me fait vomir et hurler quand je vois des gens de l’industrie commander à d’autres qu’elles n’ont pas à se sentir dégradée, malheureuses ou violentées, autant je ne vais JAMAIS accepter qu’on oblige des gens qui se sentent bien à se sentir dégradés. De la même manière, tous les passages qui parlent d’endroits publics, d’interférence à la circulation, ou de vue du public, me lèvent le cœur. Il est question ici de cacher la prostitution, parce que dans la morale conservatrice il ne faut pas permettre plus d’égalité, mais simplement cacher ce qu’ils ne veulent pas voir. Vous êtes laids les Conservateurs !!!
Ce que je constate, c’est des interdictions, mais absolument rien pour accueillir les personnes – femmes ou hommes- qui voudront faire le choix de ne plus faire partie de l’industrie. Bien sûr que tout le monde est contre l’exploitation des gens, mais juste l’écrire ça ne donne rien si ce n’est pas accompagné par des mesures sociales (et de l’argent pour ces mesures), ainsi qu’un changement de mentalités pour ne plus permettre de stigmatiser, de rabaisser, et d’invisibiliser. Acquiescer au fait que la violence sertest intrinsèque à la prostitution c’est pas mal, mais ne rien faire, ne pas nommer, ne pas dénoncer cette violence économique, cette culture machiste, et cette libéralisation du marché des corps humains, qui permettent l’exploitation sexuelle c’est rester dans une logique moraliste qui n’est utile en rien à la « dignité » des gens de l’industrie.
Non les Conservateurs, vous n’êtes pas mes alliés.
Je trouve que le discours est important, non la fin ne justifie pas les moyens. Et ce qui me dérange aussi, au delà du flou artistique sur le comment cette loi va permettre une meilleure qualité de vie à des gens et une ouverture à plus de choix, c’est que ce discours moraliste invisibilise totalement la volonté de justice sociale du militantisme abolitionniste. En acceptant ce projet de loi sans aucune critique de fond car il rend enfin visibles les clients (enfin oui il était temps!), il nous fait nous allier avec des gens avec qui nous n’avons pas grand-chose en commun et mettre de côté des allié-e-s potentiel-le-s.
Les féministes abolitionnistes ne devraient pas avoir honte de dire haut et fort que la pensée qui sous-tend ce projet de loi n’est pas féministe. Les motivations du gouvernement sont minablement basées dans une droite chrétienne. La pensée qui sous-tend cette motivation est réactionnaire, moraliste et puritaine, et tout le monde s’en rend compte. Continuer à s’associer au projet de loi c-36 parce que certains aspects vont dans le sens qu’on aimerait c’est mettre de côté la base fondamentale sur laquelle notre idéal abolitionniste évolue : celui de la justice et de l’équité sociale. Je pense que le calcul politique de s’associer ou se dissocier totalement du projet de loi ne doit pas perdre de vue la possibilité que celui-ci ne finisse jamais par être une loi et que le gouvernement conservateur le sait. Platement ça pourrait être un calcul politique sachant que les élections arriveraient assez vite. Alors pourquoi dire qu’on s’associe à des idées conservatrices, qui ne deviendront très probablement pas des lois, quand nous voulons en fait quelque chose de différent des conservateurs. Quelque chose qui vient toucher d’autres acteurs et permet de nouer des solidarités.
D’un autre côté, je tiens à dire que je suis aussi déçue (et terrifiée) par le traitement médiatique que ce projet de loi a eu. Ainsi, Le Devoir, l’Actualité, et des groupes pro-travail du sexe, s’étendent sur la ridicule consultation en ligne que le gouvernement conservateur a commandée en disant que c’est là-dessus que celui-ci se base pour son projet de loi et ce nouveau vocabulaire. Heille gang ! Une méthodologie de marde ne vous donne aucun droit de faire preuve de mauvaise foi et de passer outre le fait que beaucoup de groupes de femmes, certaines qui se considèrent elles-même comme survivantes de l’industrie, sont contre la vision de la prostitution comme étant d’une activité économique banale entre deux adultes consentants. Que leurs témoignages, leurs voix, leurs expériences et leur désir de mobilisation sur cette question soient invisibilisés et amenuisés juste parce que le gouvernement conservateur est, lui, moraliste, puritain, et laid, je trouve ça cheap shot rare.
Les arguments que je lis depuis quelques jours me font sortir les yeux de la tête. Tout le monde acquiesce que les contacts avec les clients peuvent être très dangereux, même mortels. Il semble donc y avoir un consensus comme quoi les clients peuvent être dangereux, tellement dangereux que de base, on ne fait pas confiance à ceux qui veulent acheter du sexe dans la rue (l’argument de « il faut que la prostituée puisse jaser avec son client pour se rendre compte que ce n’est pas un psycho qui va la couper en morceaux » est celui qui revient le plus pour attaquer le fait qu’elles/ils ne pourront plus prendre du temps dans la rue parce que les conservateurs ne veulent pas que ça se voit). Mais on ne relie pas le fait que, collectivement, nous n’avons pas confiance en ces potentiels « acheteurs » et le fait que c’est un travail particulier qui amène des demandeurs particuliers ?! On s’attend à ce que cette activité fasse rencontrer des personnes dangereuses, mais on n’est pas capable de se dire que ces gens-là ont été socialisés de manière à permettre ça et qu’il y aurait donc sûrement des choses à changer dans notre manière de voir le corps des femmes, ou sur le droit d’accès marchand à celles-ci ?
Et le pire du pire: This sort of “screening,” the ruling said, might have “prevented one woman from jumping into Robert Pickton’s car.” Ainsi, si une femme se fait tuer, c’est parce qu’elle n’a pas assez eu de temps pour « gager » son client ??? Ainsi, la responsabilité de sa sécurité est encore sur ses épaules à elle ? À la place de viser les gens, les comportements et les discours qui permettent la violence sur les personnes prostituées, on va leur dire d’être « plus prudentes » ?
C’est dégueulasse, et pourtant ce ne sont pas des Conservateurs qui disent ça.
C’est pour ça que je suis encore pleine d’espoir. Parce que des aspects fondamentaux qui relient les féministes abolitionnistes et les pro-travail du sexe c’est la sécurité des femmes et des hommes ainsi que leur libre choix de faire partie de l’industrie. Et ce n’est pas ça que les conservateurs visent, mais ce n’est pas non plus ce que nous allons accomplir si nous nous cachons la tête dans le sable par rapport aux risques inhérents à une mentalité qui banalise l’utilisation et la marchandisation des corps.
