La Tomate noire

Un cycliste et sa haine des chars

by on Oct.05, 2014, under Débats

L’autre jour je me promenais à vélo sur une des seules pistes cyclables de l’est de Montréal. Bande cyclable devrais-je dire pour respecter les termes officiels employés par la Ville. Je roulais, donc, à la lueur nocturne de mes lampes clignotantes en direction de mon chez-moi. Au moment de croiser une intersection, une voiture roulant dans l’autre sens amorce un virage à gauche (donc dans ma direction). Arrivé nez à nez avec moi, il finit par s’arrêter devant mon imposante paume levée dans sa direction. J’aperçois alors le conducteur qui me fait signe de la main que je n’ai pas fait mon contact visuel avant de traverser l’intersection. Avoir eu l’esprit plus vivace, je lui aurais balancé un truc du genre : « Hey le Sma’t, tu vois pas qu’il fait nuit et qu’il a fallu qu’on soit face à face pour que je te voie la face ? En plus, t’es pas conscient qu’avant même la notion de contact visuel, le Code de la route prévoit des priorités de passage faisant en sorte qu’une ligne droite ait priorité sur un virage ? »

 

Un autre jour, plus récent celui-ci, je suis sur la même rue, mais plus dans l’Ouest, là où il n’y a ni piste ni bande cyclable. J’ai néanmoins la bénédiction des Dieux pour y circuler, car il y a une pancarte qui indique que c’est une route partagée. Il y a même des vélos peinturés sur le sol, du même genre de peinture qu’on fait autour d’un cadavre pour signifier l’endroit et la position où on l’a retrouvé. J’avance lestement tout en gardant une bonne distance avec la cycliste qui est devant moi. Toujours est-il qu’un véhicule venant en direction inverse (encore, tiens !) décide de faire un fameux virage en U et passe à un poil de percuter la cycliste qui me précède. L’automobiliste s’arrête, se rend compte de son geste stupide et lance un « je m’excuse » depuis l’intérieur de son habitacle. Arrivé vis-à-vis l’autre cycliste, je lui lance :

« Y’est malade, lui ! Toi, ça va ?

— Oui, me répond-elle, c’est juste le deuxième aujourd’hui. »

Je lui souhaite bonne chance et reprends ma route, en souhaitant qu’elle arrive à destination promptement.

 

Je voudrais bien avoir tort dans ce que je m’apprête à dire, mais je crois que j’ai malheureusement raison là-dessus : à peu près toute personne faisant du vélo de façon régulière à Montréal passe proche de se faire frapper, emportièrer ou rouler dessus au moins une fois par trajet. Là, j’insiste sur le « régulièrement » pour mettre l’accent sur ceux et celles qui se servent du vélo dans leurs déplacements quoditiens (travail, études, etc.), et non les cyclistes du dimanche (littéralement) qui ne font du vélo que lorsque les voitures sont moins nombreuses et les automobilistes moins dopéEs au café. Bref, faire du vélo est un danger de tous les instants. Les médias traditionnels ont peu tendance à montrer cette dure réalité, à moins que des cyclistes ne meurent ou du moins se retrouvent grièvement blesséEs des suites d’un accident de la route.

 

D’ailleurs, cet été on a connu un nombre important de décès et d’accidents de toutes sortes impliquant cyclistes et automobilistes. Sans surprise, le décompte des vies perdues se retrouve seulement du côté des premiers. C’est là une évidence, mais il me semble que ça vaille la peine de le rappeler, étant donné l’attitude des seconds. Et ce ne sont pas les solutions bidons proposées en toute hâte par les projetmontréalistes plus soucieux de leur image « provélo » que de solutions à long terme qui vont changer les choses. Pelleter le problème sur le trottoir, c’est ajouter du danger dans le parcours des piétons qui sont déjà mis à mal par les automobilistes. Ce sont les chars qui doivent céder de leur emprise sur l’espace public, pas les piétons.

 

Montréal a beau être une des villes les plus vélo friendly de la planète, il n’en demeure pas moins qu’un cycliste tué, ce n’est pas une statistique, c’est un meurtre. Une personne pour qui j’éprouve un mélange d’amour et de mépris a souligné, il y a quelques années, qu’une voiture est comme une arme à feu. Du bout des orteils, comme du bout des doigts, on peut générer assez de puissance pour terrasser un être vivant et lui faucher la vie. J’ajouterais à ça que si on souhaitait faire de Montréal une vraie ville où il fait bon pédaler, on permettrait aux cyclistes de rouler arméEs. En plus, la Ville devrait distribuer gratuitement, une journée par an, des 303 et des AK-47. Comme ça, on pourrait rééquilibrer un peu le rapport de force.

 

Enfin, vous comprendrez que derrière cette apologie des armes à feu se cache plutôt un profond mépris pour l’homo automobilis. J’haïs les armes autant que j’haïs les chars. Voyez-y une mesure de cette haine, et non un appel à s’entretuer. Je sais que le transport en commun, c’est d’la marde… C’est pour ça que j’évite de le prendre huit mois par année, beau temps, mauvais temps. Je le sais que la toune qui joue à la radio est celle qui a joué hier, et avant-hier, et l’autre jour avant et ainsi de suite. C’est correct si vous deviez aller porter les enfants et que c’est trop compliqué, long et chiant d’y aller autrement qu’en auto. Je comprends aussi si votre job est à une heure de chez vous parce que vous voulez vivre dans un milieu exempt de chauffards. Je souhaite la même chose, mais sans avoir à m’exiler dans un dortoir fait en béton. Sachez que le système économique dans lequel on vit se nourrit de la destruction de l’environnement par la perpétuation du règne du char. Tous les éléments culturels qui nous entourent nous encouragent à intégrer l’auto dans notre quotidien, voire d’intégrer notre quotidien dans l’auto. Vouloir aller à l’encontre de ce totalitarisme, c’est s’exposer aux contrôles des agents de sécurité du métro ou aux automobilistes fous furieux. Peu importe la raison qui explique votre décision de prendre l’auto chaque matin, vous contribuez au problème en plus de mettre en danger la vie des autres, pis en plus vous polluez. Ça fait que prenez votre mal en patience et donnez priorité aux cyclistes ! Sinon on va commencer à rendre les coups…

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La saison des pommes

by on Sep.23, 2014, under Général

Depuis quelques automnes, il est de bon ton de se moquer méchamment des gens qui vont aux pommes à chaque année. C’est souvent vu comme une activité quétaine, démodée, plate, et qui surtout manquerait de raffinement. Assez souvent, des blagues machistes et classistes viennent même se mêler au déluge de mépris démontré à l’égard des cueilleurs/euses, mais aussi à l’égard des pomiculteurs/trices. Ainsi, comme le résume sans originalité d’ailleurs un article d’Urbania, « aucun gars » n’aimerait sincèrement aller aux pommes, et les pomiculteurs/trices seraient des méchant-e-s «overlords» qui profiteraient des cueilleurs/euses naïfs et naïves[1].

 

Aller aux pommes n’est pas forcément démodé et pénible

Avec une grande ignorance, Nightlife, respectant la tendance généralisée chez les snobinards jet-set de Montréal, proposait de troquer la journée des pommes pour la route des vins, et d’instagrammer des photos de vignobles plutôt que des photos d’enfants jouant dans les arbres (je pense pourtant pouvoir exprimer la pensée de plusieurs: dans tous les cas, on s’en câlisse de vos photos).

C’est d’autant plus stupide qu’il est possible de tout faire. Cueillir des pommes peut se faire après la visite d’une cidrerie, et il est possible de s’arrêter ensuite dans d’autres petites boutiques et d’acheter d’autres types de produits régionaux et saisonniers. Remplir un sac de pommes, ça prend cinq minutes. Si c’est fait sur une petite terre familiale, il n’y a pas de queue, on ne vous fait pas monter dans la boîte d’un tracteur pour aller cueillir des pommes à deux kilomètres en montagne, et vous avez en prime accès directement aux pomiculteurs/trices plutôt qu’à un-e étudiant-e de la région déguisé-e en clown et éreinté-e par son travail.

Vous aurez pleinement le temps de déguster les produits dérivés et discuter avant de reprendre le chemin de la route des vins.

 

Pourquoi c’est important

Ben oui, pourquoi me mets-je à défendre une industrie récréo-touristique? Pas mon genre? Les raisons sont cependant fort simples, du moment qu’on y réfléchit. Mais elles deviennent encore plus claires quand on connaît un peu la campagne et l’agriculture, ce qui n’est généralement pas le cas des détracteurs/trices de ce genre d’activités.

Pour aider les petit-e-s producteurs/trices (bio ou pas)

Entre le verger et l’épicerie, il y a des intermédiaires à plus finir – c’est dans la nature de l’exploitation capitaliste. Ce qui fait que le producteur et la productrice, qui fournissent l’essentiel de l’effort (et c’est pas un travail saisonnier, il y a toujours quelque chose à faire) se retrouvent avec souvent moins de 5% de la valeur de la pomme à la vente dans leurs poches. Et à ça, il faut encore enlever le coût de production. Quand vous allez directement cueillir, 100% des revenus vont aux pomiculteurs/trices. Et vous aurez des pommes fraîches (parfois, les pommes prennent plus d’une semaine à parvenir sur les étalages, même en saison), sans cire (ce sont les emballeurs qui enduisent les pommes), mûries à point, choisies une par une, et assez souvent moins chères.

Je pourrais vous parler pendant des semaines de la misère des pomiculteurs/trices. Ça vous remplirait le coeur de révolte. Mais disons simplement qu’inciter les gens à abandonner ça, c’est comme s’opposer au recyclage ou à l’eau potable. Les (petit-e-s) producteurs/trices ont BESOIN des cueilleurs/euses pour survivre. Difficile à accepter pour certain-e-s, mais les familles quétaines et les couples en perdition qui vont cueillir sur une petite terre familiale à l’automne contribuent à sauver le Québec rural comme on l’a toujours connu, tout en brisant son isolement.

Que vous achetiez ou pas des pommes en épicerie ou au Marché Jean-Talon le reste du temps, à l’automne, quelques kilos de pommes directement du verger, ça donne un beau gros coup de main.

 

Paur sauvegarder le paysage

Pour augmenter leur production, les proprios des vergers ont souvent tendance à mettre de côté les arbres de taille standard pour faire pousser des pommiers nains et semi-nains. Résultat: le paysage change petit à petit. Plus de grands arbres aux multiples branches, aux échelles colorées, mais des petits arbustes maigrichons et rabougris, aux branches surchargées.