Les Conservateurs ne sont pas nos alliés. Nos allié-e-s sont du côté des gens et des groupes qui visent à transformer les mentalités et les pratiques sociales. Mes allié-e-s sont du côté des gens qui veulent plus d’ouvertures et de possibilités pour les gens qui sont dans la prostitution. Je veux des programmes sociaux, un salaire minimum plus élevé, de l’intégration à l’emploi, de l’éducation à tous les niveaux, des garderies gratuites avec des horaires différents, des centres de repos et d’écoute, ainsi que des rencontres selon les besoins avec d’autres qui ont décidé de sortir de l’industrie mais aussi avec celles/ceux qui décident d’y rester et de s’organiser de manière autonome. Et ça, ça sera seulement possible si on continue a tisser des solidarités avec des allié-e-s objectives oui, mais qui visent à une transformation sociale, pas à un camouflage esthétique.
Traditionalisme ou barbarie – le cas de Bock-Côté
by Umzidiu Meiktok on Mai.14, 2014, under Général
Notre définition usuelle de la civilisation
La civilisation ne se caractérise pas par un haut niveau d’empathie ressenti par les membres d’une collectivité quelconque, mais par une cohabitation sociale et normée entre des êtres humains généralement désignés à notre époque par le terme de citoyen-ne-s (civis).
Quand on est «civilisé-e», il n’est pas question de respecter chaque être humain formant le tout mais de respecter des normes établies, qu’elles aient force de loi ou pas. Quand on s’appelle Mathieu Bock-Côté, ces normes sont surtout l’usage « correct » de la langue française et les bonnes manières. Cela peut revêtir, pour lui, une importance inattendue: « Car le respect des formes contribue à la pacification des mœurs. » On pourrait passer beaucoup de temps à démolir cette assertion, mot par mot, et montrer en quoi toutes les disciplines des sciences humaines tendent à prouver que le respect des formes, c’est-à-dire ni plus ni moins le respect des traditions est une valeur ridicule et contradictoire, qui ne peut survivre à une réelle prise de conscience du changement historique[1]. Mais on y reviendra une autre fois.
De l’aveu même de Bock-Côté – et c’est aussi mon avis – la civilisation est la répression de nos désirs et cela se fait donc au service de normes qui ne conviennent pas à nos aspirations. Il y voit une chose extraordinaire, une lutte héroïque menée contre la brutalité. Moi j’y vois au contraire une canalisation de la violence dans la destruction systématique de tout ce qui sort du rang.
Ce qu’on considère comme barbare
Quand je surprends une discussion sur l’excision des jeunes filles quelque part en pays éloigné, j’entends inévitablement le même commentaire: « coutume barbare ». Il est évident que je suis, au-delà de tout relativisme culturel, opposé à une pratique aussi violente. Je garde espoir que dans certains cas, cette mutilation puisse être corrigée par chirurgie.
Certaines campagnes anti-excision, comme en Haute-Égypte, donnent par ailleurs des résultats. Mais cette pratique est loin d’avoir disparu.
Beaucoup sont horrifié-e-s par le maintien de cette tradition, qu’on associe généralement à des sociétés sous-développées, primitives, aux codes culturels peu raffinés. Et pourtant, cette barbarie qu’on leur attribue représente selon moi le comble de la civilisation, du moins selon la définition usuelle également partagée par Mathieu Bock-Côté.
Car l’excision du clitoris, de même que, parfois, la tradition de l’ablation du prépuce (surtout en Occident chrétien), vise une chose: contrôler les dérives du désir, servir des normes sociales difficilement atteignables sans mutilation. Il s’agit en fait de mettre le bistouri au service de la civilisation: forcer le corps à adopter une posture ou un comportement bien vu culturellement. Ici, on parle de tenter de contrer la masturbation dans un cas (tout dépendant de la culture qui l’applique), et tout plaisir sexuel génital dans l’autre, puisque ce dernier pourrait avoir lieu à l’extérieur des liens sacrés du mariage.
Les règles inventées avec le progrès des civilisations tendent généralement vers une affirmation plus solide des schémas de domination. L’honneur familial, qui pollue la vie de la progéniture humaine, vise à protéger les privilèges du patriarcat. Le contrat de mariage (incluant la dot) entre les pères de deux époux/ses est une manière de fixer sur papier une violence qui autrement aurait été écrite à coups de poing dans la chair. Mais il s’agit de la même violence, de la même brutalité. Elle a simplement gagné en efficacité et en raffinement. Dans notre culture démocrate libérale, on observe la même brutalité chez les flics, les politicien-ne-s et les juges qui disent vouloir protéger le « droit des citoyens à la circulation » et violent ironiquement la liberté de circuler à pieds ou à vélo, ou de contester.
Tout le monde n’est pas civilisé
Une personne civilisée, dans l’espace public, est une personne qui, lorsqu’elle s’exprime, emprunte le langage des dominants et respecte les normes à la mode chez l’élite. Ce qui permet à Mathieu Bock-Côté d’être aussi pédant et d’écrire autant d’idioties, ce n’est pas tant son originalité ou la portée de ses idées que sa connaissance et son utilisation des codes culturels – quoique vieillots – en cours dans les médias traditionnels. Idem pour Christian Dufour, qui en 2012, s’était quand même permis de dire que le discours de Gabriel Nadeau-Dubois était celui d’un « batteur de femmes » sans qu’on ait tous et toutes l’impression qu’il manque de classe.
Mais le problème, c’est qu’il existe quelque chose à l’extérieur des médias traditionnels. En cela, Bock-Côté n’est pas nostalgique d’une époque à laquelle tout le monde était poli et bien habillé. Il est nostalgique d’une époque (imaginaire) à laquelle rien ne se rendait jusqu’à nous, public ahuri, sans avoir été approuvé au préalable par une autorité supérieure. C’est ça, la civilisation: on transmet la culture au sommet de la pyramide, et elle s’écoule lentement vers le bas, jusqu’à une base qui n’a pas accès à l’expression, parce qu’on ignore ou rejette sciemment tout ce qui n’est pas conforme ou ce qui n’a pas les moyens de diffuser un discours.
À la limite, Bock-Côté est nostalgique d’une époque (imaginaire) pendant laquelle seulement Bock-Côté pouvait s’exprimer.
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[1] Et soyons sérieux/ses, ce que les nationalistes entendent toujours par « conscience historique », ça n’a rien à voir avec l’histoire et tout à voir avec les mythes fondateurs ou les mythes nationaux.
Albert Camus et la pensée libertaire: une entrevue avec Lou Marin
by pwll on Avr.28, 2014, under Archives, Général
Interview : pwll & Sebastian Kalicha
– Vous êtes l’éditeur du livre « Albert Camus. Écrits libertaires (1948-1960) ». Le lien entre Camus et la pensée libertaire peut sembler surprenant pour quelques personnes. Pourquoi pensez-vous que ce lien est légitime et mérite d’être souligné?
Ce lien entre pensée libertaire et Camus n’est surprenant que pour primo, les marxistes et des militants d’une gauche autoritaire qui ne se sont jamais fait la peine de respecter la capacité théorique de la pensée libertaire ni de rechercher sur les pages des journaux libertaires de langue française et de langue espagnole d’après-guerre des articles de Camus, et secundo, pour un milieu de recherches, notamment dans les pays anglophones, où le point de vue de Sartre dominait toujours sur Camus suite à leur rupture en 1951/52. C’est ainsi que j’y constate un grand retard de connaissance sur le positionnement libertaire de Camus pendant les années d’après-guerre par rapport aux pays francophones, hispaniques ou germanophones, où il y a plusieurs livres de recherches et même des colloques faits par des universitaires et des militants du mouvement anarchiste ensemble. Comme, par exemple, le colloque à Lourmarin, en France du Sud en 2008 où se trouvaient une centaine de militants et de chercheurs anarchistes pour présenter et discuter de leurs travaux sur Camus. Ceci dit, la pensée de Camus n’est guère surprenante. Surprenante est seulement l’ignorance grossière de beaucoup de chercheurs sur Camus qui n’ont jamais fouillé des pages des journaux libertaires des années cinquante en langue française et espagnole avec un intérêt sérieux. Puisque la plus grande partie du journalisme de Camus dans les années cinquante se joue dans ces petits journaux libertaires, ses prises de position à côté des anarchistes méritent d’être mises de l’avant. La petite phase de son journalisme social-démocrate, connu en 1954/55 dans la revue Express, est éphémère par rapport à ça et est en deuxième rang en tant que dernière tentative de Camus d’influencer au niveau politique. Ce qui fut un grand échec – qu’il a avoué, d’ailleurs, devant ses ami/es anarchistes. De toutes les professions qu’a exercé Camus, il restait journaliste avant tout. Mais en fait, il n’est même pas absolument nécessaire de regarder dans ces journaux, puisque si l’on a lu ses grandes œuvres littéraires et philosophiques, on pourrait bien remarquer explicitement son orientation libertaire. Dans la dernière partie de L’Homme révolté, il s’appuie clairement sur la tradition bakouniste de la 1ère Internationale et dans la pièce de théâtre, L’État de siège, par exemple, le protagoniste principal, Diego, est anarchiste.
– Une critique récente de votre livre s’intitule « Albert Camus, Anarchosyndikalist ». Pouvez-vous nous éclairer sur cette connexion? Et parlant d’anarcho-syndicalisme : Camus était aussi impliqué dans les questions de la Guerre civile espagnole, quel était l’esprit de cette implication et quels en étaient les principaux aspects?
C’est une critique très favorable, d’ailleurs. Via la connaissance de Rirette Maîtrejean, qui a exercé la profession de correctrice au marbre des journaux, Camus était introduit dès 1940 au monde des correcteurs/correctrices, des imprimeurs, des typographes, linotypistes, etc., qui étaient presque tous organisés dans des groupements anarcho-syndicalistes. Toute sa vie en tant que journaliste, Camus a vécu de grandes amitiés avec les travailleurs du livre et au marbre des journaux. Un de ses ami/es phares fut l’anarcho-syndicaliste d’origine russe Nicolas Lazarevitch, correcteur, qui a fourni du matériel sur l’histoire des révolutionnaires russes et fut décisif dans la rupture de Camus avec les trotskistes au sein des Groupes de liaison internationale en 1949/50, avant que Camus participe à la revue syndicalisme révolutionnaire La Révolution prolétarienne, pendant toutes les années cinquante. Quant au syndicalisme, une rencontre phare par rapport à l’Algérie fut la connaissance de Camus du milieu syndicaliste de l’indépendantiste Messali Hadji, un courant concurrentiel du FLN (Front de libération nationale), qu’il a soutenu tout au long de la guerre d’Algérie dans une guerre fratricide au sein du mouvement pour l’indépendance de l’Algérie. L’épouse de Messali, Émilie Busquant, fut anarcho-syndicaliste, fille d’un mineur anarcho-syndicaliste de Lorraine. C’est elle qui a introduit Messali Hadj au milieu anarcho-syndicaliste français. Il se sentait parmi ce milieu comme « chez soi » et a adopté une stratégie d’atteindre l’indépendance d’Algérie en s’alliant avec les courants les plus radicaux du mouvement ouvrier français. Camus l’a toujours défendu, notamment contre les attaques des intellectuels du FLN comme Sartre ou Frantz Fanon. Ce dernier a même justifié des massacres du FLN contre les Messalistes, comme à Melouza en 1956.
Quant aux Espagnols, il a soutenu les exilés anarchistes et anarcho-syndicalistes des CNT et FAI en exil en France après la Deuxième Guerre mondiale, dont la situation était très précaire. En fait, Camus fut, avec le grand chansonnier Georges Brassens, le donateur phare de l’aide financière pour le milieu anarchiste espagnol en exil en France. En plus, il a mené plusieurs campagnes publiques en soutien aux anarchistes et militants de la CNT qui étaient dans les geôles franquistes ou menacés de la peine capitale. À tout ça, il faut ajouter que ses activités aux côtés des anarchosyndicalistes ou du syndicalisme révolutionnaire n’ont pas du tout été les seules activités de Camus au sein du mouvement libertaire. En fait, il a noué des amitiés et a soutenu presque tous les courants libertaires.
– L’anarchiste Rirette Maîtrejean semble avoir beaucoup d’importance dans le rapprochement de Camus de la pensée libertaire. Qu’est-ce qui la rend déterminante pour Camus et pouvez-vous nous en dire plus sur son approche de l’anarchisme?
Rirette Maîtrejean fut une grande dame de l’anarchisme français.