Plus le verger transfère ses activités de jeu vers des activités de pure production industrielle, plus il sera laid, adapté aux machines plutôt qu’aux êtres humains.

 

Pour améliorer sa consommation et mieux connaître le produit

Les produits transformés en industrie, comme la compote et les tartes contiennent beaucoup trop de sucre, trop de sel, trop de gras, trop d’additifs, etc. En revanche, transformer des pommes à la maison exige très peu d’efforts et de connaissances. C’est un des fruits disponibles sur le marché qui se cuisine le mieux, et de très nombreuses recettes locales la mettent en valeur. La pomme se conserve également très bien: certaines sortes sont encore très fermes après plusieurs semaines passées au frigo. Quand on veut ramener des kilos et des kilos de pommes à la maison, il suffit, pour éviter le gaspillage, de les consommer de façon intelligente: gardez les Empire pour la fin!

 

Ce n’est pas démodé, c’est dans l’intérêt de tout le monde!

En résumé: du moment qu’on aime les pommes, qu’on veuille sortir de la ville (s’il y a lieu) et qu’on en a l’occasion (ce qui n’est malheureusement pas donné à tout le monde), il n’y a pas de bonne raison de ne pas faire un arrêt au verger cet automne, et surtout pas si c’est pour éviter de déplaire aux snobs de Nightlife et d’Urbania! Dans tous les cas, dites-vous que la pomme que vous mangerez (bio ou pas) sera toujours moins vieille et bien meilleure pour la santé que le déchet chimique dont vous ferez l’acquisition (par le vol ou la récupération j’espère, mais il paraît qu’on peut aussi les acheter) au Maxi ou au IGA.

 

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[1] Je l’ai déjà dit, et je le redis: tout est politique, incluant l’humour le plus gras, le plus insignifiant, le plus « deuxième degré ». Aucun type de discours ne mérite son univers parallèle dans lequel les critiques seraient de facto rejetées comme étant non-pertinentes.

L’humour a des fonctions sociales précises. Figurent parmi elles: ridiculiser ou même stigmatiser les comportements perçus comme nocifs, et souvent encourager les comportements perçus comme positifs. Ce peut être un instrument de liberté, quand il est utilisé contre le pouvoir, comme de contrôle social, peu importe l’intelligence de l’humour, peu importe le second degré, quand il est par exemple utilisé d’une certaine manière par des privilégié-e-s contre d’autres groupes.

La mauvaise utilisation d’archétypes par un groupe privilégié est une manière particulièrement dévastatrice de faire de l’humour. Par exemple, rire des assisté-e-s sociaux/ales et/ou des détenu-e-s en mettant de l’avant leur situation prétendument confortable peut faire partie d’un processus de légitimation de leur mise à l’écart. Idem quand on dit que les pomiculteurs/trices profitent des cueilleurs/euses pour s’en mettre plein les poches.

Je suis fatigué de le répéter et de le répéter, mais c’est comme ça. Il faut arrêter de répondre aux critiques en disant: « oui mais c’est rien qu’une joke ». Une joke, c’est juste une joke, mais c’est déjà tout à fait suffisant.

 

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Des questions pertinentes pis moé

by on Sep.05, 2014, under Ce qui nous concerne, féminisme

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J’aurais aimé dire quelque chose d’intelligent ou de profond en introduisant ici cet interview auquel j’ai répondu ailleurs.

Ça arrivera pas, mais je vous mets un vidéo de consolation.

Et j’en profite pour dire un gros merci à jesuisfeministe.com et à leur série Dialogues. Les questions m’ont beaucoup fait réfléchir et de m’arrêter comme ça, quelques heures, pour penser au féminisme et aux féministes au Québec ça m’a refait penser à la richesse de cette pensée politique et la force que je ressens à m’organiser avec d’autres féministes dans ce combat contre le patriarcat.

On lâche rien!

 

 

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Actions non-violentes et glorification machiste

by on Août.27, 2014, under anarchie

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Pizzeria Anarchia et résistance non-violente

À Vienne, Pizzeria Anarchia, un squat qui coopérait avec des habitantEs du même immeuble pour résister aux deux enfoirés de spéculateurs qui se servaient (et se servent encore) de toutes sortes de méchancetés pour se débarrasser des locataires qui possédaient des baux, dans le but de rénover l’immeuble au complet et de louer les appartements beaucoup plus cher, s’est fait évincer à la fin juillet. Je vous passe les détails de cette lutte locale qui touche aux écrasants problèmes de logements abordables à Vienne pour plutôt vous parler d’un aspect qui m’a particulièrement frappée en tant que Montréalaise nourrie au grain de la-non-violence-c-est-dont-ben-pas-radical-ta-yeule-toé-pis-tes-signes-de-peace.

Pendant l’éviction, une personne a crié par la fenêtre que le groupe avait un consensus de résister de manière non-violente, et illes l’ont répété en entrevue après les événements. Les gens ont résisté pendant toute la journée, mais ça faisait longtemps qu’illes se préparaient, de manière aussi courageuse qu’ingénieuse (soudures et béton inclus), pour finalement se faire sortir de force. Illes étaient 19 à l’intérieur et ça a pris plus de 1500 flics, un canon a eau, les forces spéciales de la police, leur petit tank, un complet blocage de 3 coins de rues de chaque côté de la bâtisse et toute la journée pour les sortir. Ce qui a paru dans les médias mainstream à été des questionnements sur la compétence de la police ainsi que d’autres questionnements sur qui étaient ces enfoirés de propriétaires et comment une telle escalade avait pu arriver.

Je pense que personne ne peut ici nier que les gens qui squattaient étaient non seulement super bien organiséEs, mais que leurs méthodes d’action directe sont on ne peut plus radicales. Une fois la poussière des émotions retombée, la petite montréalaise que je suis est restée avec une question : pourquoi avoir souligné, de manière insistante, le consensus sur la non-violence de leur action ?

Dans notre contexte montréalais, on a un problème de définition. Les paciflics sont dangereuxSES pour notre sécurité parce que la violence symbolique de péter des fenêtre leur fait plus de peine que d’essayer de casser la gueule des gens qui pètent des vitrines, les imagistes sont plus intéresséEs à bien paraître qu’à faire des gains ou à se défendre, et certaines personnes pensent que protéger les voitures de flics en cas d’émeute est plus important que de faire front commun. À cause de toutes ces expériences nous avons tendance à placer toute la non-violence dans le même panier de la passivité ou de la collaboration avec les flics.

Nous nous trompons, comme le montrent les camarades de Vienne. L’action directe non-violence n’est pas passive, ou sans confrontation, et aucune lutte anti-oppressive qui utilise l’action directe ne peut jamais collaborer avec les autorités. À mon avis il faut faire une différence entre les actions qui collaborent avec les autorités et celles qui restent dans un mode confrontationnel, ça me semble beaucoup plus porteur que d’affirmer que toute action qui refuse de tirer des roches sur des gens lourdement équipés est niaiseuse. Dans ma tête, une action non-violente n’est pas nécessairement pacifiste: Pacifism is hugely influenced by conflict aversion. It really shows its middle classness in that way. There is a tremendous level of yearning for harmony because many pacifists see conflict itself as the problem. On the other hand, nonviolent revolutionaries welcome conflict, depend on it, and see polarization as absolutely essential. Whereas most pacifists hate polarization, we welcome it as long as polarization happens in such way that we’re on the winning side ! And then, of course, lots of pacifists are OK with capitalism, and nonviolent revolutionaries are not. They are strongly anticapitalist, and often antistate.*

Grève de 2012 et actions non violentes

Rendue là, j’en profite pour vous rappeler notre grève de 2012. J’en parle parce que c’est notre expérience la plus intense et la plus longue d’organisation et de coordination d’actions. J’en profite donc pour rappeler que toutes les actions imaginées ont été non-violentes, et je ne parle pas des flash mobs, des créations artistiques ou des Ma-nue-festations. Je parle des blocages de ponts et du port. Je parle de trashage de réunion d’actionnaires de banques, d’occupation du bureau d’une ministre et même de floodage de sites web de la police et du gouvernement, mais je parle aussi des manifs de soir qui n’arrêtaient pas malgré les attaques des flics. Je parle de tous ces matins à se rejoindre à 6h sans trop savoir ce qui allait se passer, comme je parle aussi de l’arrêt du métro et des blocages de cégeps et d’universités pour faire respecter les votes de grève. Ce qui a été imaginé, planifié, organisé n’a pas été imaginé dans le but d’affronter physiquement les flics et leurs bébelles meurtrières, même si c’était toujours dans un esprit de confrontation. Ce n’est pas parce que c’est non violent que ce choix d’action directe évite le conflit, au contraire il y participe activement. De la même manière, ces actions n’étaient pas passives, faciles, ou sans risques. Elles demandaient beaucoup de courage, et demandaient au gens de se mettre en danger physique et/ou de courir le risque de se faire arrêter. J’en profite aussi pour vous rappeler le gear que nous avions sur nous en partant de la maison chaque jour : un casque, des lunettes protectrices, une solution de Maalox, et notre foulard rouge. C’est un gear de protection. On protégeait notre tête et nos yeux. On se protégeait des gaz et du poivre, et quand quelqu’unE en avait besoin, on partageait, souvent avec des gens qu’on avait jamais vu de notre vie. Ce n’était pas de l’équipement d’attaque, c’était de l’équipement de défense.

Bien sûr, il y a aussi eu des moment où les gens, tannéEs de se faire casser la gueule, ont voulu répliquer à la violence de l’État et de ses goons armés pour nous tuer et ayant l’impunité pour le faire. Nous avons constaté les mini feux d’artifices en direction des flics dans certaines manifs, mais nous avons surtout constaté les balles de neige molles sur les flics, et leurs mensonges éhontés qui voulaient faire croire aux gens qui n’étaient pas là que nous lancions des briques d’en haut pour atteindre les voitures qui passaient sur l’autoroute Ville-marie. Je ne veux pas vous faire croire que j’ai plein d’empathie envers des flics en uniforme. Si les flics se font lancer des morceaux de pavé, des roches, de la glace, ou de la haine parce qu’ils répriment des gens non arméEs juste parce qu’ils le peuvent, mon niveau d’empathie est… non. Mais les épisodes de Victoriaville et du Plan nord me font aussi dire que bien que je comprenne complètement le sentiment des gens qui décident de lancer des roches et que jamais je ne vais les arrêter, la violence physique envers les goons de l’État n’est pas ce que nous faisons de mieux. Ce n’est pas là où nous avons été efficaces, même si je comprends tout à fait que ces pitchages de roches ont aussi une autre utilité que l’efficacité tactique. Rendu là je crois qu’une discussion s’impose sur le quand et comment utiliser chacune des tactiques plutôt que de continuer à faire une dichotomie : affrontements directs avec les flics vs collaboration avec les flics. Cette dichotomie n’existe pas dans la vraie vie parce que la collaboration avec les flics et l’État est contraire à ce pourquoi nous luttons et résistons, et parce que en dehors de l’affrontement direct avec les flics il y a de très nombreuses formes d’actions directes qui existent. Qui plus est, l’affrontement direct peut avoir plein d’utilités symboliques, de catharsis, ou d’expérimentation, mais de la manière dont il est mené ici, il n’est pas de taille à faire plier pour plus que quelques minutes les forces de l’ordre équipées et entraînées.