Quand Camus, juste arrivé à Paris, a fait la connaissance de Rirette Maîtrejean en 1940, elle était correctrice au marbre d’un journal bourgeois pour gagner sa vie. Ils se sont entretenus notamment sur le parcours biographique de Victor Serge. Comme indiqué dans le livre, c’est Rirette qui l’a introduit au milieu anarcho-syndicaliste de l’époque, notamment pendant les trois mois de l’exode de 1940, en fuite de l’occupation de Paris par les nazis. À cette époque tendue, ils ont été ensemble tout le temps et fuyaient via Clermont-Ferrand jusqu’à Lyon, en zone non occupée. Rirette lui a raconté toute sa vie en tant que militante anarchiste, ce qui fut une sorte d’introduction dans la mouvance libertaire que Camus ne connaissait que de manière éphémère jusque-là. Rirette fut l’amie de Victor Serge dans la phase phare de l’anarchisme français de l’avant-Première Guerre mondiale. Elle a vécu les communautés libertaires en dehors du système, aussi la phase du terrorisme individuel, notamment les braquages amateurs du Groupe Bonnot, causant des vies d’innocents. Dans l’immédiat, elle a aidé les membres de ce groupe dans leur fuite des perquisitions policières, mais dans son autobiographie sur cette époque, Souvenirs d’anarchie, paru en août 1913, elle a fortement critiqué ces actions. Cette histoire, racontée par Rirette à Camus, a installé une certaine méfiance chez Camus pour la lutte armée. Méfiance qu’il a gardé de toute sa vie, même quand il s’est battu contre les nazis en propageant la lutte armée au sein du mouvement de résistance Combat. Cette propagande de lutte armée a cédé sa place à une évolution vers l’action directe non violente et une critique de plus en plus radicale de la lutte armée, notamment pendant la phase des attentats contre des civils français en Algérie, commis en 1956/57 par le FLN.
D’ailleurs, Camus a retrouvé Rirette Maîtrejean à Paris dans les années d’après-guerre au comité de rédaction parisienne de la revue d’esprit libertaire, Témoins, fondé en 1953 par Jean-Paul Samson à Zurich/Suisse. À côté de Robert Proix ou Gilbert Walusinski, Rirette faisait partie de ce comité, tout comme Camus. Ils se retrouvèrent pour leurs rencontres en privé parfois chez Camus, parfois dans le domicile de Rirette Maîtrejean.
– Camus est bien connu pour ses sympathies envers le mouvement anticolonial algérien, mais également pour ses critiques du FLN. Que pouvez-vous nous dire sur ce sujet, ainsi qu’à propos de l’importance et du rôle de Messali Hadj?
J’ai déjà évoqué le cas de Messali Hadj en tant que syndicaliste révolutionnaire. Il est le plus grand personnage de l’indépendantisme algérien, mais il fut longtemps occulté par le pouvoir algérien ainsi que la gauche autoritaire autour de Sartre en Europe. Déjà en 1927, Messali a prôné l’indépendance et organisé les ouvriers immigrés de l’Algérie en France dans un syndicat nommé ENA (Étoile nord-africaine). Le jeune Camus et ses amis, parmi eux notamment Yves Déchezelles, ont fait la connaissance des Messalistes pour la première fois en les défendant devant la cour du pouvoir colonial. Entre 1935 et 1937, Camus est passé par le PCA, le Parti communiste algérien, sous les ordres du parti communiste français. Il a reçu la tâche de faire des liens avec le mouvement des ouvriers musulmans, organisé dans ce temps-là dans le PPA (Parti du peuple algérien), le parti populaire algérien de Messali. Le PCF a partagé avec le PPA la ligne anticolonialiste, avant que le tournant du PCF, par ordre de Staline de contribuer au Front populaire 1936-38 en France (qui n’était pas du tout anticolonialiste), n’ait demandé à Camus de lâcher ces liens et de dénoncer du jour au lendemain le PPA en tant qu’organisation fasciste et religieuse. Camus a refusé ce tournant, et après deux processus devant le tribunal interne du PCA, Camus fut expulsé du parti en 1937 en tant que « trotskiste ».
Cette amitié avec les Messalistes a duré, malgré des sympathies de Camus d’après-guerre pour Ferhat Abbas et le groupe du Manifeste, un autre courant d’indépendantisme, plutôt libéral, pour une courte durée entre 1945 et 1950. Mais pendant la guerre d’Algérie de 1954-62, déclenché par le FLN, le Front a forcé Abbas à joindre leur rang, d’une manière très violente d’ailleurs, en tuant une partie de la famille d’Abbas et le forçant ainsi à joindre le Front. Avec Abbas au sein du FLN, Camus a retourné ses sympathies vers les Messalistes qui résistaient aux contraintes pour joindre le Front. En fait, le Front est né à cause d’une organisation secrète de l’organisation d’après-guerre de Messali qui s’appelait MTLD (Mouvement pour le triomphe de la Liberté et la Démocratie). Pour un moment d’urgence, Messali a prévu le déclenchement de la lutte armée, mais pas pour l’instant, tant qu’il voyait encore des possibilités d’atteindre l’indépendance avec une combinaison de mouvement de masses et de l’extension du droit électoral en Algérie, qui n’a jamais incorporé tous les Algériens en temps de colonialisme. S’ils arrachaient l’inscription électorale complète, les Algériens avaient forcément la majorité dans leur propre pays et pourraient voter l’indépendance – tels étaient les espoirs un peu naïfs des Messalistes. Mais en 1949 une rafle policière a découvert l’organisation sécrète du MTLD et pour sauvegarder l’organisation de masse, Messali s’est distancé de l’organisation sécrète. C’est de là, la grande rupture des Messalistes avec le futur FLN où sont nés des militants de cette organisation secrète. Ils ont été pleins de rage contre Messali, ont déclenché la lutte armée en 1954 sans informer Messali, alors que celui-ci ne voyait pas encore toute possibilité d’atteindre l’indépendance avec sa stratégie. Et les militants du FLN savaient très bien que la première vague de répression de l’armée française serait menée contre les Messalistes du MTLD, plus tard nommé MNA (Mouvement national algérien, dès 1957 Mouvement nord-africain) qui avait à peu près cent fois plus de militants que le FLN en 1954. Ce dernier n’étant qu’un groupuscule d’une cinquantaine de militants de lutte armée.
Puis, pendant la guerre anticoloniale, finalement aussi menée par le MNA d’une manière armée, mais moins farouchement que par le FLN, il y avait une guerre fratricide au sein des Algériens : FLN contre MNA. Fin 1957, les Messalistes sont abattus à la fois par l’armée française et les forces du FLN. Camus était au courant de tous les événements internes et à cause de ses connaissances des Messalistes sur une période de plus de vingt ans, il ne pouvait pas soutenir le FLN en tant que bourreau du MNA. Il a protesté, au contraire, contre les tueries des syndicalistes messalistes, commis par le FLN, par exemple, en 1957 dans les villes algériennes, et les seuls journaux qui ont publié ses protestations furent Le Monde libertaire et La Révolution prolétarienne. Aucun journal de la gauche française, y compris la revue de Sartre Les Temps modernes, n’a publié de telles protestations, qu’on peut lire dans le livre que j’ai édité. Pire : Ils ont dénoncé les Messalistes d’être des Trotskistes et ont soutenu le FLN inconditionnellement pendant que celui-ci recevait ses armes de l’URSS via l’Égypte de Nasser. Camus de son côté, fut dénoncé à cause de sa critique des méthodes du FLN contre le MNA, comme « colonialiste de bonne volonté » par les Sartristes, par Fanon, etc. Là, exactement, dans ces luttes internes, s’est forgée la structure très autoritaire, militariste, toujours prenant ces décisions d’une manière clandestine, du FLN. Quand on veut comprendre la structure de l’Algérie indépendante depuis plus de 50 ans, on ne peut pas se passer de cette histoire, de la fondation d’une véritable dictature militaire en Algérie au sein du mouvement indépendantiste. Et seulement dans ce cas, on comprend pourquoi une momie comme le président Bouteflicka, qui n’a plus mot à dire, figure comme grotesque président réélu en Algérie aujourd’hui.
Théoriquement, la prise de position de Camus pour les Messalistes a deux significations. D’abord, elle démontre une conception et une réalité pluraliste des mouvements indépendantistes du Tiers monde. Deuxièmement, elle aboutit dans une perspective fédéraliste d’une Algérie libre qui fut la conception postcoloniale de Camus, inspiré par le fédéralisme libertaire.
– Vous êtes aussi l’auteur de “Camus et Sa Critique Libertaire de la Violence”. Camus critiquait sévèrement l’usage de la violence comme outil de lutte politique. Parallèlement, dans “Albert Camus. Écrits libertaires”, des textes indiquent qu’il n’exclut pas la violence dans toutes les situations, tout en ne cessant jamais de la condamner. Pouvez-vous nous donner un aperçu de la critique de Camus sur la violence?
On ne comprend pas les prises de position de Camus sur la violence quand on ne met pas en place une perspective d’évolution de ses positions à cet égard. D’abord, jeune journaliste en Algérie, il fut pacifiste, et non pas anarchiste non violent. C’est une différence importante. Le pacifisme en soi veut que les représentants de l’État négocient la paix, mais que les États restent en place. L’anarchisme non violent, tout au contraire, veut d’abord abolir l’État en tant que l’organisation phare de la violence pour aboutir dans une société de paix sans États. En laissant l’État intact, pas de paix, parce que chaque État pousse naturellement à l’extension du territoire ou à la satisfaction des intérêts nationalistes, économiques et impérialistes et donc à la guerre. Camus, comme beaucoup des pacifistes à l’époque d’avant la Deuxième Guerre mondiale, a même appelé à négocier avec Hitler. Mais après 1939, il s’est vite rendu compte que c’était une position intenable et il a adopté une position de lutte armée pendant sa participation à la résistance contre l’occupation nazie en France. Mais, il faut aussi ajouter qu’il a vécu entre avril 1942 et novembre 1943 à Chambon-sur-Lignon, dans des collines entre Lyon, St.-Étienne et Le Puy, le sauvetage d’environ 5000 juifs, militants, civils et enfants. Cette expérience, combiné avec un aveu des résistants locaux de ne pas déclencher une lutte armée dans cette région pour ne pas condamner cet événement de résistance civile, a aussi marqué Camus profondément. En témoignent les deux personnages phares de son roman « La Peste », qu’il a écrit pendant son séjour à Chambon-sur-Lignon, Rieux et Tarrou. On peut dire que Rieux est une personnification de la lutte armée contre les nazis, et que Tarrou est un militant non violent. Ce qui est intéressant dans le roman et dans l’expérience de Camus, c’est qu’ils luttent ensemble, complémentaires, pour le même but. Il faut comprendre que de cette expérience naît en Camus une haute estime des deux formes de la résistance et aussi une reconnaissance mutuelle. À l’époque de la résistance, Camus penchait encore un peu du côté d’estimer que la lutte armée est indispensable et décisive, quand après la guerre, il penchait de plus en plus du côté de la lutte non violente. Après la guerre, choqué par la bombe atomique à Hiroshima, il a de plus en plus réfléchi à la question de la lutte non violente. On peut en déduire un changement des compréhensions et dénominations de plus en plus conscientes quant à la non-violence, ce que j’ai mis en perspective dans le livre que vous avez évoqué au début de votre question. Le point de départ de l’Après-guerre pour Camus était que la non-violence absolue n’était qu’un constat insuffisant de pratiquement ne rien faire, de laisser tout passer, et donc de subir la violence des bourreaux. Mais de plus en plus il a appris que la lutte non violente n’est pas une manière de ne rien faire, mais un vrai combat, comme il l’a déjà vécu à Chambon-sur-Lignon.
Il est intéressant, par exemple, de noter comment ses commentaires par rapport à Mahatma Gandhi, et sa forme de lutte anticoloniale, ont changé pendant ce temps-là. D’abord, Camus jugeait que les formes de lutte de Gandhi n’étaient pas faites pour être empruntées par la masse de gens ordinaires. Il a donc jugé Gandhi comme un saint, honorable, mais singulier, avec une éthique non atteignable pour les gens normaux comme lui. Cette perception a changé au fil des années chez Camus. En 1956 il mentionnait Gandhi en tant que personnage le plus important du 20e siècle. Et en 1958, en déclenchant, en concert avec Louis Lecoin, la campagne pour les objecteurs de conscience, vraiment très importante en pleine guerre coloniale, il pouvait finalement écrire des phrases comme : « La non-violence, qu’on prétend si souvent tourner en dérision, s’est révélée en maints cas très efficace, alors que la résistance armée a manqué le plus souvent son but. L’importance du mouvement de Gandhi, à cet égard, n’est plus à dire » (p. 30, Albert Camus, écrits libertaires). Et à propos de la lutte indépendantiste de l’Algérie et sa propre critique de la lutte armée du FLN, Camus écrivait en même année : « Après tout, Gandhi a prouvé qu’on pouvait lutter pour son peuple et vaincre, sans cesser un seul jour de rester estimable. » D’ailleurs, j’ai aussi fait des recherches et publié sur le côté anarchiste de Gandhi, qui a, en effet, connu et correspondait avec des anarchistes, notamment Bart de Ligt des Pays-Bas. Je vous conseille sur ce sujet le nouveau livre de Maia Ramnath : Decolonizing Anarchism, paru chez AK Press, que je trouve important à cet égard.
– Vous avez inclus un long débat entre Camus et l’anarcho-syndicaliste Gaston Leval à propos des implications anarchistes de son œuvre principale “L’homme révolté”. Par moments le ton monte et Leval accuse Camus de dépeindre une fausse idée de la pensée politique de Bakounine. Pourquoi pensez-vous que ce débat méritait d’être réimprimé et présenté dans ce livre?