Le héros romantique qui lance du pavé : un homme d’action et du moment présent

Ce qui m’amène à la romantisation machiste de la violence physique que je croise des fois dans la gauche radicale montréalaise. Je répète que nous avons une expérience de mois d’actions non-violentes qui ont assez perturbés pour que la classe économique québécoise démontre son inquiétude et son exaspération au gouvernement. Une expérience de plusieurs mois à imaginer et à concrétiser des actions directes pour tous les goûts, où tout le monde, à un moment donné, pouvait participer. Plein de gens pouvaient participer, c’était plutôt inclusif, et ça ne demandait pas nécessairement des action heroes (bien que pouvoir courir était le plus souvent nécessaire). Alors elle vient de où cette espèce de glorification de la violence physique et du super-héros (je ne féminise pas, c’est comme pour les flics, c’est voulu) militant-sans-peur-qui-pitche-vaillament-des-roches ? Pourquoi je lis ou j’entends des amalgames douteux entre protéger des chars de flics et faire des actions non-violentes ?

Faire arrêter le métro vous trouvez que c’est collaborer avec l’ordre établi ?

Bloquer des cégeps et des universités en faisant face à la SQ en antiémeute vous trouvez que c’est passif?

Bloquer le pont Champlain vous trouvez que c’est non-confrontationnel?

Et d’un point de vue militant plus global, les gens qui sabotent du matériel militaire, qui font des grèves générales, qui s’enchaînent à des arbres ou bloquent des pipelines, qui pètent les pneus de voitures de flics dans un parking pendant que ceux-ci avancent vers une manif, qui hackent des sites web de gouvernements ou de militaires, ou bien qui font face, en masse tranquille non armée, à des flics/militaires armés et dangereux, vous ne trouvez pas ça organisé ? Créer et imprimer des tracts avec des idées qui sont punies par de la prison dans le régime où vous habitez vous ne trouvez pas que c’est une prise de risque ? Vous trouvez que c’est de la collaboration comme les paciflics ? Vous trouvez que ça manque de courage ? Vous trouvez que c’est comme voter social-démocrate ou comme faire une flash-mob dans un centre d’achat ?

Les critiques, dont les critiques féministes, par rapport à cette idéalisation du héros militant dont-ben-cool-parce-qu’il-lance-du-pavé sont déjà bien connues. Ce n’est pas juste macho dans son idéalisation d’une certaine masculinité, c’est aussi sexiste dans le sens où ça ne valorise absolument pas les tâches invisibles, qui sont pourtant partie prenante du militantisme, et ça fait preuve d’exclusion parce que dans ce modèle il ne faut pas être judiciarisé, il faut être capable d’être dans une certaine forme physique, il ne faut pas avoir d’enfants pour qui rentrer à la maison, et il ne faut pas avoir peur de perdre son statut légal par rapport à l’État. Ça romantise et ça met sous les projecteur une seule occupation, celle de la violence physique contre les goons de l’État, pour complètement dévaloriser d’autres actions qui peuvent être tout aussi risquées, ou non, et qui trouvent leur place dans un mouvement diversifié, inclusif, et horizontal.

Un jour, une femme militante, qui est allée en prison, parlait de ses réflexions en disant : « tsé les gens, les gars, disent souvent « feu au prisons ! » mais y pensent pas à après. Après avoir mit le feu et détruit la prison on fait quoi avec tous les gens et les problèmes bien réels qu’ils et elles vivent? ». Je trouve que ça représente bien ce fétichisme de la violence physique contre les goons de l’État : l’important pour les héros c’est le moment présent, le moment où ils se donnent le privilège de sortir leur rage et leur colère pendant qu’ils brillent sous les projecteurs, pendant que le reste de nous, gang d’invisibles, on pense au avant et au après. On imprime des tracts, on envoie des emails, on call des réunions, on call les avocatEs, on forme des groupes de soutien et on quête de l’argent.

Je ne suis pas une adepte de la non-violence à tout prix, et je ne pense pas que les action-heroes ne font rien d’autre que d’attendre la prochaine « manif qui pète » sans jamais participer à d’autre chose. Par contre, je pense que pour le bien de l’horizontalité de la manière dont on s’organise ainsi que pour la pratique de l’antisexisme qui est supposé être tellement importante, on mérite d’arrêter de coller sur la non-violence les étiquettes de collaboration avec les flics, de passivité, et de manque de courage. Il y a plein de manières de créer et de participer à des actions, nous l’avons déjà prouvé. Et tous les gens, leur créativité, et leur choix politiques méritent d’être pris en compte. Jasons plutôt de comment et quand utiliser nos tactiques plutôt que de les hiérarchiser pour créer des héros.

*George Lakey, interviewé par Andrew Cornell dans Oppose and Propose!, 2011, AK Press, p.64

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Ce n’est pas illogique d’espérer

by on Août.20, 2014, under Général

Les problèmes que l’humanité doit  affronter  s’accumulent et la montage qui se trouve devant nous peut parfois nous sembler insurmontable. Il n’est pas surprenant dans ce cas qu’il soit si difficile pour ceux et celles qui rêvent d’un monde meilleur de garder espoir. Que l’on pense à l’occupation israélienne de la Palestine, aux politicien-ne-s corrompu-e-s (c’est presque un pléonasme), à l’appauvrissement généralisé de l’ensemble de la population, aux nombreux viols qui surviennent chaque jour dans le monde et aux nombreux problèmes environnementaux qui menacent sérieusement la survie de l’espèce humaine sur cette Terre, ce ne sont pas les raisons de broyer du noir qui manquent à l’individu conscient. Pourtant, il est nécessaire de poursuivre la lutte et de ne pas abandonner devant l’adversité. Autrement, la vie perdrait son sens et les raisons de quitter le navire en emporteraient plus d’unE. Plusieurs nous ont quitté déjà, ne faisant ainsi qu’ajouter leur propre démission à la misère globale du monde.

 

Garder espoir est donc nécessaire, si ceux et celles voulant transformer radicalement cette société malade aspirent à la victoire. Les échecs et les défaites se comptent par milliers dans notre camp, mais le passé n’est pas toujours garant de l’avenir. Déjà, l’information circule de plus en plus librement dans notre société et ce grâce à l’arrivée puis au développement d’Internet. Les gens se mobilisent un peu partout dans le monde et prennent conscience de leur exploitation. On peut penser ici au printemps arabe, aux mouvements occupons ou plus près de nous, à la grève étudiante que nous avons connu au Québec en 2012. Certes, ces mouvements de protestation ne sont pas sans reproche et les gains obtenus peuvent sembler très minces, voir inexistants. Toutefois, ils témoignent d’un éveil politique chez la population et ils constituent une base à partir de laquelle nous pouvons fonder l’espoir d’un avenir meilleur pour les prochaines générations.

 

Voir les choses de manière positive n’est pas chose aisée en ce début de XXIe siècle, mais le pouvoir qui nous oppresse ne tient pas toutes les meilleures cartes dans ses mains. Nous avons le nombre de notre côté et plus nous le réaliserons, plus notre victoire sera non seulement possible, elle sera inévitable. Et ça, nos dirigeants le savent très bien. Ce n’est pas pour rien que l’État militarise sa police à une vitesse aussi vertigineuse. La classe dirigeante voit bien que les gens se réveillent peu à peu et sa seule option est d’écraser le soulèvement du peuple avant qu’elle ait complètement perdu son emprise. Pensez-y bien. Plus de 99% de la population subit l’exploitation et le contrôle venant de moins d’1% des habitants et des habitantes de la planète. Lorsqu’un nombre significatif de gens en auront pris conscience et qu’ils cesseront de coopérer avec la construction de leur propre prison, la partie sera terminée pour les exploiteurs de ce monde.

 

Personne n’a dit que changer le monde était chose facile. Il ne faudrait pas non plus tomber dans la naïveté et les romans à l’eau de rose. Le portrait que je dresse de la société est assez sombre en général et me semble aussi assez réaliste. Mais si la route vers la victoire est parsemée d’embûches et que le chemin à parcourir s’annonce pénible, je suis sincère quand j’écris que je pense réellement que nous pouvons gagner notre combat historique envers nos tortionnaires. Ils ne sont après tout qu’une poignée de parasites. C’est parce que nous oublions facilement tout cela que nous songeons à jeter l’éponge. Et franchement, si moi je peux en arriver à voir les choses de cette façon, envisager des jours meilleurs est quelque chose qui devrait être accessible à tous et toutes.

 

Ce n’est pas du délire et ce n’est pas une fausse promesse. Tout part d’une attitude. Et de cette attitude, le reste suivra. Ensuite, chacun et chacune est libre de contribuer à notre future victoire à sa façon. Mais une chose est sûre : nous verrons la lumière au bout du tunnel. Ensemble, nous abattrons ces maîtres qui nous tordent le cou et nous reprendrons le contrôle de ce navire qui vogue à la dérive.

 

Ensemble.

 

 

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L’anarchie c’est le chaos, ou comment le libéralisme aime les confusions

by on Juil.11, 2014, under anarchie

On associe à Thomas Hobbes, un des grands penseurs du libéralisme, l’idée selon laquelle la nature humaine est fondamentalement mauvaise. Sans des mécanismes pour la contenir, cette essence sévirait sur le groupe, l’amenant à la destruction. Pour éviter ce problème majeur, une société fonctionnelle doit donc se doter de moyens coercitifs sans lesquels elle sombrerait assurément vers le chaos, voire l’anarchie !

 

Le début de la fin de l’ordre social

Si l’anarchisme et le libéralisme ont en commun certains grands principes du Siècle des Lumières, c’est toutefois sur la question du contrôle social qu’ils se distinguent le plus. L’influence de Hobbes sur la pensée libérale en est un exemple éloquent. Pour les tenants du libéralisme, une hiérarchie s’impose pour que se maintienne l’harmonie sociale, tandis que pour les anarchistes, c’est plutôt par le maintien de relations égalitaires que l’on vise ce même objectif. Pour le dire autrement, ces deux idéologies abordent la liberté de manière contraire à l’autre : la liberté des libéraux est essentiellement négative, tandis que celle des anarchistes est au contraire positive; la pensée libérale définit la liberté comme une absence de contraintes, tandis que celle des libertaires insiste plutôt sur la capacité à faire ou à créer de chacun et chacune. De même, dans notre société libérale, on conçoit difficilement que liberté et égalité puissent coexister, ce qui nous amène à toutes sortes de dérives abrutissantes dont l’équité n’est que la plus récente expression. Pour clore cet aparté sur l’égalité, j’ajouterai qu’il faut savoir distinguer « pareil » et « égal ».

Ce que je cherche à exposer ici est la chose suivante : formatée par le libéralisme, notre pensée amène ceux et celles n’étant pas versé-e-s dans les subversives écritures libertaires à concevoir l’absence de hiérarchies comme le début de la fin pour l’ordre social, et ce, qu’il s’agisse de gens de gauche ou de droite. On appellera alors aux dangers de suivre la « loi de la jungle », où le « plus fort » l’emporterait assurément. Notre culture populaire contemporaine est empreinte d’une crainte du dérapage social. En effet, les dystopies et autres genres nous permettant d’entrevoir un avenir différent de notre quotidien montrent sans arrêt diverses versions du cliché si magnifiquement passé à l’histoire de ces grands singes en compétition dans 2001 Odyssée de l’espace. Le roi de la colline sera celui (jamais celle) qui aura le plus gros bâton. Pour résumer, l’anarchie, selon l’adage populaire, c’est le chaos généré par l’absence du nécessaire contrôle social.

Outre cet usage populaire du mot « anarchie », c’est-à-dire, lorsqu’on se met réellement à parler de l’anarchie et des anarchistes, on découvre que l’on n’est guère mieux servi-e-s. Comme l’a bien démontré Francis Dupuis-Déri dans un texte portant sur le traitement de l’anarchisme dans les médias de masse, l’observatrice critique et l’observateur sceptique auront l’embarras du choix devant les lieux communs qui servent de points de repère sur la question. Ainsi, il y a les traditionnels « fauteurs de trouble », ces « agents du chaos », « apolitiques » ou « sans foi ni loi » (celui-ci, avouons-le, est généralement vrai). À ceux-ci, on ajoute les désormais célèbres « casseurs », ces membres du groupuscule Black Block, dirigé par le chef des anarchistes, nul autre que l’organisateur d’émeutes par excellence, l’infâme Gabriel Nadeau-Dubois ! Non seulement la somme des affabulations sur les libertaires est-elle nulle en termes de cohérence, on y retrouve aussi tout ce qu’il faut pour camoufler la vérité à coups de tromperies, mensonges et autres démagogeries.

 

L’hégémonie libérale

Loi de la jungle, loi du plus fort, chacun pour-soi et autres lois du chaos et de l’âge sombre de l’humanité que l’on rappelle sans cesse sous la maxime sexiste : « là où il y a de l’homme il y a de l’hommerie » sont pourtant à cent mille lieues de l’anarchisme. Sans aller jusqu’à voiler les problèmes qui peuvent survenir au sein des milieux libertaires, notamment ceux dus à la prévalence du sexisme et de relations de pouvoir basées sur les performances militantes, je pense qu’il est fautif de rassembler tous ces maux sous le drapeau noir de l’anarchie. En fait, s’il y a une pensée politique par laquelle ils se propagent, c’est plutôt du côté du libéralisme et de sa version économique, le capitalisme, qu’il faut regarder. « Loi » de l’offre et de la demande rendues caduques par des oligopoles, externalisation de la destruction de la planète à des fins d’économie d’efforts, antisyndicalisme grossier, bâillonnement de la critique, répression et criminalisation de la dissidence, voire même assassinat d’opposants politiques : voilà diverses facettes de cette loi de la jungle, celle où les plus forts tirent profit de l’exploitation des plus démuni-e-s, des marginaux et des marginales et de ceux et celles qui comblent les strates inférieures de l’échelle sociale. C’est à la compétition inhérente au capitalisme qu’il faudrait accoler le vocable de « loi de la jungle », pas à l’anarchie. En effet, qu’y a-t-il de plus violent, de plus liberticide, mais de plus commun que de devoir notre survie à notre capacité à marcher sur autrui ?

Pour complexifier l’état des choses ceux ou celles dont on pourrait s’attendre qu’ils ou elles fassent partie des dominé-e-s ont des comportements dignes des dominants. C’est qu’il y a une éducation et une culture qui font en sorte que se maintienne en place une minorité de maîtres au détriment de la majorité. C’est que cette majorité est composée en bonne partie de cette classe moyenne, multipliée jusqu’à en perdre l’essence, mais toujours trop occupée à édifier sa propre destruction en imitant le mode de vie de ceux qui la gouvernent, sans en avoir les moyens. On notera, par la bande, que le processus cannibale par lequel se maintient la classe moyenne n’est pas sans externalités lui non plus, car, fidèle à ses maîtres, cette classe détruit tout ce qu’elle peut sur son passage. C’est aussi que les relations de pouvoir fusent de toute part et qu’aux intersections de toutes ces chaînes les maillons s’en trouvent renforcés, qu’on puisse aussi être à la fois dominant ou dominante d’une part et dominé-e d’autre part, voire même de faire semblant d’être l’un tout en étant l’autre (je pense ici à cette chimère d’un matriarcat québécois).

La société est aux prises avec un système de valeurs, de croyances, d’idées totalisantes et hégémoniques. À l’heure où la pensée est formatée non seulement plus par l’école, mais aussi la télé et surtout Internet[1], l’allégorie d’une certaine caverne platonicienne revient soudainement en tête alors qu’on tente de s’imaginer hors de ce carcan de la hiérarchie nécessaire et de la compétition obligée. Pris, prises et privatisé-e-s que nous sommes, nous entrevoyons tout avenir politique comme étant nécessairement étatisé, capitalisé et hiérarchisé. Comme quoi on ne se sort pas des lieux communs avant de les avoir cartographiés.

Enfin, ces ruminations de l’esprit souhaitent avant tout remettre au goût du jour le capitalisme pour ce qu’il est : un système économique fondé par une idéologie de la domination de l’individu sur les autres, un libéralisme qui, dans les faits, a davantage contribué à l’élaboration de nouvelles chaînes plutôt que d’en libérer le genre humain, voire le règne du vivant tout entier. Ainsi, à l’heure où l’on nous leurre sur ce que serait l’anarchie, tous les maux dont on afflige cette hérétique idéologie de l’autonomie collective sont en fait ceux qui adviendront lorsque nous aurons cédé aux tortionnaires du réel et aux idéateurs précoces qui s’évertuent à louanger notre société libérale.

 

[1] Suite à un commentaire pertinent de mon camarade Bakou, je précise ici ma pensée en admettant qu’il existe des bons côtés évidents à Internet. L’un d’eux étant bien entendu la démocratisation sans précédent de l’accès à l’information. Malheureusement, comme tout bon outil, on en retrouve aussi des usages aberrants, voire haineux. J’ajouterai que devant une telle masse d’information, il est de plus en plus nécessaire de savoir distinguer le bon du mauvais.

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La saga AFPC-FTQ vs SETUE-UQAM: quand un syndicat a des réactions de patron

by on Juil.05, 2014, under Général

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Nous sommes des membres du SETUE. Nous sommes des membres qui allons à nos assemblées générales quand nous le pouvons, qui lisons le SETUE l’info quand nous avons le temps et qui nous intéressons vivement aux questions des négociations de notre future convention collective. Nous sommes attaché-es à ce syndicat. Nous avons l’impression qu’il est rendu vivant par le temps que ses membres y mettent ainsi que par le souci de tous les conseils exécutifs que nous avons connu de respecter les décisions démocratiquement prises en assemblée générale. De la même manière, nous sommes également heureux-ses de faire partie du contexte uqamien et universitaire qui nous permet de tisser des solidarités avec d’autres luttes.

Or, voilà que depuis déjà quelque temps, nous sommes confronté-es, avec un mélange d’étonnement et de colère, à une évidence : l’AFPC-FTQ, notre centrale syndicale, ne nous a jamais considérés de la même manière que nous, les membres, nous nous imaginons.

Nous croyons qu’un syndicat démocratique doit être redevable de ses actions en assemblée générale, et que le syndicat local doit assurer son autonomie en représentant et en défendant les membres et les positions prises en assemblée générale. Cependant, nous avons eu la désagréable surprise de constater que l’AFPC ne considère pas l’autonomie d’un syndicat local, en ne reconnaissant pas la légitimité des décisions prises en assemblée générale. Le respect de la démocratie est à leur bon vouloir.

Ainsi, nous constatons que dans le langage, les méthodes et le respect accordés aux membres, nous sommes face à deux mondes complètement opposés :
D’un côté, nous. Nous qui pensions que le syndicat local était autonome et indépendant dans nos décisions. Nous qui savons que pour qu’une organisation soit démocratique, la décision doit passer par ses membres. Seulement ses membres, parce que qui de mieux que les membres pour juger et prendre des décisions sur des enjeux qui les touchent directement.
Et eux, l’AFPC. Dans notre cas ce eux est représenté par l’AFPC, mais nous ne sommes pas dupes. Quand nous parlons du “eux“ nous parlons d’une culture syndicale centralisatriste, autoritaire et homogène. Nommez la grande centrale que vous voulez, elles sont coupables. Une culture syndicale où les décisions sont prises par le haut, et où les décisions locales et les volontés des assemblées générales sont accessoires.

Cette culture syndicale qui use de violence et invisibilise des syndicats plus marginaux, ou plus autonomes, ou simplement où les membres sont très actifs et veulent avoir leur mot à dire. Ces immenses machines en sont rendues à écraser des travailleurs juste parce qu’elles veulent garder le contrôle. Et tout ce mépris, cette infantilisation et ces menaces sont tellement banalisés que nos solidarités passées s’effritent. Comme si ce que nous partageons, en dehors du syndicalisme, n’avait jamais existé.

Mais vous qui vous disiez “camarades“ par le passé, si vous êtes capables de penser que “c’est ça la game syndicale“ non seulement vous n’êtes pas nos allié-es dans la défense de notre autonomie, mais en plus vous montrez votre visage de syndicaliste, avalé par les grandes machines, qui n’ose plus réfléchir ou s’opposer. Mais si votre carrière dépend de votre silence quand votre employeur menace et méprise, vous n’êtes pas mieux que n’importe quel carriériste. Votre grosse centrale-patron le sait bien, elle. Et quand vous visez des gens qui ont besoin d’un travail en leur présentant un coup de force comme un travail quelconque et bien vous devenez l’outil crapuleux de votre patron.