Les anarchistes commémorent cette année le bicentenaire de Bakounine. Ce n’est pas un personnage mort depuis longtemps, mais encore un des plus importants anarchistes de tous les temps. Son actualité à l’époque de Camus montre déjà cette controverse entre Gaston Leval et Camus dans les colonnes du journal Le Libertaire. Camus voulait montrer, déjà dans son livre L’Homme révolté qu’il existait un côté autoritaire, clandestin, destructeur, finalement nihiliste, chez Bakounine et l’a démontré via la liaison de Bakounine avec le révolutionnaire autoritaire et meurtrier russe Sergej Netchajev. Leval, par contre, voulait montrer dans les colonnes du Libertaire que Bakounine n’était pas du tout le simple destructeur négatif, mais a dépeint un immense tableau positif et constructif de la société libre de domination. À mon avis, tous les deux avaient raison. Camus a répondu à Leval, qu’il se sentait plutôt bien instruit par les explications de Laval, mais qu’il n’abandonne pas sa critique du côté clandestin, netchajevien de Bakounine. Ce que Laval, d’ailleurs, n’avait pas nié du tout. Donc, pour Camus c’était important de cibler l’aspect nihiliste de Bakounine tout en s’identifiant avec ce personnage anarchiste jusqu’à constater que : Bakounine est « vivant en moi » aussi. Si on veut lire un débat d’immense actualité sur Bakounine à l’occasion du bicentenaire, c’est exactement ce débat-là qu’il faut lire.
D’ailleurs, j’aimerais signaler que, à mon avis, le débat entre Sartre, penchant du côté communiste à l’époque, et Camus, penchant du côté libertaire, fut un remake légitime et contemporain pour le 20e siècle de ce que fut le clivage entre Marx et Bakounine pour le 19e siècle.
– Quel sens et quelle portée croyez-vous que la pensée de Camus peut, ou devrait avoir, pour les anarchistes contemporains?
Je leur conseille notamment la lecture de L’Homme révolté. La conception de la révolte de Camus est, à mon avis, encore aujourd’hui une inspiration pour une analyse libertaire de ce que s’est passé dans les révoltes arabes, dans le mouvement Taksim en Turquie, dans les mouvements des Indignados à Madrid ou bien dans mouvement Occupy à New York et d’autres villes. C’est, d’ailleurs, la conception la plus radicale de la révolte que je connais. C’est un manuel avec lequel on peut se situer et analyser où on en est avec sa propre révolte. C’est pour ça que ce livre est lu encore aujourd’hui aux places Tahrir en Caire ou Taksim en Istanbul. C’est la description d’un point de départ radical de chaque révolte et sa relation avec la révolution. Ce n’est pas du tout la négation de la révolution par la révolte comme veulent le voir beaucoup des détracteurs de Camus. C’est le choix que l’on doit faire entre une révolution qui perd et même trahit les origines de la révolte ou bien garde la mémoire intacte de ce départ de la révolte au fur et à mesure de son parcours. L’idéal d’une révolte, ce sont les premiers jours en Tahrir, par exemple, sans l’influence dominante des intégristes religieux, avec une vraie égalité dans l’action des hommes et des femmes, mais aussi sans l’emprise du pouvoir dictatorial des militaires. Avec ce manuel on pourrait dire qu’en Égypte aujourd’hui l’origine de la révolte, la mémoire de ces premiers jours de joie, de l’effondrement, au moins momentanément, de l’ancien régime, est trahi depuis la dictature militaire – et on pourrait aussi dire que, d’une certaine manière, cette mémoire est, en partie, encore intacte en Tunisie où l’institutionnalisation de la révolte dans la nouvelle constitution a fixé au moins la libre expression et l’égalité hommes-femmes. Ce qui n’est pas tout, mais au moins une partie de fidélité – mot de Camus – de la révolution à l’origine de la révolte, notamment en comparaison avec les autres pays où les révoltes arabes se sont étouffées dans les trahisons, dans la négation des limites émancipatrices que l’origine de la révolte a mise en lumière.
De la même façon on peut dire qu’aujourd’hui la révolution zapatiste au Mexique, a gardé, du moins dans une partie importante, l’esprit et la mémoire d’un départ de la révolte, même quand ce départ fut armé, mais seulement pour un très court temps et que le mouvement civil a montré aux guérilleros qu’ils n’aimaient plus une guerre civile comme ils ont vécu entre 1911 à 1917. Donc, ces analyses peuvent montrer, à quel niveau et dans quelle situation l’esprit de la révolte peut rester en partie intact et fidèle. La conception de révolte de Camus n’est pas condamnée à l’échec de la révolution, même quand ce fut le cas dans les révolutions française et russe qu’il analyse dans ce livre. Il existe la possibilité, selon Camus, que la révolution garde la mémoire de l’origine de la révolte. C’est pour ça qu’il a souhaité que la révolte : « si elle veut une révolution, elle la veut en faveur de la vie, non contre elle (…) et lorsqu’elle fait avancer l’histoire et soulage la douleur des hommes, elle le fait sans terreur, sinon sans violence et dans les conditions politiques les plus différentes » (p. 153 Albert Camus, écrits libertaires). Ça, c’est l’actualité de Camus pour nous, les militants libertaires au sein des mouvements sociaux.
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Lou Marin est auteur, traducteur et éditeur et vit à Marseille, en France. Il fait partie d’un collectif publiant un journal anarchiste allemand mensuel, Graswurzelrevolution, et a écrit, ainsi que publié, plusieurs livres et articles sur Albert Camus en français et en allemand.
Albert Camus, écrits libertaires (1948-1960), rassemblés et présentés par Lou Marin, éditions Égrégores et Indigène, 342 pages. n° ISBN 979-10-90354-37-1
La démocratie ne sait que s’imposer.
by Umzidiu Meiktok on Avr.18, 2014, under Général
Je n’y pensais plus depuis un certain temps, mais voilà que Bakou est intervenu sur l’utilité du vote en renversant le fardeau moral sur le dos des électeurs/trices incrédules. Il y a en effet quasi-unanimité sur le sujet: le vote est un devoir. Ceux et celles qui votent « achètent leur droit de s’exprimer ». Comme si un droit devait pouvoir s’acheter. Encore: il faut voter, parce que nos ancêtres sont morts pour ça. Ah ouais?
Les arguments moralisant les abstentionnistes sont au mieux des tautologies. Pas étonnant: on ne questionne pas davantage le vote que la forme sphérique de notre planète. C’est considéré comme une évidence, et les évidences, eh bien peu de personnes pensent à les défendre convenablement.