Ce n’est pas pour ça que nous partageons des valeurs syndicalistes.

En ce moment, nous aimerions beaucoup penser à nos négociations et à notre convention collective à venir. Nous avons fait beaucoup d’assemblées générales et nous avons réfléchi collectivement à ce que nous voulions, à ce que nous ne voulions pas, et à nos priorités. Mais nous ne pouvons pas aller de l’avant, car l’AFPC a décidé que les négociations étaient suspendues. Ainsi, l’AFPC nous démontre que toutes les décisions prises par l’assemblée générale à ce propos sont accessoires. En constatant cette suspension ainsi que les démissions d’éxécutant-es, élus par l’assemblée générale, forcé-es par les menaces de tutelle, nous n’avons pas le choix d’en venir à une conclusion : l’AFPC ne se soucie guère des réflexions et des décisions prises pour défendre le groupe de travailleuses et de travailleurs que nous sommes, mais veut simplement asseoir leur autorité. Ainsi nous comprenons, en tant que membres, que l’AFPC nous méprise et préfère nous voir mal outillé-es qu’autonomes et responsables de nos décisions.

De là notre grande surprise à lire les derniers messages de l’AFPC. Selon eux, ils sont sur la défensive pour une question de maraudage quand nous savons, parce que nous assistons à nos assemblées générales, parce que nous lisons la documentation disponible, et parce que nous refusons cette culture du silence qui ne sert qu’à baillonner les syndicats plus autonomes ou marginaux, que les tensions et les menaces datent de bien avant. Il y a de cela des mois, nous avons vu notre comité externe se faire infantiliser suite à leur version d’un congrès AFPC-FTQ et des gens de l’AFPC pousser sur des lignes précises par rapport à nos négociations, en assemblée générale ou en conseil syndical, pour nous dire que certaines de nos décisions “ne se font pas“ sans jamais aucune explication.

Ainsi, si nous sommes unanimement d’accord sur le fait que nous ne trouvons pas que la CSN semble avoir une culture syndicale plus respectueuse, ou ouverte, nous comprenons tout à fait le sentiment des gens qui veulent changer d’affiliation. En effet, de ce que nous avons compris, très concrètement, nous serons les seul-es responsables de notre convention collective (présentement l’AFPC est la propriétaire de cette convention, qu’elle peut signer sans nous), et notre argent sera à nous qui devrons en donner une part à la centrale (tandis que maintenant l’AFPC reçoit nos cotisations et nous en donne une partie). De manière très concrète, nous gagnons de l’autonomie, nous nous débarrassons d’une emprise qui pèse de plus en plus lourd.

Nous ne croyons pas que les gens qui ont accepté de signer des cartes CSN ou de participer au maraudage se sont fait convaincre. Ce sont tout simplement des gens qui sont allé-es à leurs assemblées générales, qui ont lu les lettres ouvertes et les SETUE l’info et qui se sont fait une idée par eux-mêmes. Mais bien sûr, c’est facile pour l’AFPC de croire que ces personnes sont manipulées par la CSN, parce qu’elle n’est pas capable d’imaginer l’action syndicale autrement que par un mouvement venant du haut vers le bas.

De la même manière, nous croyons que ce n’est pas parce que les gens signent des cartes CSN que nous allons nous fondre dans l’ombre de cette centrale si affiliation il y a. Le SETUE est et a toujours été autonome, très vivant de par ses membres, et a surtout toujours eu un souci et un respect des membres qui commence par le respect de l’assemblée générale. Et si la CSN se tient tranquille pendant ce maraudage, elle ne devrait pas oublier que présentement les gens ne font pas nécessairement signer des cartes CSN parce qu’ils et elles sont pro CSN, mais parce qu’ils et elles sont avant tout pro-SETUE.

Nous avons des négociations importantes à mener, une lutte à continuer. L’AFPC s’est opposée à notre autonomie, des membres s’opposent donc à l’AFPC.

Dommage pour ceux et celles qui voulaient croire aux complots…

Des membres du SETUE qui se sentent prêt-es à se défendre.

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La police au service des flics et de la police

by on Juin.21, 2014, under Général

J’ai parlé il y a un peu plus d’un an de ce que je perçois comme un délabrement de pouvoir civil au profit du pouvoir policier. Dans ce cadre, la police – et en particulier le SPVM – ne se comporte plus comme une police politique classique, dont le rôle serait de soutenir le régime en place. Au contraire, elle se soutient elle-même, en tant que l’incarnation d’un levier de pouvoir qui s’oppose à celui des élu-e-s. Deux séries d’évènements parallèles ont peut-être encouragé ce pouvoir: la grève étudiante de 2012, qui a donné à la flicaille toute la latitude dont elle avait besoin pour devenir plus brutale et surtout agir en toute impunité; puis les divers scandales de collusion. Mais il peut tout aussi bien s’agir d’un mouvement global d’investissements monstrueux dans les institutions répressives et la sécurité, et de ce phénomène qu’on désigne souvent (et pas depuis peu) par le terme de militarisation de la police, sans que les agissements de la population aient réellement quelque chose à voir là-dedans.

La désobéissance civile et la collusion pourraient donc simplement servir d’arguments coïncidant par un malheureux hasard avec un contexte plus large de renforcement de la police. Des relations publiques, nécessairement, mais pas nécessairement de lien de causalité!

La manifestation syndicale (et également corporatiste, jusqu’à un certain point) de mardi dernier et la réaction du pouvoir civil sont une preuve de plus de l’augmentation du rapport de force de la police face aux élu-e-s. D’une part, Montréal a totalement perdu le contrôle déjà assez faible qu’elle avait sur le SPVM. Que des policiers/ères, à l’extérieur de leur shift, participent à des actions de perturbation, ça se peut, avec ou sans feu de poubelles. Mais qu’illes participent au même évènement en uniforme, avec leurs armes, c’est autre chose. On a parlé énormément de l’importance de la « neutralité de l’État », au cours du dernier mandat du PQ. L’État ne perd pas sa « neutralité » quand un-e de ses représentant-e-s prend position avec le port d’un signe religieux quelconque. Il la perd quand ses représentant-e-s et figures d’autorité utilisent leurs privilèges pour servir leurs propres intérêts, ou dans ce cas-ci les intérêts de leur corporation.

Le pouvoir civil, dont la légitimité et la force sont de plus en plus boiteuses, peine à se faire respecter. Est-ce que les objections et enquêtes de Denis Coderre vont réellement mener à quelque chose? Peu probable. Si c’est le cas, du moins, il est fort peu probable que des flics soient blâmé-e-s au point de mettre des individus en réelle difficulté, ou bien qu’un règlement vienne empêcher la même chose de se reproduire plus tard.

Rappelons aussi qu’alors que se déroulait ce rassemblement, un policier déjà poursuivi au civil arrêtait la demanderesse impliquée dans cette même poursuite, Jennifer (Bobette) Paquette, qui était présente au Palais de Justice de Montréal pour une autre cause (le règlement P-6). Cette activiste avait été ciblée, puis brutalisée sauvagement lors de la marche du 1er mai dernier. Elle avait subi des blessures graves. Assez abusif, vous trouvez pas?

Volontairement ou non, la journée du 17 juin 2014 fut donc une démonstration de force de la part des forces policières montréalaises. Quand sa corporation perd des privilèges, elle est prête à participer à des actes de perturbation (assez insignifiants, quand même, c’était pas super dangereux comme feu) que dans un autre contexte, elle punirait sévèrement. De plus, quand un de ses membres doit subir une poursuite judiciaire et donc en théorie répondre de ses actes (et je dis bien: en théorie[1]), il est en droit de mettre sa victime en état d’arrestation et de la détenir pour n’importe quelle broutille.

Cela montre bien que la police est devenue incontrôlable. Et lentement, elle s’éloigne du modèle Gestapo – la police du régime – pour se rapprocher d’un service d’ordre dont les actions sont moins contrôlées, comme les SA (les chemises brunes), ou même n’importe quel gang criminalisé, et dont les desseins sont plus autonomes.

 

La crétinerie arrogante des flics, l’idiotie manipulatrice des policitien-ne-s.

Les flics ne sont pas des lumières. S’illes avaient été intelligent-e-s, illes n’auraient pas paradé en uniforme et en véhicule, avec les autres syndiqué-e-s de la ville. Illes auraient employé plus de discrétion, de subtilité. Mais les flics n’ont pas besoin de faire preuve de finesse pour tromper des tas ahuris de citoyen-ne-s crédules. La sélection naturelle et les luttes de pouvoir n’avantagent pas nécessairement un QI élevé. Disons donc que leurs mensonges et exactions sont manifestes, sans toutefois nuire considérablement à leur position. Pourquoi? Sans doute parce que l’arme de prédilection des flics, c’est leur brutalité, pas l’intelligence. Et que la brutalité savamment appliquée est efficace.

En revanche, l’idiotie des politicien-ne-s finira par leur être fatale. Ce sont les politicien-ne-s qui ont accordé ce pouvoir aux flics. En 2012, mais aussi bien avant, illes ont lâché les chiens sur nous. La classe politique croyait sincèrement que les flics resteraient leurs ami-e-s fidèles et obéissant-e-s, qu’illes reviendraient s’asseoir dès qu’on leur crierait: au pied! Mais lâchée lousse, la police en a profité et se retourne maintenant contre elle (on se souvient entre autres de la querelle entre Hébert et Parent, encore une fois je vous réfère à mon texte de 2013), se servant du prétexte de la corruption[2] ou sincèrement préoccupée par le fond de pension de ses membres. Et les politicien-ne-s, profondément abruti-e-s, continuent de leur accorder de l’équipement neuf, des budgets élargis, et d’appuyer des règlements liberticides[3]. Normal, d’un certain point de vue: étant non-armé-e-s et ne possédant pas le monopole d’une violence physique directe, les élu-e-s ont profondément besoin des flics, beaucoup plus que l’inverse. Qu’aurait fait le maire de Mascouche si sa police avait refusé d’évacuer les dissident-e-s lors de ses conseils, jugeant qu’illes ne commettaient pas d’infraction?

 

Conclusion

Si le pouvoir civil était clairvoyant et dynamique, il chercherait ailleurs que chez la police le moyen de se faire respecter par la population, et lui retirerait une série de privilèges (par exemple, le règlement P-6!) tout en coupant son budget – et pas ses fonds de pension. Mais ceci n’arrivera pas. On ne peut pas compter sur les politicien-ne-s pour nous sauver de l’État policier, que celui-ci leur nuise ou pas. L’État est junkie de flics. Il augmente les doses petit à petit pour encore avoir son buzz. Et il y aura pas de désintox; juste une surdose, juste la mort.

________________________________

[1] Si les flics étaient jugé-e-s au criminel avec une cruauté équivalente à celle que subissent les activistes de gauche, il y en aurait eu des dizaines, voire des centaines en prison. Mais je ne la leur souhaiterai pas, parce que je suis contre la prison.

[2] Et en terme de corruption et de mafia, la police n’est pas en reste. Souvenons-nous du cas de Benoît Roberge, mais aussi de Philippe Paul. Deux grosses pointures. Et il y a aussi l’histoire trouble de Peter de Castris, (SQ), qui avait intimidé (et fait tabasser?) un fonctionnaire de Beaconsfield pour obtenir un permis. Ce ne sont que des exemples.

[3] Et que dire du choix de Poëti au sein du conseil des ministres? Ayant minimisé les gestes des flics du SPVM mardi dernier, il prend bien soin de rester fidèle à son ancienne carrière de casseur de gueules.

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Le droit au travail et les femmes (1979)

by on Juin.13, 2014, under Archives, féminisme

Je tenais à retranscrire et mettre en ligne ce texte de plus de la revue Focus. C’était une revue jeannoise et saguenéenne du tournant des années 70 à 80. Un de ses participants, Pierre Demers, la décrivait dans ces mots : « un mensuel autogéré, rédigé, publié ici qui se voulait alors féministe, socialiste, écolo, pro syndicaliste, parfois felquiste, régionaliste, antimilitariste, anti Alcan, anti médias officiels et qui a tout de même respiré librement de 1978 à 1983 ». Le texte qui suit est paru du #20 de mars 1979 et a été écrit par Marielle Brown-Désy.

« La libération des femmes, c’est dépassé; ça fait dix ans que vous chialez! C’est rendu que c’est plus l’égalité que vous cherchez, mais on dirait que vous voulez dépasser les hommes. Kiens… prend les femmes-médecins, les femmes-avocats, à c’t’heure, y a rien que de ça ». – un camarade, professionnel à l’UQAC.

Voilà, à titre d’exemple, une assertion, parmi tant d’autres, assénée avec le plus bel aplomb par un camarade qui n’est pas plus mâle-chauvin que bien d’autres et qui pourrait être votre frère, votre chum ou votre ami. On ne vous considérerait pas pour autant plus mal nantie que la moyenne! Après le super « candy » de l’année internationale de la femme, bien des hommes (et des femmes) qui avaient quitté leurs pantoufles un moment les ont rechaussées avec la conscience plus tranquille que jamais. Désormais, plus le moindre petit cor à l’orteil ne trouble le confort anesthésiant… Surmontons quand même un instant l’ambiance léthargique et voyons ce qu’il en est de ces « femmes de carrière en train de dépasser les hommes ».

« Nul doute là-dessus, dans l’emploi industriel, dans les professions libérales, dans les fonctions administratives les plus élevées et les plus fermées, les femmes ont, semble-t-il aujourd’hui, effectué une percée ». (1) Il s’agit au Québec d’une percée faite à l’aiguille, outil fin et féminin entre tous, si l’on considère qu’au début de 1977 on comptait vingt-sept femmes sur les mille sept cents cadres supérieurs de la fonction publique québécoise. Pourtant, en 1974, les femmes décrochaient 38% des diplômes de premier cycle et 30% des diplômes de second et troisième cycles de nos universités.

Dans ces mêmes universités, temples du haut savoir, vouées à des fonctions d’éducation traditionnellement réservées aux femmes, vous devrez chercher encore longtemps une femme recteur ou vice-recteur. Occasionnellement, en ratissant les effectifs-cadres, vous dénicherez une ou deux doyennes de faculté, craintives et en équilibre instable entre deux chaises, en attente du remplaçant de l’intérim! À vrai dire, même en prenant une loupe, on ne saurait trouver au Québec des femmes en poste de pouvoir et ce de façon vraiment représentative de leur sexe. Elles sont toujours sous-représentées aux instances suprêmes! Ceci est vrai autant dans les affaires sociales ou juridiques que dans les partis politiques ou les centrales syndicales. Ne parlons pas de l’Église…

Les instances de pouvoir constituent des fiefs gardés et des aires de jeux éminemment masculines. Les petites sœurs peuvent bien jouer autour en faisant la cuisine dans une officine d’avocat. Ce n’est pas demain qu’elles partageront le pouvoir!

À tant glosser sur les quelques femmes de la petite bourgeoisie intellectuelle qui à coup de courage, de griffes et de dents occupent le rebord des marges des hautes instances décisionnelles de la nation, on serait tenté d’oublier cette majorité de femmes travailleuses, dociles exécutantes, bassin de main d’œuvre à bon marché.

« Si on connaît tant de chômage à l’heure actuelle, c’est un peu beaucoup à cause des femmes qui ont envahi le marché du travail ». – un travailleur manuel syndiqué

Neuf chances sur dix que vous ayez déjà entendu un tel discours! Que vous l’ayez lu aussi en mots plus savants dans quelque journal local. Rien de surprenant à cela. Depuis les origines mêmes du capitalisme on tente à chaque crise structurelle du système d’en reporter les causes sur les plus petits de l’échelle hiérarchique. Or, il se trouve que les plus petits de l’échelle sont des petites. Des petites exerçant des emplois subalternes dans les pires conditions de travail, sans possibilité de promotion, victimes d’une insécurité à l’emploi énorme qui les fait chômeuses à la première occasion.

Au Québec, 36,6% de la main-d’œuvre est constituée par des femmes… Et, sur dix travailleuses, sept ont un revenu inférieur au seuil de la pauvreté. De la totalité des travailleurs [et travailleuses] assujetti[e]s à la loi du salaire minimum, 70% sont des femmes.

Pour les partisans de la thèse selon laquelle « les femmes volent les jobs des hommes », il faut quand même préciser que les femmes grossissent les secteurs d’activité économique les moins bien payés. Elles sont en fait cantonnées dans des ghettos de travail dits féminins. Tout ça est corroboré si l’on se rappelle qu’il demeure un écart de 45% entre le salaire moyen des hommes et celui des femmes.

En fait, (cette fois-ci, on se sert de données canadiennes, n’ayant pu trouver les chiffres québécois correspondants) les deux tiers des femmes au travail se concentrent dans quatre secteurs principaux :
– travail de bureau
– commerce
– les métiers de service et vendeuses
– professions (enseignement, sc. Infirmières)

On peut également dire que les occupations de la majorité de la main-d’œuvre féminine perpétuent la sexualisation des tâches et les préjugés traditionnels sur le rôle de la femme. En fait, au cours du processus d’industrialisation et d’urbanisation (depuis le début du siècle au Québec), on a dû à regret, avec moultes déchirements, pour des raisons hautement économiques, substituer à la mère-génitrice, à la mère-matrice, à la mère aux records reproducteurs, une femme au travail orientée vers les tâches les plus serviles, les moins rémunératrices.

À vrai dire, les besoins de l’industrie et de la production capitaliste requéraient un contingent accru de travailleurs [et travailleuses] à rabais et une partie des femmes ont été immolées sur l’autel du profit. Il s’agissait cependant en quelque sorte d’un sacrifice contrôlé… Grâce à Dieu, sur le marché du travail on maintiendrait la hiérarchie déjà présente au foyer. La dichotomie homme-femme se prolongerait non seulement dans l’importance des rémunérations rattachées au travail mais bien aussi dans le type même de travail dans lequel on embrigaderait les femmes.

C’est ainsi que peu à peu se sont précisés des métiers dits féminins. On a pu de cette façon justifier le fort pourcentage de femmes embauchées dans l’industrie textile (s’il y a un travail traditionnellement féminin, c’est bien le tissage et la couture), dans l’enseignement (la mère-éducatrice), dans le travail infirmier (la mère-soignante), dans le travail de secrétariat (qu’on a féminisé à souhait… la discrète collaboratrice efficace de l’homme important), dans les services d’hôtellerie et de restauration (suite logique du « torching dévoué » au foyer).

On a enregistré au cours des années la disparition graduelle des effectifs mâles aux postes de vendeurs et de commis de bureau. Plus ces tâches se féminisaient, plus les salaires rattachés à ces fonctions faisaient un dumping spectaculaire.

Bref, pour fins de production capitaliste on a dû à contre-cœur ouvrir les portes du marché du travail à une main-d’œuvre féminine. Mais, encore fallait-il en contrôler les orientations et aussi, on le verra plus loin, contenir l’importance de son débit.

« Moé j’sus pas d’accord pour que ma femme travaille. On a trois petits à la maison. Le bébé a rien que six ans. Y ont besoin de leur mère à journée longue… Pis moé j’aime ça que le manger soye fait’ quand j’arrive chez nous ». – un travailleur, père de famille

Contrôler l’accès des femmes sur le marché du travail, c’est forcément pouvoir les retourner à la maison lorsqu’on veut bien. Si l’industrie a besoin de main-d’œuvre bon marché, elle a aussi besoin d’une future main-d’œuvre et de l’entretien de sa main-d’œuvre actuelle. Rien de mieux pour ces diverses petites tâches que les épouses-mères-ménagères pas payées. Car, n’ayez crainte… sans poinçonner chaque matin, la ménagère-reproductrice sert encore fidèlement les besoins sacro-saints de la production. Elle le fait autrement c’est tout. Ainsi, les meilleures raisons que l’on trouve encore aujourd’hui pour limiter l’accès des femmes au travail rémunéré ce sont les enfants, nourrissons ou jeunes écoliers.

Alors qu’au début du siècle on rechignait à propos de la présence des jeunes filles sur le marché du travail, alors qu’au cours des années cinquante on discutait encore sur la pertinence de l’autorisation officielle du mari pour l’embauche des femmes, aujourd’hui, en pleine crise du système, on prône l’allaitement maternel et la constante présence amoureuse de la jeune mère auprès des nourrissons, des enfants d’âge pré-scolaire et en début de scolarisation. Cependant qu’au cours de la seconde guerre mondiale on vantait à pleines pages de journaux les bienfaits de la nutrition des nouveaux-nés au… biberon (faut dire que l’on avait drôlement besoin des femmes dans les usines de munitions avec tous ces hommes attendant de débarquer quelque part en Normandie…).