La démocratie parlementaire est vue comme l’exemple même de la vertu, de la perfection à laquelle toute société se disant moderne doit aspirer. Atteindre à la légitimité de ce système en restant chez soi le jour des élections, c’est un affront épouvantable. Ça dérange. Alors dire, comme Bakou, que le vote est nuisible! Ça apparaît totalement incongru. Comme si on disait que recycler c’est mal, et renverser des poubelles c’est bien.
Non, je ne suis pas un démocrate.
Je tiens à le clarifier dès le départ. Je ne suis pas pour la démocratie, du moins au sens qu’on lui donne habituellement: celle d’une dictature de la majorité sur les minorités. Je ne repasserai pas sur les arguments mathématiques critiquant la démocratie: disons simplement que des théoriciens des Lumières, dont Condorcet (et merci à Anne Archet de l’avoir signalé dans un statut inspirant sur Facebook), y pensaient déjà.
Être en faveur de la démocratie, représentative ou directe, libérale ou radicale, c’est accepter que les décisions d’un groupe, qui est souvent étranger à nos intérêts, puissent nous affecter[1] et être appliquées par la force.
Actuellement, sans manipulations comptables ou sans faire d’argent, il est à peu près impossible de refuser de financer l’armée, les subventions aux entreprises polluantes, la police, les prisons, etc. Nous devons impérativement non seulement accepter, mais participer à ces décisions prises démocratiquement. Nous devons financer des projets qui nous nuisent au quotidien, et nuisent à d’autres, jusqu’à causer leur mort. La démocratie étend (parfois) du sang sur les mains de ceux et celles qui en acceptent les règles, ceux et celles qui font des révérences aux élu-e-s en disant après les élections que « le peuple a parlé ». Je concède qu’il est cependant défendable de dire qu’il est possible de voter sans accepter les règles.
La gauche a une vision idéalisée de la population. Les plus démocrates pensent que si celle-ci prenait réellement les décisions, tout irait mieux, car ça ferait moins de pouvoir du fameux 1% sur le 99%. Mais la vérité, c’est que la majorité est insensible aux problèmes particuliers. La majorité n’est pas atteinte de maladies aux noms imprononçables. La majorité n’habite pas dans une réserve autochtone. La majorité n’a jamais été criminalisée ou marginalisée. Voilà peut-être ce pourquoi la majorité est en faveur de la peine de mort, contre toute logique d’ailleurs.
Je ne suis pas un démocrate parce que j’ai la conviction que la majorité (même quand j’en fais partie, car il n’y a pas qu’une majorité) a souvent tort, qu’elle est souvent oppressive et violente. Je respecterai ses décisions quand celles-ci n’étrangleront plus personne, et quand les gens pourront s’organiser au gré de leurs aspirations et de leurs affinités.
De toute façon, notre démocratie à nous est minable
Tout d’abord parce que la ferveur démocratique de plusieurs est une fumisterie. Sans compter le cynisme des élu-e-s, on côtoie sans arrêt des discours antidémocratiques, et beaucoup les partagent. Le dernier vox-pop de Guy Nantel a fait chou gras, faisant dire à l’inimitable Sophie Durocher (qui s’est vaguement corrigée depuis): «Il y a un permis de conduire. Il devrait y avoir un permis de voter». Beaucoup pensent donc que le droit de vote devrait être conditionnel à certaines connaissances. J’ai déjà dénoncé cette idée en répondant à un article de Pascal Léveillé il y a quelques années. Mais ces propos ne sont pas une exception: ce genre d’idées antidémocratiques fourmille. Il serait d’ailleurs étonnant que des gens en faveur de la peine de mort acceptent cependant de laisser voter le gibier de potence.
Ces réactions sont normales: quand on vous force à partager les mêmes décisions que des gens qui n’ont pas les mêmes intérêts que vous, eh bien en général ça finit par déclencher de l’intolérance.
De plus, quelqu’un qui n’a pas le droit de voter vit incontestablement sous un régime tyrannique, puisqu’il/elle n’a en théorie aucun moyen de participer au gouvernement élu. Une tyrannie souvent modérée et libérale, certes, mais des despotes éclairé-e-s, modéré-e-s et libéraux, ça se trouve, ça aussi. La différence entre les deux, je ne la saisis pas très bien du point de vue de l’opprimé-e.
Et on empêche beaucoup de gens de voter, ne serait-ce que par négligence. Aux dernières élections municipales, un groupe de personnes handicapées a fait circuler des photos de bureaux de vote sur lesquelles on se rendait compte de l’absence totale d’accessibilité. Où donc pensait-on vouloir faire voter les personnes en chaise roulante? Sur le trottoir?
De même, la représentation des moins de 18 ans est totalement absente. À ce sujet, j’ai entendu des choses hideuses. Mais quand vient le temps de mépriser la jeunesse, que ce soit pour dénoncer leur culture ou même leur condition neurologique (qui en ferait des individus inférieurs), rares sont ceux et celles qui se gênent.
Les mineur-e-s vivent tous et toutes sous la dictature la plus dégueulasse. Et cela mène souvent à des abus institutionnels graves: dans ce cas comme dans un autre et comme dans un autre… Les immigrant-e-s doivent aussi attendre d’être considéré-e-s comme des adultes avant d’obtenir le droit de vote. Même quand les débats les concernent directement, illes sont mis-e-s de côté.
Rappelons qu’on a aussi récemment empêché à des étudiant-e-s anglos de s’inscrire sur la liste électorale et qu’on a parallèlement fait un scandale de leur participation aux élections. Le suffrage universel, c’est une belle illusion. Auparavant, le « suffrage universel » était censitaire, masculin, blanc et adulte. Après de chaudes luttes, les femmes, les pauvres, les autochtones et les Juifs/ives ont fini par être inclus-es un peu partout. Sauf qu’il n’y a pas que des adultes avec la citoyenneté et une adresse dans l’Univers.
Mais de toute façon, à quoi bon voter quand on représente une faible minorité marginalisée? Les gauchistes plateauïsant-e-s sont assez fort-e-s pour élire Khadir et David, mais pas les autochtones, ni les itinérant-e-s, ni les punks, ni les sept artistes non-subventionné-e-s de Drummondville, ni les familles pakistanaises de Saint-Henri que leurs voisin-e-s accusent d’être sales (fait vécu). Beaucoup n’auront jamais accès à cette «représentation» mièvre qu’on nous vend comme le triomphe de la liberté. Illes ne pourront jamais aspirer à davantage qu’une attention charitable. Contre cela, Proudhon, en citant un groupe dont j’ai oublié le nom, s’écriait: « On veut la dignité, pas la charité! »
Voter c’est imposer son choix à autrui
Dans cette situation, je ne peux pas me permettre de voter. Comme le disait Bakou, c’est entre autres parce que ça me ferait cautionner ce système. C’est plate à dire, mais nos gestes ont une portée symbolique. Et le symbole est au centre du processus de légitimation. Il n’y a pas plus de président sans peuple que de monarque sans dieu. Mais aussi parce que ça me ferait choisir des maîtres qui rêvent de mettre en prison les trois-quarts de mes potes. On ne peut demander à personne de voter pour son oppresseur, même pour le moins pire d’entre eux, par soi-disant pragmatisme. Pour moi, le pragmatisme, ça devrait être la liberté, pas une fade oppression.