On voit donc que les idéologies, c’est comme pour le civisme, ça s’exprime par une foule de petites choses! Or, rien de plus insidieux qu’une idéologie. Rares sont les hommes et les femmes qui se sentent sécurisé[e]s en tentant d’échapper à la gangue de comportements qui leur sont dévolus par leurs rôles traditionnels. Le père-pourvoyeur, la mère-reproductrice avec toutes les tâches connexes correspondantes, ce sont encore des valeurs sûres au Québec. En parlant des garderies-parking d’enfants, des garderies-cages dans l’ACTION NATIONALE pendant les années quarante, André Laurendeau, sans le savoir (mais, peut-être le savait-il?) instituait un préjugé tenace qui depuis et sans doute hélas pour longtemps encore a exclu et exclura les jeunes mères du marché du travail.

Selon le Conseil du statut de la femme, alors qu’une travailleuse québécoise sur deux est mariée, seulement une mère sur cinq est sur le marché du travail avec un enfant de moins de six ans. Ainsi, les maternités essentielles à la survie du peuple servent également à tenir pour un temps les femmes à distance respectueuse du marché du travail. Les plus grandes exceptions se retrouvent au niveau des femmes fortement scolarisées qui exercent une carrière ou encore à l’autre bout de l’échelle chez les femmes les plus démunies qui ne peuvent absolument pas abandonner une source de revenus, si maigre soit-elle.

D’autre part, si les hommes accomplissant un travail intellectuel abandonnent pour la plupart leurs préjugés face au travail de leurs femmes (2), les travailleurs manuels eux conservent les attitudes les plus traditionnelles. Selon des sociologues britanniques, plus l’homme est soumis et brimé à l’extérieur du foyer, plus il craint de perdre son prestige et son autorité au sein de la famille.

Il faut d’ailleurs admettre que bien souvent les femmes de milieux populaires ont hâte de se marier ou d’avoir un enfant afin de quitter des emplois aussi ennuyeux que mal rémunérés. Cependant, après quelques années, la monotonie des tâches ménagères, le manque à gagner occasionné par des besoins familiaux accrus les ramènent sur le marché du travail.

« L’absentéisme des femmes est plus important que celui des hommes. Elles manquent à tout bout de champ, elles arrivent en retard; il y a leurs règles… » – un employeur

Que de fois depuis que le monde est monde s’est-on servi des menstruations des femmes comme d’une anomalie monstrueuse… Que de fois, on a utilisé ce phénomène tout simplement lié aux fonctions de reproduction pour écarter les femmes des secteurs où on craignait qu’elles rivalisent avec les hommes!

Et pourtant… Si les employeurs se plaignent tant de l’absentéisme soi-disant plus important chez les femmes et particulièrement chez les femmes mariées avec enfant(s) et qu’ils reportent les causes de ces absences sur des « particularités biologiques soi-disant inavouables des femmes » (3), nous ne pouvons que clamer avec force, c’est un superbe alibi! Tant d’autres bonnes raisons expliquent les retards et les absences des femmes :
Qu’un enfant ou le mari attrape une bonne grippe et leurs malaises deviendront, sinon littéralement du moins officiellement ceux de la mère et de l’épouse qui les soignera à la maison.

Que les dirigeants de l’école du quartier décident inopinément de fermer leurs portes pour une demi-journée de réflexion pédagogique et la mère-travailleuse devra puiser à nouveau dans sa banque de congés de maladie.

Qu’une grève d’enseignant[e]s, de concierges, de chauffeurs [et chauffeuses] d’autobus paralyse la vie scolaire et les travailleuses devront multiplier les solutions concrètes pour continuer d’aller au travail. Par contre, dans la même conjoncture, les activités ordinaires des pères de famille ne connaîtront aucune perturbation!

On voit donc que dans une société comme la nôtre, rien ne facilite les tâches des femmes qui doivent ou veulent travailler à l’extérieur. L’absence de garderies populaires, de cantines scolaires, de services ménagers collectifs obligent les travailleuses à trouver des solutions individuelles et tracassantes… Et, là encore, on ne parle pas de la besogne qui attend la travailleuse à sa sortie d’usine, de magasin ou de bureau. De façon tout particulière dans les milieux les plus modestes, le partage des tâches domestiques à l’intérieur du couple demeure un vœu pieux, ou une source de conflits interminables. Et nous omettons, faute d’espace, de parler de toutes ces femmes séparées, divorcées ou veuves qui doivent se taper la double tâche sans espoir de partage…

En fait, les services et équipements sociaux pré-maternels, maternels et scolaires ne sont absolument pas conçus pour permettre aux jeunes femmes et mères d’exercer une activité lucrative. Ceci nous amène à conclure que les jeunes mères sont tout au plus tolérées sur le marché du travail et que normalement elles devront vivre pendant dix à quinze années en marge de toute activité sociale reconnue et intégrée officiellement à la vie économique du pays. Les jeunes québécoises (8 10) passeront vingt-cinq ans sur le marché du travail alors que leurs frères en passeront quarante. On imagine sans mal tous les problèmes de ré-insertion que posera le retour au travail après une si longue absence, toutes les conséquences d’un si long retrait tant pour une éventuelle promotion que pour les avantages sociaux, etc.

« Les femmes militantes sont moins nombreuses que les hommes militants. Elles ne viennent pas aux réunions, on a de la difficulté à les faire bouger ». – un permanent syndical

En chiffres absolus les militantes syndicales sont moins nombreuses que les hommes, c’est en premier lieu pour une raison toute simple… Il n’y a que 30% de femmes syndiquées alors qu’il y a 45% d’hommes syndiqués. En fait, les femmes se retrouvent massivement dans les secteurs les plus difficilement organisables sur le plan syndical (les waitress, vendeuses, employées de bureau).

Si d’autre part, les femmes sont moins participantes que les hommes lorsqu’elles sont syndiquées, on pourrait attribuer ce fait aux mêmes raisons que l’on explicitait plus haut lorsqu’on parlait de taux d’absentéisme féminin. Car, ne l’oublions pas, après le boulot-boulot, il reste encore le ménage, la lessive, la cuisine et la marmaille, donc très peu de place pour la vie syndicale.

De plus, il n’est pas besoin d’une longue expérimentation pour réaliser que les structures et les procédures syndicales favorisent davantage le verbe et la gourme mâles alimentés chez les garçons dès la petite enfance.

Pour toutes ces raisons, on ne doit pas trop se surprendre de constater que dans les centrales syndicales les femmes sont sous-représentées à toutes les instances décisionnelles. Voilà sans doute une des raisons qui ont contribué à des conventions collectives avec de nombreuses clauses à saveur sexiste. Il est également à noter que les engagements syndicaux sont si exigeants que les quelques femmes « officiers de syndicat » au niveau national sont célibataires. Même pour la CEQ qui compte plus des deux tiers de ses effectifs chez les femmes, les assertions notées plus haut demeurent valables.

Il faudrait noter ici que l’éducation des filles au Québec (qui mériterait des thèses et des thèses de recherche) ne les a pas orientées vers la collectivité, la solidarité. Plus que pour les garçons encore, on a poussé à l’extrême la notion d’individualisme, la vision du « small is beautiful » : ptit mari, ptits enfants, ptite maison, ptit frigo, ptites affaires.

« Un secteur important de la population se montre parfois agacé par la campagne systématique et souvent agressive des féministes ». – un éditorialiste du Quotidien (4)

Les données et les analyses utilisées au cours du présent article sont valables pour l’ensemble du Québec. Les femmes de la région s’intègrent sans doute très bien dans cette esquisse de la femme québécoise au travail. Il faudrait cependant voir à pondérer les chiffres par le bas… Ainsi, selon Statistiques-Canada on ne comptait en 1971 au Saguenay-Lac-Saint-Jean que 24,3% de travailleuses.

De plus, la vaste campagne anti-avortement secouant la presse régionale depuis le printemps dernier a dévoilé des visions extrêmement traditionnelles en ce qui concerne le rôle des femmes. L’absence de garderies populaires et la rareté des garderies privées – dans les moyennes les plus basses au pays – manifestent l’importance du contingent de jeunes femmes au foyer. Le haut taux de chômage (le plus haut au Canada en zone urbaine) explique une fois de plus combien les femmes sont les premières pénalisées lors d’une crise économique…

Et, devant tous ces phénomènes, devant l’expression de tant d’injustices, le joyeux tandem des penseurs-éditorialistes de notre quotidien régional considère les féministes trop bruyantes, trop agressives! Dans nos milieux intellectuels les plus sélects (UQAC), on considère que la libération des femmes, c’est fait, c’est accompli et qu’il est temps de passer à autre chose!

Tant que les hommes et les femmes n’auront pas les mêmes droits face au travail, à la santé, aux responsabilités partagées, tant qu’il y aura une sexualisation arbitraire des tâches, nous ne pourrons parler de libération de la femme. C’est sûr que nous avons fait un bout de chemin depuis que de sages théologiens dissertaient à pleins conciles sur l’existence ou la non-existence de nos âmes immortelles (à nous les femmes), depuis que nos grand-mères nous ont acquis de haute lutte le droit de vote, mais tout le chemin n’est pas accompli, loin de là. Et même en ces temps de grisaille économique et d’un retour massif aux idées conservatrices (Berberi, Ryan), il faut veiller au grain et voir même à ne pas perdre nos faibles acquis.

Marielle Brown-Désy

Collaboration/retranscription de Shit-stain

Bibliographie :
Mona-Josée Gagnon. « Les femmes vues par le Québec des hommes », Éditions du Jour.
Conseil du statut de la femme. « Pour les Québécoises : égalité ou indépendance », Éditeur officiel, Gouvernement du Québec.
Pierrette Sartin. « Nouvelles orientations du travail féminin », revue Projet, juin 1974.
« La condition économique des femmes au Québec », vol.1 – L’exposé de la question, La documentation québécoise, Éditeur officiel du Québec.
Maurice Champagne-Gilbert. « L’inégalité hommes-femmes, la plus grande injustice » (5 articles), journal La Presse, décembre 1976.

Notes :
(1) Pierrette Sartin. « Femmes au travail », revue Projet.
(2) Faut quand même pas charrier… Selon une enquête de L’Express effectuée en 1971, 86% des maris ne voudraient pas pour aucune considération que leurs épouses gagnent plus qu’eux.
(3) Il s’agit de voir et d’entendre la publicité concernant les tampons hygiéniques ou les serviettes sanitaires.
(4) Bertrand Tremblay. « Le revers de la libération des femmes » (éditorial), Le Quotidien, 20 janvier 1979.