Et même si un-e candidat-e anarchiste ayant tendance à faire des blagues nihilistes se présentait aux élections, je ne pourrais pas voter pour elle/lui. Pourquoi? C’est très simple.
Tout d’abord parce que je ne veux ni être dominé par des étrangers/ères, ni par les mien-ne-s. Je ne veux être dominé par personne d’autre que par moi-même. Ensuite, parce que ça va dans les deux sens. En aucune situation, je n’ai envie d’imposer mon choix politique personnel à quelqu’un d’autre, à forcer tout le monde à vivre selon le mode de domination qui contribuerait le mieux à défendre mes intérêts à moi.
Même si le suffrage devenait universel, même si les majorités posaient des gestes en tout temps rationnels et guidés par l’empathie envers tout le monde, même avec un vote proportionnel convenable (ce qui du reste est plus improbable que l’anarchie), je continuerais de m’abstenir, incluant lors de référendums, parce que voter, ça ne veut pas dire prendre une décision éclairée sur l’avenir du Québec. Ça veut dire vouloir imposer son choix à tout le monde.
Beaucoup le font malgré tout, et pas parce qu’illes sont autoritaires; je comprends leur choix. Le sentiment d’urgence, l’inquiétude, la prudence, une diversité d’autres facteurs… Je ne peux leur reprocher quoi que ce soit, surtout s’illes saisissent l’occasion en temps voulu de changer quelque chose sans attendre qu’un-e leader agisse à leur place. Mais il est si facile de faire des accusations: aussi, je m’attends à ce qu’on respecte également ma décision et qu’on ne fasse pas la morale.*
[1] En tant qu’antiautoritaire, je recherche naturellement des associations libres desquelles je peux me retirer lorsqu’elles ne me conviennent plus. Si jamais je deviens dépendant d’un groupe, il faut au minimum que les décisions prises en commun permettent, lorsque c’est possible, la libre-dissociation. Alors si vous fondez une assemblée dans laquelle on inscrit le droit à la dissidence et que vous appelez ça une démocratie (Ce que Steffen a déjà fait!), eh ben voilà, je suis devenu un démocrate, calcrinak!
*Mon premier commentaire est pas apparu, on dirait. Alors je le renvoie directement dans le corps du texte.
J’ai retrouvé l’URL du « brouillon » d’Anne Archet sur Facebook.
Quelques remarques, alors:
-Je n’ai pas été clair sur l’essence des majorités. A.A. l’est dans son billet, magnifiquement synthétique;
-Sa critique de la démocratie directe est plus sévère que celle qu’elle fait de la démocratie représentative. C’est intéressant;
-Les références à la démonstration selon laquelle la démocratie proportionnelle cause problème sont clairement établies.
Autre chose: lisez le billet de Bakou en premier lieu.
Mon billet est une ANNEXE à ce texte.
La reproduction du système par le vote
by bakou on Avr.15, 2014, under Général
Voter nous est présenté comme étant l’apothéose de la démocratie, mais qu’en est-il vraiment? La grève étudiante de 2012 aurait dû nous démontrer que les élections peuvent être une arme redoutable face aux luttes populaires, mais cette conclusion semble loin d’être partagée par la majorité de la population. Pourtant la démocratie directe qui fleurissait en 2012 a dû céder sa place à la «démocratie» dite représentative et je dirais même que cette dernière a écrasé la première. J’entends le vote comme étant une forme d’abdication de son pouvoir aux dépens de l’élite et donc non seulement voter serait inutile si l’on désire changer les choses, mais ce geste serait même profondément nuisible.
Voter n’est pas un geste banal dans la mesure où ce geste concède une certaine légitimité au gouvernement ainsi qu’à l’ensemble de nos institutions. À quoi bon s’occuper de politique quand d’autres le font déjà à notre place? Et considérant les données fournies par le DGEQ comme quoi 71,21 pour cent des quelques six millions d’électeurs inscrits auraient voté[1], le gouvernement aura beau jeu de rappeler ce fait lorsque les gens descendront dans la rue. On peut bien se plaindre des règles du jeu, mais le fait est qu’une majorité de la population continue d’accepter ces règles et d’imposer ses conséquences à la minorité qui boude les urnes.
Cette minorité est associée à des paresseux et paresseuses, des imbéciles ou des gens qui ne s’intéressent pas à la chose politique. Or, «nos» élus s’occupent d’administration publique et non pas de politique. Le politique ne vit que dans les moments de lutte (Rancière style), moments que l’État ne cesse de réprimer, car la classe dominante ne peut tolérer que les dépossédé-e-s reprennent contrôle de leurs vies. Il en va de la bonne marche de notre société basée sur l’exploitation et de sa reproduction. Et il ne faut pas se leurrer, les élections sont un des mécanismes qui vise à reproduire cette société d’exploitation. Avant le geste de la matraque qui fracasse le crâne, il y a ce geste que l’on pose dans l’isoloir.
Rien est plus paradoxal ici que Québec solidaire, le parti des urnes et de la rue. Les urnes ne peuvent être complémentaires à la rue, car elles en sont la négation même. En effet, la populace ne peut se réclamer comme étant un acteur politique légitime, alors qu’elle concède aux 4 ans cette légitimité aux acteurs compétents, c’est-à-dire aux politiciens et politiciennes professionnel-le-s. La diversité des tactiques c’est bien beau, mais quand une tactique anéantit les efforts d’une autre, peut-on vraiment parler d’actions complémentaires?
Les assemblées générales des étudiants et étudiantes et les assemblées de quartiers devront être réinvesties (je nommerais bien les milieux de travail, mais que faire des centrales syndicales?) si nous désirons dépasser le paradigme de cette société démocratique qui n’a de démocratique que le nom. Mais nous devrons aussi composer avec le fait qu’une bonne majorité de la population aura contribué à construire les murs de notre prison.
[1] http://quebec.huffingtonpost.ca/2014/04/08/elections-2014—taux-de-participation-de-272–a-11-h-30-selon-le-dge_n_5106050.html