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Le projet de loi C-36 ou la preuve que les Conservateurs ne peuvent être alliés de personne sauf de la droite catho

by on Juin.09, 2014, under féminisme, Général

vg arles

Je me considère abolitionniste, et pour les passionné-e-s de constitution : non, je ne crois pas que le projet de loi passerait en Cour suprême (mais bon…je ne suis ni juriste ni constitutionnaliste). Et parce que cette question devrait être de l’ordre du politique et non de l’interprétation des lois existantes, je crois que les abolitionnistes devraient continuer à faire pression partout pour exposer leurs témoignages et leur analyses. Les Conservateurs et la droite chrétienne ne sont pas nos allié-e-s… pour plein de raisons.

Tout d’abord une parenthèse… Bien sûr que j’ai un malaise à admettre que mon abolitionnisme doit, dans notre contexte, aussi passer des actions de l’État. Mais comme pour ma lutte pour l’éducation en particulier et pour une meilleure justice sociale en général, je reconnais que l’État s’accapare les ressources et la légitimité nécessaires, donc oui, comme pour de meilleurs logements sociaux, pour des soins de santé gratuits et/ou pour permettre à des personnes de l’industrie du sexe de s’en sortir si elles le veulent je pense que faire pression sur l’État peut être nécessaire.

Ceci étant dit… Le projet de loi C-36 me fait quand même froncer le nez. Je suis d’accord qu’il s’attaque aux clients et aux proxénètes et non plus aux personnes de l’industrie, et qu’il permet de penser la prostitution comme de l’exploitation. Mais les Conservateurs n’auront pas une médaille de ma part pour ne pas pénaliser les personnes prostituées, je trouve que c’est la moindre des choses. D’ailleurs, j’aime bien le préambule, ça utilise des mots comme exploitation, violence, dommages sociaux, et chosification du corps humain. Ça peut être bien dans un futur, ou dans un monde judiciaire, mais dans un espace temps plus concret ce n’est pas une garantie suffisante de changement social. Et c’est peut-être dû au milieu militant duquel je viens, mais les considérants ne font pas partie de la proposition, et bien que le préambule mette la table à une autre vision de la prostitution qu’un simple exercice marchand entre deux personnes libres et égales, il me semble que c’est les articles de loi qui sont importants et performatifs. Et même le sommaire est très clair : le projet de loi C-36 crée des infractions, plein d’infractions, et pas d’ouvertures.

À mon avis, l’esprit dans lequel est créé ce projet de loi, la partie sur les enfants, et la somme ridicule investie dans un flou « pour aider les femmes à sortir de la prostitution » sont des aspects inquiétants de ce nouveau tournant, et je suis déçue de voir que des camarades féministes abolitionnistes se contentent de voir les bon côté du C-36 en laissant de côté la construction moraliste et puritaine que ça exprime. Si je suis abolitionniste c’est parce que je vise à plus de justice sociale et d’égalité des chances, pas parce que je veux « sauver la dignité » de certaines personnes.

Le titre même me fait tiquer: « Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation. » La protection des collectivités ? Vraiment ? Keeping our streets and communities safe ? Les rues ? Pas les personnes ? Protéger la collectivité de la prostitution ? Comme d’une maladie ? Protect those who are most vulnerable by going after the perpetrators, the perverts, those who are consumers of this degrading practice. Les pervers ? Sérieux ? Les pervers ?! There will always be an inherent danger in this degrading activity. Euh quoi ?! Autant ça me fait vomir et hurler quand je vois des gens de l’industrie commander à d’autres qu’elles n’ont pas à se sentir dégradée, malheureuses ou violentées, autant je ne vais JAMAIS accepter qu’on oblige des gens qui se sentent bien à se sentir dégradés. De la même manière, tous les passages qui parlent d’endroits publics, d’interférence à la circulation, ou de vue du public, me lèvent le cœur. Il est question ici de cacher la prostitution, parce que dans la morale conservatrice il ne faut pas permettre plus d’égalité, mais simplement cacher ce qu’ils ne veulent pas voir. Vous êtes laids les Conservateurs !!!

Ce que je constate, c’est des interdictions, mais absolument rien pour accueillir les personnes – femmes ou hommes- qui voudront faire le choix de ne plus faire partie de l’industrie. Bien sûr que tout le monde est contre l’exploitation des gens, mais juste l’écrire ça ne donne rien si ce n’est pas accompagné par des mesures sociales (et de l’argent pour ces mesures), ainsi qu’un changement de mentalités pour ne plus permettre de stigmatiser, de rabaisser, et d’invisibiliser. Acquiescer au fait que la violence sertest intrinsèque à la prostitution c’est pas mal, mais ne rien faire, ne pas nommer, ne pas dénoncer cette violence économique, cette culture machiste, et cette libéralisation du marché des corps humains, qui permettent l’exploitation sexuelle c’est rester dans une logique moraliste qui n’est utile en rien à la « dignité » des gens de l’industrie.

Non les Conservateurs, vous n’êtes pas mes alliés.

Je trouve que le discours est important, non la fin ne justifie pas les moyens. Et ce qui me dérange aussi, au delà du flou artistique sur le comment cette loi va permettre une meilleure qualité de vie à des gens et une ouverture à plus de choix, c’est que ce discours moraliste invisibilise totalement la volonté de justice sociale du militantisme abolitionniste. En acceptant ce projet de loi sans aucune critique de fond car il rend enfin visibles les clients (enfin oui il était temps!), il nous fait nous allier avec des gens avec qui nous n’avons pas grand-chose en commun et mettre de côté des allié-e-s potentiel-le-s.

Les féministes abolitionnistes ne devraient pas avoir honte de dire haut et fort que la pensée qui sous-tend ce projet de loi n’est pas féministe. Les motivations du gouvernement sont minablement basées dans une droite chrétienne. La pensée qui sous-tend cette motivation est réactionnaire, moraliste et puritaine, et tout le monde s’en rend compte. Continuer à s’associer au projet de loi c-36 parce que certains aspects vont dans le sens qu’on aimerait c’est mettre de côté la base fondamentale sur laquelle notre idéal abolitionniste évolue : celui de la justice et de l’équité sociale. Je pense que le calcul politique de s’associer ou se dissocier totalement du projet de loi ne doit pas perdre de vue la possibilité que celui-ci ne finisse jamais par être une loi et que le gouvernement conservateur le sait. Platement ça pourrait être un calcul politique sachant que les élections arriveraient assez vite. Alors pourquoi dire qu’on s’associe à des idées conservatrices, qui ne deviendront très probablement pas des lois, quand nous voulons en fait quelque chose de différent des conservateurs. Quelque chose qui vient toucher d’autres acteurs et permet de nouer des solidarités.

D’un autre côté, je tiens à dire que je suis aussi déçue (et terrifiée) par le traitement médiatique que ce projet de loi a eu. Ainsi, Le Devoir, l’Actualité, et des groupes pro-travail du sexe, s’étendent sur la ridicule consultation en ligne que le gouvernement conservateur a commandée en disant que c’est là-dessus que celui-ci se base pour son projet de loi et ce nouveau vocabulaire. Heille gang ! Une méthodologie de marde ne vous donne aucun droit de faire preuve de mauvaise foi et de passer outre le fait que beaucoup de groupes de femmes, certaines qui se considèrent elles-même comme survivantes de l’industrie, sont contre la vision de la prostitution comme étant d’une activité économique banale entre deux adultes consentants. Que leurs témoignages, leurs voix, leurs expériences et leur désir de mobilisation sur cette question soient invisibilisés et amenuisés juste parce que le gouvernement conservateur est, lui, moraliste, puritain, et laid, je trouve ça cheap shot rare.

Les arguments que je lis depuis quelques jours me font sortir les yeux de la tête. Tout le monde acquiesce que les contacts avec les clients peuvent être très dangereux, même mortels. Il semble donc y avoir un consensus comme quoi les clients peuvent être dangereux, tellement dangereux que de base, on ne fait pas confiance à ceux qui veulent acheter du sexe dans la rue (l’argument de « il faut que la prostituée puisse jaser avec son client pour se rendre compte que ce n’est pas un psycho qui va la couper en morceaux » est celui qui revient le plus pour attaquer le fait qu’elles/ils ne pourront plus prendre du temps dans la rue parce que les conservateurs ne veulent pas que ça se voit). Mais on ne relie pas le fait que, collectivement, nous n’avons pas confiance en ces potentiels « acheteurs » et le fait que c’est un travail particulier qui amène des demandeurs particuliers ?! On s’attend à ce que cette activité fasse rencontrer des personnes dangereuses, mais on n’est pas capable de se dire que ces gens-là ont été socialisés de manière à permettre ça et qu’il y aurait donc sûrement des choses à changer dans notre manière de voir le corps des femmes, ou sur le droit d’accès marchand à celles-ci ?

Et le pire du pire: This sort of “screening,” the ruling said, might have “prevented one woman from jumping into Robert Pickton’s car. Ainsi, si une femme se fait tuer, c’est parce qu’elle n’a pas assez eu de temps pour « gager » son client ??? Ainsi, la responsabilité de sa sécurité est encore sur ses épaules à elle ? À la place de viser les gens, les comportements et les discours qui permettent la violence sur les personnes prostituées, on va leur dire d’être « plus prudentes » ?

C’est dégueulasse, et pourtant ce ne sont pas des Conservateurs qui disent ça.

C’est pour ça que je suis encore pleine d’espoir. Parce que des aspects fondamentaux qui relient les féministes abolitionnistes et les pro-travail du sexe c’est la sécurité des femmes et des hommes ainsi que leur libre choix de faire partie de l’industrie. Et ce n’est pas ça que les conservateurs visent, mais ce n’est pas non plus ce que nous allons accomplir si nous nous cachons la tête dans le sable par rapport aux risques inhérents à une mentalité qui banalise l’utilisation et la marchandisation des corps.

Les Conservateurs ne sont pas nos alliés. Nos allié-e-s sont du côté des gens et des groupes qui visent à transformer les mentalités et les pratiques sociales. Mes allié-e-s sont du côté des gens qui veulent plus d’ouvertures et de possibilités pour les gens qui sont dans la prostitution. Je veux des programmes sociaux, un salaire minimum plus élevé, de l’intégration à l’emploi, de l’éducation à tous les niveaux, des garderies gratuites avec des horaires différents, des centres de repos et d’écoute, ainsi que des rencontres selon les besoins avec d’autres qui ont décidé de sortir de l’industrie mais aussi avec celles/ceux qui décident d’y rester et de s’organiser de manière autonome. Et ça, ça sera seulement possible si on continue a tisser des solidarités avec des allié-e-s objectives oui, mais qui visent à une transformation sociale, pas à un camouflage esthétique.

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